Le groupe londonien Savages revient avec son deuxième album, Adore Life. Pour l’occasion, on s’est plongées dans le fil Instagram des quatre musiciennes.
Dans les locaux de leur maison de disques parisienne, Gemma Thompson et Fay Milton, guitariste et batteuse de Savages, accueillent notre idée de leur faire commenter leur fil Instagram avec un sourire de gratitude. L’exercice promotionnel étant répétitif à souhait, feuilleter les pages d’un album photo virtuel leur apparaît soudainement comme un concept révolutionnaire et la promesse de passer un moment agréable arrosé de quelques gorgées de thé.
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Et puis, comme elles nous l’expliquent plus bas, les musiciennes ont mis la photo -graphique, élégante, en noir et blanc- au cœur de leur nouvel album, Adore Life. De son visuel combatif -un poing levé signé de la photographe TIM-, à la documentation méthodique de ses sessions d’enregistrement, en passant par ses vidéos marquantes (The Answer, Adore), le deuxième Lp du groupe londonien accorde à l’image une place importante. Sans toutefois prendre le pas sur la musique -de plus en plus aboutie, maîtrisée-, l’impact visuel de Savages semble, depuis les premiers pas du groupe il y a cinq ans, indissociable de sa capacité à marquer les esprits. Passage en revue de quelques instantanés.
Carte Oblique Strategies (octobre 2015)
Fay Milton: Notre producteur Johnny Hostile avait une pile de cartes Oblique Strategies (Ndlr: cartes conçues par le producteur Brian Eno en 1975, sur lesquelles sont inscrites des indications censées guider dans son travail la personne qui les tire) et on a pioché dedans pour s’amuser. À chaque fois, il était inscrit un truc du genre “continuez simplement à faire ce que vous faites”. Du coup, on les a mises de côté et on a suivi le conseil! (Rires.)
Gemma Thompson: En effet, toutes les cartes Oblique Strategies que nous avons tirées nous encourageaient à continuer dans la même voie. Cette photo a été prise par TIM, la photographe qui a documenté notre passage en studio.
TIM (Septembre 2015)
FM: On adore le travail de TIM et c’est une très bonne amie, très facile à vivre dans espace confiné comme le studio. On aime bien avoir d’autres personnes avec nous au moment de l’enregistrement, ça apporte une énergie différente.
GT: Cette session d’enregistrement a été très différente de celle du premier album, beaucoup plus confortable. On était aux studios Rak dans le nord-ouest de Londres, chacune d’entre nous a bien pris le temps de se concentrer sur son instrument et Johnny Hostile, qui nous comprend très bien, nous produisait. Le premier album s’apparentait plus à une photographie de nous en live, c’était très minimal, on avait tout fait en trois semaines. Pour celui-ci, une bonne partie de l’écriture a été réalisée pendant une grosse session à New York en janvier 2015, pendant laquelle on a pu jouer les nouveaux morceaux sur scène. Rien de tel que l’adrénaline du live pour tester un titre.
Savages à Dismaland (Septembre 2015)
FM: C’est Geoff Barrow, de Portishead, qui nous a proposé de jouer à Dismaland, un parc à thème dystopique imaginé par Banksy. Geoff assurait la programmation musicale du lieu et tous les gens qu’il a invités avaient quelque chose à dire, comme Kate Tempest ou les Pussy Riot… Il y avait un concert par semaine, le vendredi soir. Dismaland était un endroit vraiment génial, tellement tout était pourri. Tous les acteurs et les employés étaient briefés pour faire leur travail de la manière la plus pathétique qui soit. (Rires.) Tout était si pitoyable, il n’y a finalement rien de mieux pour se sentir heureux. Alors que si tu vas à Disneyland, tout est joyeux et neuneu et ça te donne intérieurement envie de grogner. (Rires.)
GT: Je me suis sentie super bien là-bas, c’était un peu mon environnement de festival rêvé. Tu sais, quand tu arrives sur un festival, tout le monde est surexcité, il y a une sorte de joie forcée, alors que toi, tu n’es pas forcément dans le mood. Et puis, l’idée de Dismaland, c’était aussi de faire revivre une station balnéaire anglaise tombée en désuétude, en l’occurrence Weston-super-Mare. La démarche était d’y ramener l’emploi et les touristes, et ça a plutôt bien fonctionné (Ndlr: Dismaland a depuis été démonté et tous les matériaux des installations ont été recyclés au profit des migrants de Calais).
Pochette de Adore Life (octobre 2015)
GT: Encore une photo de TIM. Notre premier album parlait beaucoup de trouver sa place en tant que musiciennes et en tant que groupe, sans compromettre nos idées. D’une certaine façon, Adore Life est plus ouvert. Il traite davantage de la compréhension de soi et de l’autre. Politiquement, il faut réaliser que nous sommes un groupe et donc, que nous n’allons pas changer le monde. Mais en tant qu’artistes, on peut commencer par immiscer l’idée d’un changement à travers la compréhension des individus. En se comprenant soi-même, avant tout, puis en comprenant les autres autour de soi.
FM: En tant que groupe, on peut créer une atmosphère dans laquelle le changement est rendu possible. On vit une époque très intéressante d’un point de vue politique, c’est forcément passionnant de faire de la musique dans un tel contexte. On va donner un concert à Paris pendant la COP21 et je reviendrai quant à moi participer à la grande marche du 12 décembre. (Ndlr: Nous avons rencontré le groupe le 4 novembre, soit avant l’annulation de la marche en question.) Il y a en ce moment un besoin ardent d’espoir, de pouvoir influer sur le cours des choses. En Angleterre, on a traversé une longue période pendant laquelle les gens se sentaient impuissants, ne savaient plus à quel saint se vouer. Désormais, les gens commencent à comprendre comment ils peuvent faire bouger les lignes. Surtout les plus jeunes générations.
Bras avec une citation (septembre 2015)
FM: C’est le pire post Instagram que j’aie jamais fait. Le rendu n’est pas du tout celui que je visais. Mais la citation est intéressante. Elle émane de Grace Jones, c’est un extrait de son autobiographie. Elle explique qu’en tant que femme, on te voit souvent comme quelqu’un de difficile ou de colérique si tu n’es pas prête à faire certains compromis. C’est du sexisme. On est tellement conditionnées pour enrober tout ce qu’on dit dans une jolie boîte. On s’excuse avant de parler… Il faut essayer de se débarrasser de ce genre de réflexes.
Savages “front row” (octobre 2015)
FM: Ça, c’est aussi TIM qui l’a prise, juste avec son iPhone. On a joué à l’afterparty du défilé Alexander McQueen à Paris.
GT: On a beau porter du noir sur scène et pour notre promotion, la mode nous intéresse. C’est une vraie forme d’art à ce niveau-là. C’était une expérience intéressante en tout cas.
FM: Alexander McQueen, c’est très inspirant. Il vient d’être à l’honneur d’une énorme exposition à Londres, Savage Beauty.
Affiches du film Ex-Machina
GT: Notre morceau Husbands a été pris pour le générique de fin du film Ex-Machina. On adorerait travailler plus longuement sur un film dans le cadre d’une bande originale, mais on ne peut rien annoncer pour le moment.
FM: En tout cas, la BO d’Ex-Machina c’est encore un plan de Geoff Barrow, car c’est lui qui l’a signée.
GT: Geoff, c’est un ami, presque un gourou. On l’appelle parfois pour lui demander conseil: “Geoff, qu’est-ce que tu penses des rappels?” Et il répond “Surtout, n’en faites pas!”. C’est un excellent musicien, et il a la tête bien faite.
FM: C’est l’un de nos héros.
Propos recueillis par Faustine Kopiejwski
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