À 29 ans, Sarah Epiard a pour mission d’insuffler le devoir de mémoire aux jeunes Guadeloupéens et de faire le lien entre eux et les anciens combattants. Interview.
À seulement 29 ans, Sarah Epiard, licenciée d’histoire, est à la tête du service départemental de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre de Guadeloupe (ONACVG). Impliquée dans la vie citoyenne depuis son adolescence, elle nous a parlé de son travail et des spécificités du devoir de mémoire dans ce département français d’Outre-mer.
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En 2006, vous obtenez votre licence d’histoire. C’était une évidence de travailler au sein du monde combattant?
Un jour, je suis tombée sur une annonce pour un poste de déléguée à la mémoire combattante au sein de l’Office national des anciens combattants du Val d’Oise, où je vivais à l’époque. Ils recherchaient une personne ayant fait des études d’histoire, passionnée par les conflits contemporains, préoccupée par la citoyenneté avec un goût pour la communication, le monde combattant et la pédagogie. C’était tout moi! Ayant travaillé au sein du conseil municipal des jeunes de ma commune, j’avais déjà participé à des cérémonies de commémoration d’armistices et puis, je connaissais d’anciens combattants. Pendant deux ans, j’ai travaillé sur les questions de mémoire en faisant le lien entre les jeunes et les anciens combattants.
Comment arrive-t-on dans un tel service?
J’ai eu l’opportunité d’obtenir un poste à la direction générale située à l’hôtel national des Invalides à Paris en tant qu’adjointe au chef du département en charge de la mémoire combattante. Fin 2009, j’ai postulé à la direction du service départemental de la Guadeloupe. J’ai eu une autre proposition le même jour mais j’ai trouvé le poste en Guadeloupe beaucoup plus intéressant. Et puis les tropiques… (Rires). Sans compter que ma mère est guadeloupéenne.
“Nous ne sommes pas un service historique mais un service social.”
Quelle est votre rôle précisément?
Nous ne sommes pas un service historique mais un service social. Mon rôle est d’attribuer un domaine d’action à mon équipe: solidarité (aides sociales aux anciens combattants), gestion administrative, attribution de cartes et de titres pour les ressortissants (veuves, combattants, pupilles de la nation, victimes d’attentats, etc). Je suis présente à toutes les manifestations mettant en avant les anciens combattants.
Il y a certaines catégories qui sont moins représentées en Guadeloupe comme les Harkis par exemple, et nous avons très peu de veuves de guerre. Mais il faut savoir que l’Office s’occupe des anciens combattants des deux guerres mondiales, de la guerre d’Indochine, la guerre d’Algérie et d’opérations en ex-Yougoslavie, Kosovo, Afghanistan, Irak, etc.
“Les gens s’imaginent qu’un ancien combattant est forcément grabataire, or il y en a qui ont une trentaine ou une quarantaine d’années.”
Comment se manifeste la transmission de la mémoire en Guadeloupe?
Le devoir mémoriel passe par les cérémonies de commémoration, les rencontres, les participations aux concours nationaux de la résistance et de la déportation organisés dans les collèges, les expositions ou encore les conférences. Ce n’est pas évident d’insuffler le travail de mémoire mais cela n’est pas spécifique à la Guadeloupe, ça vaut pour la centaine de départements français chapeautés par l’Office national.
Et puis, les gens s’imaginent qu’un ancien combattant est forcément grabataire, or il y en a qui ont une trentaine ou une quarantaine d’années. Ce sont ceux qui ont participé à des opérations dans les années 90 ou au début des années 2000. Et puis, la mémoire touche aussi aux opérations de maintien de l’ordre, de la paix ou de secourisme comme en Haïti, après le tremblement de terre en 2010.
Mais n’y a-t-il pas de spécificités concernant le devoir de mémoire dans un département d’Outre-mer tel que la Guadeloupe?
Je dirais que le monde combattant se heurte à une forte concurrence mémorielle. Celle de la commémoration de l’abolition de l’esclavage. L’esclavage a laissé beaucoup de vestiges alors qu’il n’y a pas à proprement parler de patrimoine “matériel” concernant les conflits contemporains -mis à part les monuments aux morts. Les conflits préoccupent donc beaucoup moins les Guadeloupéens. Or, les poilus guadeloupéens ont un parcours très particulier. Imaginez un Antillais, qui, au début du siècle, doit traverser l’Atlantique pour participer à une guerre qui se déroule dans un pays qu’il ne connaît pas.
Ici, le devoir de mémoire passe par la parole car il concerne exclusivement des hommes qui ont quitté leur territoire.
Il en va de même pour les anciens combattants de la Seconde guerre mondiale. Je citerais les “dissidents”, ces jeunes engagés volontaires qui, pour répondre à l’appel du Général de Gaulle, sont partis de la Guadeloupe et de la Martinique en canots pour rejoindre la Dominique, puis les États-Unis pour se former. Ils ont pris d’énormes risques. Ce pan de l’histoire est méconnu, même en Guadeloupe. C’était pourtant il y a seulement 70 ans. Ici, le devoir de mémoire passe par la parole car il concerne exclusivement des hommes qui ont quitté leur territoire. Nous nous devons de relayer ces témoignages afin de permettre aux jeunes Guadeloupéens de connaître leur histoire.
Propos recueillis par Katia Touré
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