On a rencontré Romy Alizée, la photographe qui se dévoile dans une série d’autoportraits à la gloire des désirs féminins.
Romy Alizée a 28 ans, un regard profond et une passion pour la photographie de nu. En arrivant à Paris, après ses études, elle a d’abord été modèle pour des photographes comme Gilles Berquet ou le regretté Ren Hang. Après cinq ans passés devant des objectifs essentiellement masculins, elle décide de passer derrière la caméra pour poser son propre regard sur ces corps déshabillés.
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Peu intéressée par le numérique -“Les écrans LCD, très peu pour moi. J’ai un rapport assez organique à la photo, je préfère largement le jeu de chimie et le matériel propres à l’argentique”-, elle choisit la pellicule. Et opte pour un noir et blanc qu’elle aime pour son aspect frontal et intemporel, parce qu’il laisse, selon elle, plus libre cours à l’imagination que la couleur. “Et puis pour son côté rock’n’roll”, ajoute-t-elle dans un sourire. Après plusieurs séries, où apparaissent ses proches, ses amis ou encore sa mère, elle se met désormais en scène dans un projet, intitulée Quand j’ai joui sur toi, qui explore la sexualité féminine.
Comment en es-tu venue à t’intéresser aux photographies de nu?
Déjà, quand j’étais ado, aux Sables d’Olonne, j’étais assez fascinée par le nu, je me disais “Si un jour je vais dans une grande ville, je poserai pour ce genre d’image”. Après des études à Nantes, je suis arrivée à Paris et j’ai participé à un premier projet. Le type m’a agressée sexuellement, je suis allée au tribunal, etc. Et là, les réactions de mon entourage ont vraiment été “Rhabille toi! Il ne faut plus faire ça, c’est dangereux!”. Je me rappelle avoir fini par dire à ma mère “Mais arrêtez de me faire chier, c’est pas moi le problème, c’est ce mec! On est là pour faire des photos d’art, il est pro, c’est pas à moi de me rhabiller, c’est à lui d’avoir un comportement irréprochable”. Bref, je me suis pris la culture du viol en pleine figure.
© Romy Alizée
Mais ça ne t’a pas arrêtée…
À l’époque, je n’avais pas encore eu de véritable éveil féministe, mais il était évident qu’il était hors de question de m’interdire un truc parce qu’un mec, en face, risquait de me violer. Donc j’ai décidé que j’allais faire de la photo, et que j’allais même aller plus loin que du nu classique. Au total, j’ai été modèle pendant cinq ans pour différents photographes, dont une écrasante majorité d’hommes, et il s’agissait souvent de clichés à connotation sexuelle. J’ai fini par faire mes propres photographies parce que je voulais montrer qu’on peut aussi être une fille et avoir ces fantasmes.
Tu as tout de suite commencé par du nu?
Non, j’ai commencé en faisant des photos plus traditionnelles, beaucoup de portraits, de photos du quotidien, pas des choses qui tiraient sur le glamour. Mais maintenant, j’ai envie de reprendre le contrôle sur ce regard que l’on a posé sur moi, montrer que oui, je suis une nana, et une nana aussi peut avoir ce genre d’envies. Mais le montrer, justement, avec un regard qui n’a rien à voir avec celui d’un homme. Et puis j’ai envie d’y mettre du recul et de l’humour, aussi, de jouer avec tous ces clichés sur les femmes qui dominent…
© Romy Alizée
D’où cette série intitulée Quand j’ai joui sur toi?
Ça me permet d’assouvir mon désir de faire de l’image érotico-porno, parce que c’est mon univers, ce que j’ai envie de montrer. Ça me permet d’explorer les possibilités de la sexualité d’une fille de moins de 30 ans. Et puis comme ça, je peux le faire dans un cadre que je contrôle totalement, il ne peut rien m’arriver. Pour cette série précise, j’ai été assez inspirée par le travail du dessinateur japonais Namio Harukawa par exemple, avec tout cet imaginaire érotique, ces femmes énormes qui s’assoient sur des hommes. Je trouve ça génial, mais encore une fois, c’est un homme qui est derrière ces dessins. Du coup, je me suis dit que ce serait encore mieux de transposer ça en étant justement celle qui prend la photo et qui se met en scène. Et j’y travaille, la série est en cours.
Quelles sont femmes qui t’inspirent?
Dans la photo, il y en a plusieurs, même si elles ne sont pas directement liées au style érotico-porno que je développe. De toute façon, dans ce domaine, il n’y a quasiment pas de femmes! Il y a Cindy Sherman qui faisait beaucoup d’autoportraits, Nan Goldin parce qu’elle a photographié tout son quotidien et que c’est un journal intime incroyable, Dorothée Smith aussi, et son travail sur l’identité… Mais plus directement, je suis inspirée par ce que je vois, et dans ce domaine-là, c’est plutôt dicté par le regard des hommes. Je travaille un peu en réaction à cela, sans pour autant nier la qualité de leur travail.
“J’ai lu Beauté fatale sur la plage, soit précisément à un moment où j’étais en maillot de bain, un peu en train de guetter tel ou tel bourrelet, et le livre m’a remis les idées en place.”
Et puis il y a des femmes qui m’ont boostée dans ma réflexion: le livre de Mona Chollet, par exemple, a été très libérateur du point de vue du rapport à mon corps, à la nudité. J’ai lu Beauté fatale sur la plage, soit précisément à un moment où j’étais en maillot de bain, un peu en train de guetter tel ou tel bourrelet, et le livre m’a complètement remis les idées en place. J’ai beaucoup aimé King Kong Théorie aussi, que j’ai fait lire à des copines. Certaines l’ont trouvé un peu déprimant, certes, mais c’est un bon livre.
Propos recueillis par Mathilde Saliou
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