Hafsia Herzi tient le rôle principal du nouveau film de Sylvie Verheyde, Sex Doll. Entretien avec cette actrice révélée par Abdellatif Kechiche, aux choix de carrière exigeants.
“Je m’appelle Virginie, je suis encore jeune. Je suis pute. On ne peut pas le dire autrement, de luxe. Là où j’en suis, c’est ce qui pouvait m’arriver de mieux. Je suis indépendante. Je sais me faire respecter. Je gagne très bien ma vie”, est-il inscrit en introduction du dossier de presse de Sex Doll. Les mots émanent du personnage interprété par Hafsia Herzi.
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Pour ce nouveau rôle au cinéma, l’actrice originaire de Marseille, révélée par Abdellatif Kechiche dans La Graine et le mulet, incarne une call girl devant la caméra de Sylvie Verheyde. Aux antipodes de l’univers capitonné de L’Apollonide, le film de Bertrand Bonello dans lequel elle endossait déjà le rôle d’une prostituée, Hafsia Herzi évolue dans les rues d’un Londres actuel et réaliste, et fait ses passes dans des appartements au luxe impersonnel. Dans ce drame qui tient davantage de la bluette que du film X, elle évolue aux côtés de Karole Rocher -mère maquerelle intransigeante-, Paul Hamy -homme de mains ambivalent-, Lindsay Karamoh -la BFF, vue dans Bande de filles, de Céline Sciamma-, et de l’Anglais Ash Stymest, prince charmant tatoué déterminé à la remettre sur le droit chemin. Entretien avec une actrice aux choix de rôles exigeants, qui prépare par ailleurs son premier long métrage en tant que réalisatrice.
Comment t’es-tu retrouvée sur le projet Sex Doll?
J’ai rencontré Sylvie Verheyde il y a quelques années, lors de l’avant-première du film Happy Few d’Antony Cordier. Ce soir-là, je l’ai reconnue dans l’assistance et je suis allée l’aborder -chose que d’habitude je ne fais jamais-, pour lui dire que j’avais adoré son film Stella. Elle m’avait répondu par un “merci” un peu froid, je l’avais trouvée bizarre. Quelques années après cette rencontre qui a dû durer cinq secondes, l’attaché de presse qui travaillait sur son film Confessions d’un enfant du siècle m’a appelée et m’a dit qu’elle voulait me rencontrer. À partir de là, elle m’a proposé direct le rôle de Virginie et on s’est vues pendant deux ans, le temps qu’elle écrive le film, qu’il se monte, etc… Deux ans, c’est long, et elle aurait pu changer d’avis dix fois, mais elle ne l’a pas fait. C’est rare dans ce métier, la fidélité.
“Les call girls sont des filles comme vous et moi, avec leurs failles, leurs problèmes de cœur.”
Au cours de ces deux ans de préparation, vous avez notamment rencontré des call girls. Que gardes-tu de ces échanges?
Je suis allée à leur rencontre sans jugement, car je viens moi-même d’un milieu pas très facile. Ce sont des filles comme vous et moi, avec leurs failles, leurs problèmes de cœur. Certaines ont eu une enfance difficile, n’ont pas bien démarré dans la vie et se retrouvent à exercer ce métier-là. Pour elles, faire ce job est devenu une nécessité, elles en ont pris l’habitude. C’est leur quotidien. Elles en profitent tant qu’elle sont jeunes, car elles savent qu’elles vont finir par vieillir et avoir moins de clients. Ce n’est pas un métier facile.
© Les films du Veyrier – The Bureau
Il y a le même genre de pressions liées à l’âge et au désir de l’autre dans le métier d’actrice, non?
Oui, on vit dans le regard de quelqu’un d’autre et, quand on commence à prendre de l’âge, arrivent certains complexes. On craint de n’être plus désirée et donc, de ne plus travailler.
Dans Sex Doll, Virginie travaille pour une mère maquerelle, et joue elle-même les chaperons auprès d’une jeune recrue. Comment avez-vous abordé le travail sur les relations entre femmes?
D’abord, tout était très écrit en termes de situations, de dialogues et de mise en scène. Par dessus ça, j’ai créé un passé à mon personnage: je me suis dit qu’elle avait beaucoup d’expérience, qu’elle était très demandée. Pour les relations avec la jeune recrue, Sofia, je me suis inspirée de ce que je fais dans ma vie d’actrice: quand je vois de jeunes acteurs débarquer, je les conseille. Il y a plein de petits et de petites que j’aime bien suivre.
Entre le personnage de Karole Rocher et le tien en revanche, on est loin de cette bienveillance…
C’est sûr que leur relation n’est pas très gaie! Le milieu du sexe est un milieu difficile, où les gens ne se font pas de cadeaux. Ça forge le caractère: les filles que nous avons rencontrées avec Sylvie sont dures, ce sont tout sauf des princesses.
En parlant de princesses, le film entretient clairement le mythe du prince charmant puisque le salut de Virginie passe par l’arrivée d’un homme dans sa vie. Que penses-tu de cette vision de l’homme qui arrive pour sauver une “fille perdue”?
J’y crois. Même si je sais, par les gens que j’observe autour de moi, qu’aucun couple n’est parfait. Mais parfois, c’est vrai que l’arrivée d’une personne dans la vie d’une autre peut tout chambouler en bien.
Quand on sort d’une relation difficile par exemple, on est souvent sauvé par un homme ou une femme… En fait, dans la vie, on se sauve les uns les autres. Dans le cas de Virginie, elle prend aussi conscience qu’elle peut aimer quelqu’un, qu’elle peut ressentir du plaisir et arrêter de faire semblant. Grâce à lui, elle découvre des émotions qu’elle ne connaissait pas, elle découvre la vie.
© Les films du Veyrier – The Bureau
Sex Doll est ta première collaboration avec Sylvie Verheyde. Quel souvenir gardes-tu du tournage, comment travaille-t-elle par rapport aux autres réalisatrices ou réalisateurs que tu connais?
Elle a une bonne énergie et elle ne parle pas trop. Elle sait exactement ce qu’elle veut, mais elle est très bienveillante. On a beaucoup rigolé, il y avait une super ambiance sur le tournage. Elle peut être très rock’n’roll, elle n’hésite pas à tourner dans une rue sans autorisation par exemple: elle s’en fout, elle pose sa caméra et c’est parti.
Après avoir signé un court métrage en 2010, tu t’apprêtes à réaliser ton premier long. Peux-tu nous en dire un peu plus?
Il s’appelle Bonnes mères et parle d’une mère de famille maghrébine, femme de ménage dans les avions et proche de la retraite. Elle a trois enfants, dont un fils en prison, et on la suit elle, ainsi que sa fille et sa belle-fille. Ce sont trois portraits de femmes de générations différentes. J’ai déjà commencé à filmer l’une de mes actrices, qui était enceinte, mais on vient d’obtenir les financements et le tournage démarrera pour de bon en janvier. J’ai fait un casting sauvage à Marseille dans les quartiers nord pour choisir les acteurs, qui sont tous des inconnus.
Propos recueillis par Faustine Kopiejwski
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