Quand elle était jeune, Sara Collins dévorait les romans des sœurs Brontë et de Mary Shelley. Aujourd’hui, elle vient de sortir son premier roman, Les Confessions de Frannie Langton, inspiré de ces classiques. Avec pour héroïne une ancienne esclave embarquée de la Jamaïque à Londres.
Quand Sara Collins était enfant, elle dévorait des livres. Elle laissait son esprit vagabonder dans la campagne britannique de Jane Eyre, dans le Genève de Victor Frankenstein et dans l’Angleterre rêvée des regency romance, ces récits romantiques très populaires au XIXème siècle. “La lecture a été mon réconfort, explique-t-elle. Elle m’a suivie toute ma vie.” Née en Jamaïque, Sara Collins déménage en 1976 alors qu’elle n’a que 4 ans pour rejoindre Grand Cayman. Ses parents fuient au lendemain de l’élection présidentielle un pays en plein état d’urgence. Quelques années plus tard, lorsqu’elle n’a que 11 ans, elle quitte sa famille pour rejoindre un pensionnat en Angleterre. “Bien sûr, je me sentais seule, se souvient-elle. Je pense que c’est un sentiment utile pour quelqu’un qui écrit. L’écriture, pour moi, vient d’un sentiment d’être ‘en-dehors’ de ce qui m’entoure.”
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Dans son premier roman, Les Confessions de Frannie Langton, Sara Collins montre que l’éducation peut être une arme complexe et paradoxale. Elle y raconte l’histoire d’une esclave de Jamaïque qui devient une domestique pour un couple de riches Londoniens. Tout au long du roman, plusieurs personnages plus ou moins mal intentionnés lui apprennent à lire et à écrire et ce savoir lui apporte autant de bonheur que de douleur. “L’expérience de Frannie s’inspire de ce que j’ai vécu, analyse Sara Collins. En tant que jeune femme noire venant des Caraïbes je ne voyais jamais de personnages de fiction dignes d’admiration qui me ressemblaient. Cela me donnait l’impression que nous étions exclus des récits importants et dignes d’intérêt. Je trouvais cela intéressant d’explorer le fait que Frannie peut tirer de la confiance et un certain pouvoir de l’éducation mais que cela ne change pas la réalité dans laquelle elle vit. Les livres enflamment son imagination, mais son expérience est bien différente. Les auteurs reconnus ont pu me faire me sentir ainsi: que je faisais partie de quelque chose tout en en étant exclue.”
“Quand j’ai commencé à travailler sur le roman j’avais l’idée que les noirs avaient été desservis par la fiction historique.”
Bien qu’elle ressente, très jeune, le besoin et l’envie d’écrire, elle ne se l’autorise pas. “Quand j’étais jeune, je ne pensais pas que l’écriture était une activité possible pour une jeune fille noire d’une petite île des Caraïbes”, explique-t-elle simplement. Elle poursuit ses études en Angleterre, devient avocate et revient vivre un temps à Grand Cayman. Son temps se partage entre l’éducation de ses cinq enfants et son métier. Son désir d’écriture n’est qu’un lointain souvenir même si la lecture continue à occuper tout son temps libre. Puis, ses enfants commencent à quitter la maison et à partir vivre leurs vies. “D’un coup, c’est comme si je me donnais la permission”, explique doucement Sara. Elle s’inscrit dans le master d’écriture créative de Cambridge, qui lui offre un cadre, des deadlines et surtout un espace pour se lancer dans l’élaboration des Confessions de Frannie Langton.
À l’heure où les dystopies se multiplient, Sara Collins décide de ne pas imaginer le futur mais de puiser son inspiration dans le passé des romans gothiques avec lesquels elle a grandi. Pour elle, plonger dans l’histoire permet aussi de parler de notre présent et des thèmes qui lui sont chers: le féminisme, le racisme, l’intersectionnalité. “Quand j’ai commencé à travailler sur le roman j’avais l’idée que les noirs avaient été desservis par la fiction historique, se souvient-elle. On parle d’esclavage et des victimes, mais on ne raconte jamais d’histoires haletantes, jamais d’histoires d’amour. Je voulais donner à Frannie, qui commence comme esclave en Jamaïque, une personnalité complexe. Je voulais qu’elle soit pleine de force, qu’elle ait de l’humour, et surtout qu’elle vive une passion amoureuse comme celles que j’adorais lire dans Jane Eyre ou Les Hauts de Hurlevent.” Son récit est raconté à la première personne du singulier et retourne toutes les attentes des lecteur·rice·s. Régulièrement, Frannie prévient qu’elle ne racontera pas l’histoire qu’on attend d’elle. Ses péripéties s’enchaînent: elle se retrouve à assister les expérimentations d’un scientifique fou, qui cherche par tous les moyens, même les plus inhumains, à découvrir l’origine de la couleur de la peau; elle vit une histoire d’amour passionnée avec la femme dont elle est la domestique; elle est accusée du meurtre de cette dernière. “Je voulais explorer non pas ce qu’elle fait, mais ce qu’elle ressent, explique l’autrice. Frannie n’est pas simplement une victime, on explore sa colère, sa honte, sa culpabilité.”
“Un homme écrit pour se séparer de l’Histoire commune alors qu’une femme écrit pour la rejoindre. C’est le message le plus important du livre.”
Sara Collins a passé de longues journées à faire des recherches sur tous les sujets que son roman couvre: la vie en Jamaïque, l’Angleterre du XIXème siècle, le racisme scientifique… et l’ambiance gothique qu’elle voulait infuser dans son ouvrage. Elle cite aussi volontiers dans ses influences contemporaines Margaret Atwood, qui a adoubé son récit, Toni Morrison ou Alice Walker. Dans sa manière politique et contemporaine de traiter la question de l’esclavage on pense à Kindred d’Octavia Butler. Le roman porte lui aussi un message féministe fort. “Je voulais vraiment redonner une place à ces femmes noires dans l’Histoire, mais aussi montrer que justement, les femmes noires sont aussi des femmes. L’intersectionnalité est la clé pour moi. Je veux qu’on réfléchisse à tout ce que les femmes ont pu avoir en commun au fil des siècles. Un homme écrit pour se séparer de l’Histoire commune alors qu’une femme écrit pour la rejoindre. C’est le message le plus important du livre. Les femmes de mon roman ont des parcours très différents mais elles ont toutes des désirs que les hommes essaient de contrôler.” On lui demande tout de même si “Madame”, le personnage pour lequel travaille Frannie, ne peut pas être vue, avec ses caprices et son égoïsme, comme un tâcle à un certain féminisme blanc. Sara Collins éclate de rire. “Elle n’est pas mal intentionnée mais elle n’arrive pas à voir ses privilèges. Il y a certainement un petit commentaire à lire ici en effet!” Si une jeune fille se passionne, comme Sara Collins, pour les romans gothiques, elle pourra dorénavant lire Les Confessions de Frannie Langton. Elle y trouvera tout ce qu’elle est venue chercher: un personnage qui lui ressemble, une lecture intelligente et complexe de la période et une histoire d’amour brûlante. Outre-Manche et outre-Atlantique, son livre a déjà été encensé par la presse et le public. Elle travaille même sur une adaptation télévisée et sur son prochain roman. La voilà enfin autrice, à plein temps.
Pauline Le Gall
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