Tous les vendredis, retrouvez les aventures de Romy Idol. Mecs, boulot, famille, quotidien: Romy, c’est nous en pire.
Depuis que je suis en âge de draguer, j’ai entendu pas mal de théories sur l’amour, les hommes, la vie. Vous savez, le genre de préceptes que les gens se murmurent entre eux d’un air entendu, comme s’ils étaient en train de se transmettre le secret de l’immortalité ou bien la recette de la potion magique d’Astérix. Je suis certaine que nous sommes nombreux à nous être fait asséner ces théorèmes sacrés, à respecter scrupuleusement sous peine de réduire à néant toute chance de séduire quiconque à tout jamais. Parmi ces dogmes inébranlables, figurent bien sûr l’idée qu’il ne faut pas rappeler avant trois jours, ou bien celle qu’il ne faut jamais être la dernière à répondre dans un échange de textos. Selon moi, l’assertion de loin la plus dangereuse est la suivante: “Un mec intéressé viendra toujours te chercher, aussi lointaine et inaccessible que tu sois”. En dehors du fait qu’elle encourage les filles, dès leur plus jeune âge, à ne prendre aucune initiative, cette loi intangible néglige un paramètre de taille: la timidité masculine, qui rend totalement caduque ce principe.
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Jules n’est pas timide, il est archi-timide. Jules devait être l’ado restant assis toute la soirée à une boum sans oser inviter une fille.
Jules est l’inconnue qui avait toujours manqué à mon équation pour démontrer l’invalidité de cette formule. Jules n’est pas timide, il est archi-timide. Jules devait être l’ado qui reste assis toute la soirée à une boum sans oser inviter une fille, voire qui préférait ne pas venir à la boum plutôt que d’avoir à faire la démarche d’inviter une fille. Pourtant Jules est assez beau gosse, et même carrément séduisant. Mais la timidité ayant peu à voir avec la rationalité, on ne peut pas dire qu’il ait souvent usé de ses charmes.
Une poignée d’années plus tard, nous sommes donc à une boum de presque trentenaires quand je demande à Jules, à côté de moi dans la cuisine, s’il n’a pas vu un tire-bouchon. À ce stade-là de la fête, je n’ai pas du tout pris conscience de son existence, puisque son corps essaye à tout prix de se fondre avec les murs pour passer le plus inaperçu possible. C’est tout juste s’il n’est pas en train de fumer sa clope derrière la porte pour être sûr que personne ne le verra. “Euh, non, euh, désolé…”, me répond-il. Impossible avec ce maigre échange, instantanément suivi d’une fuite dans la pièce à côté, d’imaginer que je viens de provoquer un crush chez un mec.
Ayant intériorisé le théorème infaillible du chasseur, je ne me rends absolument pas compte que je lui plais.
Quand mon chemin recroise celui de Jules une heure plus tard -en vérité, je n’ai pas changé de place, mais lui a décidé de pénétrer à nouveau dans l’arène- je suis toujours en train de gesticuler, une bouteille à la main, sans avoir de quoi l’ouvrir. Cette fois, Jules mobilise tout son courage pour émettre quelques mots sympas en me tendant un tire-bouchon. Reconnaissante que je suis, j’engage la conversation avec mon sauveur, en espérant que cela rendra Aurélien jaloux. Sauf qu’Aurélien est bien trop occupé à apprendre à dire bonjour en suédois auprès de sa nouvelle stagiaire, et ne voit rien de ma subtile manœuvre. À tel point qu’il quitte la pièce en compagnie de Miss Stockholm et me laisse en pleine discussion avec Jules. Ou plutôt en plein interrogatoire, car on ne peut pas dire que Jules soit très entreprenant. Ayant intériorisé le théorème infaillible du chasseur, je ne me rends absolument pas compte que je lui plais. Dommage car je commence à déceler un potentiel chez ce brun discret.
Face à son mutisme, je redouble de blagues et j’accélère mon débit, ce qui accentue un peu plus le malentendu qui s’installe entre nous, puisque forcément, Jules en déduit que je suis une fille hyper sûre de moi, habituée à me faire draguer en soirée et nécessairement pas intéressée par l’introverti de la boum. Moi qui ai passé la demi-heure avant la fête à parler devant ma glace pour m’entraîner à ne pas rougir…
Alors que nous approchons de chez moi, je me dis que la vie est mal faite et que j’ai encore déniché le seul mec gay et/ou maqué de la soirée.
Étant persuadée que nous ne sommes pas en train de flirter, je finis par proposer à Jules de partager un taxi quand l’heure est venue de rentrer. J’ai appris que nous étions voisins, autant mutualiser les frais de transport. Alors que nous approchons de chez moi, je me dis que la vie est mal faite et que j’ai encore déniché le seul mec gay et/ou maqué de la soirée. Je suis en train de farfouiller dans mon sac pour lui filer un peu de monnaie, au moment où cette scène absurde se produit: Jules me coupe la parole, m’attrape la main et m’embrasse précipitamment, avant de s’interrompre tout aussi brusquement et de bafouiller un “Chui désolé, je sais pas ce qui m’a pris”.
Aussi déconcertée que touchée par son élan maladroit, je lui propose de descendre aussi. Erreur: je lis la panique dans ses yeux à l’évocation d’un dernier verre chez moi, et je me rétracte immédiatement en lui suggérant que l’on se rajoute plutôt sur Facebook pour rester en contact, et éventuellement se revoir un de ces jours. Ce à quoi il me répond, soulagé: “Avec plaisir, je préfère qu’on n’aille pas trop vite”. Une réplique inattendue, complètement absente des manuels secrets de la drague transmis de génération en génération, et qui vient de faire voler en éclats toutes les théories fumeuses qu’on m’a trop souvent rabâchées. CQFD.
Romy Idol
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