Pendant un an, la journaliste Elsa Fayner s’est glissée dans le cabinet d’une sexologue pour écouter les confidences de ses patients. À l’occasion de la sortie de son livre, Sexothérapies, on a lui a posé quelques questions.
Telle une petite souris indiscrète, la journaliste Elsa Fayner, spécialisée dans les questions de travail et de santé, cofondatrice du site avotresante.net, s’est immiscée durant une année dans le cabinet d’une sexologue et a ainsi recueilli les confidences intimes d’une trentaine de patients. Elle a compilé les plus intéressantes dans un livre intitulé Sexothérapies, paru en avril.
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Elsa Fayner a rencontré Romy Steiner -c’est le pseudo qu’elle lui donne dans l’ouvrage-, médecin généraliste et sexologue, lors d’un colloque sur l’hypnose quelques années auparavant. Alors que la journaliste veut renouer avec le terrain et prendre le temps d’approfondir un sujet, elle demande à la sexologue de lui ouvrir les portes de son cabinet. Elle dit oui. Ne manque alors que l’aval des patients. “La plupart d’entre eux ont accepté, précise Elsa Fayner, surprise de n’être confrontée qu’à “10% de refus”, je m’imaginais à leur place, je ne sais pas si j’aurais accepté!” Rarement mal à l’aise -uniquement lorsqu’elle avait le sentiment qu’il y avait des choses qu’ils n’osaient pas dire à cause de sa présence- l’auteure a tout fait pour se faire oublier durant les séances, “même si c’était utopique de croire que je ne les pertubais pas puisque j’étais là”. Et a parfois eu du mal à “contenir [s]es réactions”. Interview.
C’est difficile de rentrer ainsi dans l’intimité des gens?
Non, pas spécialement. Je leur disais bonjour et ensuite, il n’y avait aucun autre échange. Je m’asseyais derrière le patient, un peu en diagonale, et je relevais peu la tête de mon cahier afin de ne pas perturber la séance. Je faisais, par exemple, toujours attention à écrire avec un stylo qui ne fasse pas de bruit.
Comment se déroule une séance de sexologie?
Quel que soit le problème, les patients disent tout de suite pourquoi ils viennent. Alors, en général, la sexologue essaie de les faire parler d’autre chose. Par exemple, il est arrivé qu’un homme vienne, s’assoie sur le bord de sa chaise sans enlever sa veste tout en parlant très vite de son problème. Dans ce cas-là, la sexologue fait comme si elle n’avait pas entendu et détourne son attention en le faisant parler de son métier. Elle essaie ainsi de renflouer son ego pour pouvoir travailler par la suite. La spécialiste essaie ensuite d’avoir des détails, elle est toujours très précise. Souvent, les patients viennent avec un problème et une explication toute faite: “ce sont les médicaments”, “c’est la ménopause”, “c’est la fin de la passion”, etc. La sexologue essaie de déconstruire leur argumentation, de semer le doute en démontrant par A + B que leur problème n’a pas commencé à cause de ça; et là, ils perdent leurs certitudes, qui les enfermaient, et elle réintroduit la possibilité que leur vie sexuelle n’est pas figée, qu’elle peut évoluer positivement. Il n’est d’ailleurs pas toujours nécessaire de trouver une explication pour que le problème disparaisse!
“Dans le cabinet de cette sexologue, j’ai vu beaucoup de gens entre 20 et 30 ans.”
Tu as rencontré beaucoup de jeunes patients, les millennials ne sont donc pas épargnés par les troubles sexuels?
Non, et d’ailleurs ça m’a beaucoup étonnée! En tout, j’ai vu durant cette année une trentaine de patients donc ce ne sont pas forcément des statistiques fiables mais, parmi eux, il y avait en effet beaucoup de gens entre 20 et 30 ans. Souvent, ils étaient en couple depuis longtemps, ils avaient des soucis d’ordre sexuel et ils souhaitaient que la situation change. Le fait qu’ils fassent la démarche de franchir le cabinet d’une sexologue montrait qu’ils étaient extrêmement inquiets, comme si leur problème durait depuis plus de 20 ans! J’ai trouvé ça dur qu’ils se sentent condamnés si jeunes.
Les troubles sexuels sont-ils plus courants qu’avant dans cette génération?
La sexologue que j’ai suivi a l’impression que les jeunes se mettent en couple plus tôt, ils habitent éventuellement chez les parents, et mènent une vie routinière assez rapidement. Ils misent beaucoup sur les amis, pas tant sur la sexualité, et il y a assez peu d’expérimentations. Ils sont sur le modèle très traditionnel du couple pour la vie et craignent de finir seuls, comme cette jeune professeure de piano que j’ai rencontrée, elle n’avait pas 30 ans mais avait peur d’être encore célibataire à 50 ans.
“Chez les femmes, ce sont en général des problèmes de désir, et parfois de plaisir.”
Quels sont les motifs de consultation les plus courants?
Chez les hommes, ce sont principalement des problèmes d’érection, qui peuvent apparaître comme étant mécaniques alors que c’est très rare d’avoir un souci d’ordre physiologique, il ne faut surtout pas les orienter vers des médicaments ou une opération. Il s’agit de calmer le cercle infernal de l’angoisse, de rassurer. Souvent un motif en cache un autre… Chez les femmes, ce sont en général des problèmes de désir, et parfois de plaisir.
Quels enseignements as-tu pu en tirer de la sexualité du XXIème siècle?
Je ne suis pas sûre que ce soit très différent du siècle précédent! Je m’attendais à entendre parler de porno ou de sites de rencontres, de tromperies ou de plans un peu plus incroyables, mais je n’ai rien vu de tout ça. J’ai trouvé les gens fidèles, et les couples bienveillants l’un envers l’autre.
Propos recueillis par Julia Tissier
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