Alors qu’elle vient de publier un sublime nouvel album, Dans le noir, la musicienne et chanteuse québécoise Safia Nolin se raconte dans un entretien sans filtre.
Elle s’interrompt, pose sa tasse de café et jette son regard au-delà du passage clouté: “Il y a un chien très beau là-bas, un petit teckel, tu le vois?” Safia Nolin adore les chiens. Cette passion a-t-elle à voir avec leur pelage? Peut-être. Car Safia Nolin aime aussi beaucoup les poils, en particulier les siens, qu’elle laisse pousser aux aisselles comme aux jambes. “Je trouve ça beau. Dans le soleil, ça fait comme des petits filets d’or.” La musicienne a quelque chose de foncièrement désopilant. Des sorties pareilles, à part peut-être d’une autre Québécoise -Céline, si tu nous lis-, émanent rarement de la bouche d’une chanteuse. Encore moins d’une chanteuse folk qui fait des chansons tristes.
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C’est le matin, il est 10 heures. La veille, Safia Nolin a invité quelques journalistes à une “burrata party”, un prétexte pour présenter en version acoustique quelques morceaux de son deuxième album, Dans le noir. Elle a fait rire toute l’assistance avec des histoires pas franchement drôles pourtant, des récits de mésaventures où elle a cru trouver la mort. Safia Nolin se raconte divinement bien. Dans ses chansons, elle se livre, entière, à poil encore. Il y a ce single par exemple, Miroir. Ça commence comme ça: “Je m’excuse de mon corps, pour mon cœur.” Et puis ça fait: “Miroir, miroir, je sais que c’est moi la plus laide.” “Ce morceau parle d’apparence physique, des standards de beauté, de l’amitié, de l’amour. Ça parle de la tristesse de ne pas pouvoir donner à quelqu’un le minimum, c’est-à-dire le standard de beauté.” C’est dur comme texte, lui fait-on remarquer. “C’est dur oui!”, concède-t-elle dans un énorme éclat de rire, “mais ça m’a fait du bien d’écrire cette chanson”.
“J’ai essayé de rentrer dans le moule pendant tellement longtemps.”
Pour Safia Nolin, la musique est cathartique, bien sûr. La jeune femme de 26 ans a grandi avec une sœur cadette et un frère aîné, une mère Québécoise et un père Algérien. La famille ne roule pas sur l’or mais, après la séparation des parents et un accident qui empêchera définitivement sa mère de retravailler, elle devient subitement pauvre. Safia Nolin se souvient de ses années à Limoilou -quartier de Québec qui a donné son nom à son premier album-, comme de “l’apogée du mal-être”. “On vivait dans un appartement froid, mal isolé, on était congelés.” Vers 14 ans, elle quitte l’école. Entre deux petits boulots, en proie à des crises de panique, elle passe de longues périodes sans sortir de chez elle. C’est à ce moment-là qu’à sa demande, son grand frère lui dégote une guitare complètement “boboche” (expression québécoise qui signifie “de mauvaise qualité”). Elle apprend à en jouer sur Internet et écrit ses premières chansons. Vers 19 ans, sa mère l’inscrit à un concours de musique. Philippe Brault, compositeur et réalisateur musical adoubé au Québec, la repère, la prend sous son aile et lui offre un destin. “C’était surprenant. Inespéré que ça m’arrive à moi. C’était un conte de fées.”
Consciente de sa chance, Safia Nolin redouble de travail. Au point de faire un burn-out. C’est après la sortie de son premier album, -couronné lors du gala de l’ADISQ 2016 (équivalent des Victoires de la musique québécoises), où elle avait prononcé un discours mémorable d’empowerment-, qu’elle trouve enfin son équilibre. Elle arrête de fumer de l’herbe, notamment, et apprend à gérer ses crises de panique qui refont surface. Aujourd’hui, celle qui a longtemps été “dépressive avec des bas très bas et finalement très peu de hauts”, semble en phase avec elle-même et de plus en plus avec les autres. Elle a arrêté totalement l’alcool, voit un psy -“mais pas un psychanalyste, c’est mal vu au Québec!”-, et a décidé de se foutre la paix. “C’était un long chemin difficile. J’ai essayé de rentrer dans le moule pendant tellement longtemps”, admet-elle.
Cette envie de se fondre dans la masse, de coller à la norme, c’est un réflexe de survie que Safia Nolin partage avec beaucoup d’homosexuel·le·s. Lesbienne, elle s’est longtemps menti à elle-même: “Je voulais tellement être normale que je ne l’acceptais pas.” Des personnages de fiction “loins de la butch de service” comme Callie Torres dans Grey’s Anatomy, ou Brittany Pierce et Santana Lopez dans Glee, l’ont aidée à s’identifier. Quant à son coming out, effectué auprès de sa mère à 17 ans, il prend dans son récit des airs de non-événement. Aujourd’hui, Safia Nolin n’a plus peur de se montrer, et déambule volontiers main dans la main dans la rue avec sa meuf. Quitte à se prendre des attaques verbales ou physiques, comme ce coup pied au cul -littéral-, reçu à La Rochelle pendant les Francofolies. Pour elle c’est clair, la France, qu’elle adore et où elle passe beaucoup de temps, est bien plus homophobe que son Québec natal, où “le mariage gay a été légalisé en 2003”, rappelle-t-elle.
En France, désormais, elle fait davantage attention. À la main qu’elle tient, mais aussi aux vêtements qu’elle porte. “À Paris, le regard des hommes sur les femmes est tellement intense, que je me bute à beaucoup de préjugés. À Montréal, je m’habille comme je veux, je mets des crop tops, des shorts de chaudasse; je m’en fous.” Féministe qui n’aime pas se revendiquer comme telle -“car les gens qui crient sur les toits qu’ils sont féministes sont souvent remplis de contradictions”-, Safia Nolin préfère les gestes aux paroles. “Moi, j’ai arrêté de me raser et de porter des soutiens-gorge, mais je ne l’ai dit à personne”, résume-t-elle. Même si elle ne demande pas à tout le monde d’en faire autant. “Mon féminisme à moi, c’est faire des gestes concrets et radicaux dans mon quotidien, mais c’est aussi accepter que toutes les femmes ont le droit de faire tout ce qu’elles veulent.” Même de laisser, ou pas, pousser leurs poils comme des teckels.
Faustine Kopiejwski
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