Contre le blues de la rentrée nous avons la solution: une sélection de 12 romans inspirants et féministes qui devraient vous faire oublier les vacances.
On n’a jamais autant parlé des autrices de la rentrée littéraire que cette année. C’est tant mieux et amplement mérité: la barre est haute avec le retour de grandes autrices consacrées et l’émergence de jeunes figures enthousiasmantes. Suivez le guide!
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Bleuets, de Maggie Nelson (Éditions du sous-sol)
Ça raconte quoi: Après le succès des Argonautes, sorti en 2018, les Éditions du sous-sol publient l’essai de Maggie Nelson Bleuets. Magnifiquement traduit par Céline Leroy, il raconte par fragments la passion de l’autrice pour la couleur bleue. Elle déroule ce fil de page en page en évoquant des scientifiques, des artistes, des auteurs et autrices, des fleurs et des océans, des cinéastes et des séances de cinéma, des mots prononcés par son amie qui a souffert d’un accident, des anecdotes historiques, le tout mêlé de ses impressions personnelles et de l’histoire d’une rupture particulièrement douloureuse.
Pourquoi on le recommande: Parce que Bleuets est aussi harmonieux que le bruit des vagues et que l’écriture intime de Nelson vous captivera en vous entraînant de référence en référence. Son érudition n’a d’égale que la poésie de son écriture et son essai est un voyage irrésistible au cœur des sensations et de la richesse de la mémoire. Comme toujours avec Nelson, l’essai est traversé de réflexions profondes sur le genre et le féminisme. Elle ne manque jamais de glorifier une autrice et de tacler le sexisme d’une situation ou d’un grand écrivain. Un immanquable de la rentrée et une magnifique ode à la mélancolie.
Traduit de l’anglais par Céline Leroy
Souvenirs de l’avenir, de Siri Hustvedt (Actes Sud)
Ça raconte quoi: À 61 ans, Siri Hustvedt tombe chez sa mère sur un journal qu’elle tenait alors qu’elle n’avait que 23 ans et qu’elle venait de déménager à New York pour devenir écrivaine. L’autrice décide alors d’écrire un roman qui mêle des souvenirs du passé, des fragments de son journal et des extraits d’un roman jamais publié. Une réflexion drôle et passionnée sur la place des femmes sur la scène artistique de la fin des années 70.
Pourquoi on le recommande: Parce que le septième roman de Hustvedt est un entrelacs de récits fascinants d’un féminisme féroce. On y croise des sorcières, des artistes qui démontent le milieu ultra-patriarcal du monde de l’art, des figures littéraires du passé, des écrivaines oubliées… Magistralement écrit, ce millefeuille de souvenirs est un véritable voyage dans l’esprit d’une femme brillante. Hustvedt raconte aussi la manière dont son regard a changé sur certains sujets comme la masturbation (qu’elle désignait par une périphrase dans son journal) ou sur le viol qu’elle a subi et qu’elle raconte dans le roman. Les sujets difficiles sont toujours surmontés grâce à ses amies et aux poétesses qu’elle lit sans relâche. Une ode inspirante à la sororité.
Traduit de l’américain par Christine Le Bœuf
La Maison, d’Emma Becker (Flammarion)
Ça raconte quoi: “J’ai toujours cru que j’écrivais sur les hommes, écrit Emma Becker dans La Maison. Avant de m’apercevoir que je n’écris que sur les femmes.” L’autrice de Mr. a passé deux ans dans une maison close berlinoise, où elle est devenue travailleuse du sexe. Elle raconte les hommes -sympathiques ou médiocres-, le sexe, ce qu’elle apprend avec eux. Mais elle raconte surtout les femmes, celles qu’elle côtoie chaque jour à la maison et à qui elle donne enfin l’occasion de s’exprimer pleinement, loin des préjugés et des clichés.
Pourquoi on le recommande: Au premier abord, l’entreprise d’Emma Becker semble périlleuse. Comment écrire un livre sur une maison close sans porter de jugement rapide, sans enjoliver les situations, sans verser parfois dans le misérabilisme? En se questionnant à chaque page, semble répondre Emma Becker. En laissant la parole aux femmes et en remettant systématiquement en question le statut de “l’Autrice” qui se drape dans sa supériorité. Emma Becker ne prétend jamais qu’elle a tout compris de la prostitution: elle préfère dresser le portrait tout en complexité des femmes qu’elle croise. Elle montre tout ce qu’elles se disent et ne se disent pas entre deux clients. Un roman puissant de la sororité où les hommes ne sont que des personnages secondaires.
Une Bête au paradis, de Cécile Coulon (Éditions L’Iconoclaste)
Ça raconte quoi: Blanche a perdu ses deux parents dans un accident de voiture. Depuis, elle vit seule avec sa grand-mère Emilienne et son frère Gabriel au Paradis. Le Paradis, c’est le nom de la ferme que les deux femmes défendent comme leur vie. Leur équilibre est menacé lorsque Blanche tombe amoureuse d’Alexandre, un jeune homme ambitieux.
Pourquoi on le recommande: Dans ce roman rural, les femmes tiennent les rôles principaux: elles travaillent la terre, elles défendent leur territoire, elles assument leurs désirs. Avec son écriture précise et tranchante, Cécile Coulon décrit méticuleusement la dangerosité des hommes qui tentent de forcer leur entrée dans ce paradis. Une réécriture glaçante et féministe du jardin d’Éden, où l’on est suspendu aux faits et gestes de Blanche et Émilienne. Haletant.
La Mer à l’envers, de Marie Darrieussecq (P.O.L)
Ça raconte quoi: Rose embarque avec ses deux enfants pour une croisière. Une idée de sa mère. Alors qu’elle traîne sur le pont un soir, elle assiste au sauvetage d’une embarcation fragile qui compte à son bord des hommes et des femmes qui fuient le Niger. Sur un coup de tête, Rose fait don du portable de son fils à un jeune garçon, Younès. Sans tout à fait le vouloir, leurs deux vies vont se lier. Rose se retrouve à un croisement de sa vie. Est-il temps pour elle d’être solidaire et de mettre en pratique ses idées de gauche?
Pourquoi on le recommande: Parce que le roman de Marie Darrieussecq est non seulement très juste sur la solidarité et l’état de la société française, mais il est aussi une réflexion sur la charge mentale de chaque femme au sein d’une famille. Elle montre avec beaucoup de finesse le poids qui pèse sur les épaules de Rose: elle doit s’occuper des siens, ne pas blesser son mari, protéger ses enfants de la pollution, des désastres écologiques, des menaces terroristes, elle doit être féministe mais pas trop. L’autrice montre la manière dont aider Younès, sans penser à sa famille, va aider Rose à faire face à sa propre situation.
Embrasements, de Kamila Shamsie (Actes Sud)
Ça raconte quoi: Le roman est né d’une suggestion faite à Kamila Shamsie: qu’elle écrive une version moderne d’Antigone qui se déroulerait dans une famille anglaise d’origine pakistanaise. Embrasements raconte la manière dont deux sœurs réagissent à l’annonce que leur frère a rejoint les rangs de Daesh en Syrie. La plus grande, Isma, décide de protéger sa famille et de lui tourner le dos. La plus jeune, Aneeka, cherche à l’aider à revenir en Angleterre en séduisant un jeune homme dont le père vient d’être nommé au gouvernement. Le roman a été sélectionné dans la short list de l’un des plus prestigieux prix littéraires, le Man Booker Prize.
Pourquoi on le recommande: Le roman de l’autrice anglo-pakistanaise Kamila Shamsie parle de loyauté, du sentiment d’appartenance à une famille et à un pays, des liens familiaux, de deuil… Mais aussi de la difficulté d’être une femme racisée et voilée dans le contexte politique actuel, en Angleterre et aux États-Unis. À travers le personnage d’Aneeka, Shamsie traite de l’islamophobie que subissent les femmes musulmanes, de leur exotisation et de leur difficulté à faire entendre leurs voix. Une réflexion sur la religion, la culture et ce que l’on doit aux membres de sa famille.
Traduit de l’anglais par Eric Auzoux
Un Mariage américain, de Tayari Jones (Plon)
Ça raconte quoi: Une histoire d’amour trop courte, celle de Celestial et Roy. Après seulement un an de mariage, Roy est arrêté par une police raciste pour un crime qu’il n’a pas commis. Célébrée comme l’une des autrices les plus passionnantes de sa génération, notamment pour sa manière extrêmement fine de dépeindre le racisme outre-Atlantique, Tayari Jones a obtenu pour ce roman le prestigieux Women’s Prize for Fiction 2019.
Pourquoi on le recommande: Le roman de Tayari Jones est profondément politique: il analyse les rouages du système carcéral américain, le racisme de la société et ses conséquences directes et indirectes, et la situation de la classe moyenne noire américaine. C’est aussi une œuvre profondément féministe: à travers le personnage de Celestial, Jones analyse toutes les attentes qui continuent à peser sur les femmes. Fidélité, maternité… Roy continue d’attendre de sa partenaire qu’elle soit une épouse parfaite, quitte à laisser ses ambitions artistiques derrière elle. Comment être une femme pleinement libre tout en soutenant son mari injustement incarcéré? Comment s’émanciper sans dépendre d’un système dominé par les blancs? Un roman déchirant et passionnant.
Traduit de l’anglais par Karine Lalechère
Ce qu’elles disent, de Miriam Toews (Buchet Chastel)
Ça raconte quoi: La colère gronde dans la communauté mennonite de Manitoba en Bolivie. Cela fait quatre ans que les femmes du groupe subissent la nuit les sévices des hommes. Certaines sont violées, d’autres frappées. Un jour, elles décident de profiter de l’absence de leurs maris et de leurs garçons pour se mettre d’accord sur leur avenir commun. Elles organisent une grande réunion pendant laquelle les langues se délient. L’autrice du roman, Miriam Toews, a elle-même grandi dans une communauté mennonite et connaît bien ce mouvement religieux anabaptiste très conservateur.
Pourquoi on le recommande: Inspiré d’un fait divers, Ce qu’elles disent est une parabole saisissante du mouvement #MeToo. Que se passe-t-il quand les femmes décident de prendre la parole? Comment s’organisent-elles? Quels sont leurs points d’accord et de désaccord? Comment surmonter ces derniers? Et surtout: que faire des hommes? Faut-il les quitter ou les éduquer? Faut-il porter la charge de leurs fautes? En alternant humour et gravité, Miriam Toews analyse comment naît l’esprit de sororité dans une communauté malgré le poids écrasant de la religion et de la société.
Traduit de l’anglais par Lori-Saint-Martin et Paul Gagné
Dans la fureur du monde, de Chris Kraus (Flammarion)
Ça raconte quoi: Malgré sa richesse, son succès dans l’immobilier et sa place proéminente sur la scène artistique américaine, Catt a un désir de mort. Pour l’assouvir, elle se rend sur des sites SM pour rencontrer des hommes qui pourraient éventuellement accepter de la tuer. Mais, alors qu’elle a trouvé un bourreau, elle se débine. Elle décide de quitter Los Angeles pour Albuquerque afin de faire prospérer son business immobilier. Là-bas, elle rencontre Paul, un ancien alcoolique tout juste sorti de prison avec qui elle entame une relation complexe de domination.
Pourquoi on le recommande: Parce qu’on attendait avec impatience de lire un roman de Chris Kraus après I Love Dick, traduit en 2016. Dans la fureur du monde tient ses promesses et porte un regard acerbe non seulement sur la société patriarcale mais aussi sur le capitalisme. Kraus analyse la gentrification dans les villes, les rouages impitoyables de la justice américaine, la vacuité du monde de l’art, l’Amérique du début des années 2000 et l’absurdité d’une société qui enrichit systématiquement ceux qui en ont le moins besoin. Elle délimite la fin nette et précise de l’American Dream.
Traduit de l’anglais par Alice Zeniter
Eden, de Monica Sabolo (Gallimard)
Ça raconte quoi: Le roman se déroule dans une réserve dans un pays dont on ignore le nom. Nita et Lucy ont tissé une amitié adolescente. Contrairement à Nita, Lucy n’est pas née dans la réserve. Elle vient d’ailleurs et sa réputation est vite faite: elle s’habille trop court, elle parle aux garçons dans la forêt, elle n’inspire pas confiance. Lorsqu’elle est violée une nuit et retrouvée en sang au pied d’un arbre, Nita n’a qu’une idée en tête: la venger.
Pourquoi on le recommande: Eden est un conte initiatique qui ne semble ancré dans aucun lieu ni dans aucune époque. Pourtant, avec ses personnages féminins forts et revanchards, qui se baladent dans la forêt et lancent des sorts, il s’inscrit parfaitement dans le renouveau de l’écoféminisme et dans le retour de la figure de la sorcière et de la magie. Un roman poétique sur la puberté, l’amitié féminine et les dangers que l’on voudrait pouvoir faire disparaître d’un coup de baguette magique.
Mon Année de repos et de détente d’Ottessa Moshfegh (Fayard)
Ça raconte quoi: L’héroïne d’Ottessa Moshfegh a tout pour elle: elle est belle, elle est riche, elle est intelligente, et son flegme naturel lui a permis de s’intégrer dans un monde de l’art cynique et nombriliste sans faire le moindre effort. Pourtant, elle a envie de ne plus réfléchir. Peut-être à cause de ses deux parents, morts à quelques semaines d’écart. Peut-être à cause de son amie Reva, avec qui elle entretient une relation d’amour-haine. Pour fuir ses problèmes existentiels, elle a une solution: dormir. La narratrice va courir après les somnifères pour trouver enfin la paix.
Pourquoi on le recommande: Dans la série culte des années 90 Seinfeld, les trois héros se vantaient d’avoir un show qui “ne parle de rien”. Au premier abord, le second roman de l’autrice américaine est ainsi: il ne parle de rien. Juste d’une fille qui veut dormir. La négation de tout suspense. Sauf qu’il parle, avec humour, de tout. En poussant notre obsession pour le self-care jusqu’à son point culminant burlesque (dormir H24), elle dresse le portrait acerbe et juste d’un monde qui n’a plus beaucoup de sens. Du monde de l’art à la bourgeoisie new-yorkaise en passant par les hommes obsédés par leur jouissance personnelle et par les injonctions impossibles imposées par le monde de la mode, Ottessa Moshfegh n’épargne rien. Jouissif, féministe et surtout très drôle.
Traduit de l’anglais par Clément Baude
La Fracture de Nina Allan (Éditions Tristram)
Ça raconte quoi: Un jour comme un autre, Julie, 17 ans, disparaît. Elle laisse derrière elle une mère murée dans son silence, un père prêt à tout pour croire à son retour et une sœur sonnée par le chagrin. Quand Julie téléphone à cette dernière 20 ans plus tard, leurs retrouvailles soulèvent de nombreuses questions.
Pourquoi on le recommande: Parce que le roman de Nina Allan ne ressemble à aucun autre. La narration oscille entre le point de vue de la jeune sœur, des lettres en forme de confession, des contes, des coupures de presse, des livres imaginaires d’un autre monde… Nina Allan dresse une cartographie complète du chagrin et de l’impossibilité d’un deuil sans corps, en faisant des détours magistraux vers le fantastique et la science-fiction. Comment cette absence construit-elle la vie d’une femme et sa relation aux hommes? Comment la fait-elle basculer dans un monde solitaire? Un roman à la fois poétique et haletant, que vous ne lâcherez pas avant d’avoir tourné la dernière page.
Traduit de l’anglais par Bernard Sigaud
Pauline Le Gall
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