À l’occasion de la sortie de son deuxième roman Le Saut du requin, Romain Monnery, 33 ans, décrit un couple de trentenaires qui ne fait pas rêver. Nous avons soumis l’auteur à une interview “L’Amour est-il foutu?”.
[Cet article a été initialement publié en janvier 2014]
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Romain Monnery, 33 ans, est un produit de son époque. Né en 1980 à Lyon, le jeune auteur a fait des études de langues étrangères appliquées avant d’enchaîner les stages et de se demander ce qu’il allait bien pouvoir faire de sa vie, lui qui est “très lent à prendre des décisions”. Il aurait pu devenir journaliste mais il a préféré écrire des livres, même s’il a toujours entendu “que ce n’était pas un métier”. Bercé par la pop culture d’aujourd’hui, il le dit lui-même, il préfère “les séries à La Grande librairie”, cite The Wire, Seinfeld et Les Soprano dans son top 3 et affirme ne savoir faire “qu’une seule chose à la fois”.
Après un premier roman -bientôt adapté au cinéma– évoquant une génération précaire et désillusionnée, il dépeint dans Le Saut du requin, en librairies aujourd’hui, un couple de trentenaires passablement déprimant. D’un côté, Méline, jeune femme plutôt molle, incapable de s’imposer, est follement amoureuse de Ziggy, pathétique personnage qui fait de sa liberté sexuelle un devoir et de son arrogance un accessoire permanent. Avant que la situation ne s’inverse, sans pour autant être réjouissante. Roman générationnel caricatural ou annonciateur d’une ère amoureuse nouvelle? Difficile de trancher. Pour y voir un peu plus clair, nous avons soumis son auteur à une interview “L’Amour est-il foutu?”.
C’est quoi l’amour aujourd’hui selon toi?
C’est compliqué. Les gens ont un problème avec l’engagement mais en vrai, je ne crois pas que ça ait tellement changé. Les difficultés à s’engager existaient déjà avant mais aujourd’hui, elles sont davantage culturelles que structurelles. Le contexte technologique et médiatique encourage le non-engagement, le couple est présenté comme un temps mort ou un temps faible et non pas comme un accomplissement. Sans parler du fait que la mise en scène de soi, omniprésente avec les réseaux sociaux, se prête plus au célibat qu’au couple.
“Le couple ne devient intéressant que dans la tragédie, à l’image de l’amour impossible, car ce dernier échappe à l’usure du quotidien.”
Le couple, c’est chiant?
Non, je ne pense pas mais on nous a appris à penser comme ça. Peut-être que j’ai regardé trop de séries et trop de films mais c’est vrai que, dans les séquences narratives, quelles qu’elles soient, le couple ne fait pas rêver. Il n’y a qu’à voir le mariage dépeint par Judd Apatow dans son dernier film. En fait, le couple ne devient intéressant que dans la tragédie, à l’image de l’amour impossible, car ce dernier échappe à l’usure du quotidien.
Le couple de ton roman, formé par Méline -prête à tout accepter par amour- et Ziggy -loser notoire lâche et prétentieux- est désespérant, non?
Méline, c’est une feuille morte qui n’a pas vraiment d’avis. Elle voit en Ziggy un mec hyper sûr de lui et elle tombe amoureuse de cette assurance plus que de lui. Ziggy, lui, est un homme inadapté. Il est pétri de certitudes, on lui a inculqué l’idéologie de la starification. Sa mère l’a programmé pour qu’il aspire à être une vedette. Ça colle bien avec l’époque du vide dans laquelle nous vivons, cette ère du préfabriqué dans laquelle la machine médiatique s’emballe pour ce genre de personnages.
C’est ça, le couple moderne?
Le couple moderne, c’est Jacques Dutronc et Françoise Hardy. C’est un peu le point de départ du livre. Je ne dis pas que ça a été une succession de grâce et de réussite mais aujourd’hui, quand je les vois parler l’un de l’autre, ça me fait rêver. Il y a entre eux quelque chose de fraternel dépassant le côté charnel qui, lui, finit toujours par se déliter.
“Autour de moi, j’ai pu observer un certain dilettantisme amoureux. Les gens ont du mal à officialiser leurs relations.”
Le couple n’est-il plus qu’un CDD précaire et renouvelable à l’infini?
Nous faisons partie d’une génération qui a vu ses parents se séparer donc on a conscience que le couple n’est pas éternel. La vie à deux est un contrat. Il stipule: “J’aime la personne que tu es à un instant T donc mettons-nous ensemble.” Ensuite, chacun va évoluer: changer et parvenir à accorder tous ces changements représente une équation avec beaucoup trop d’inconnues. En plus, aujourd’hui, la société impose le changement: on change de boulot, les crises existentielles sont encouragées, etc. Les chemins sont plus tortueux qu’autrefois donc marcher côte-à-côte est devenu plus difficile.
L’amour est un produit qui se consomme alors?
Autour de moi, j’ai pu observer un certain dilettantisme amoureux. Les gens ont du mal à officialiser leurs relations. Et puis, je pense que ce dilettantisme est encouragé: entre Tinder et les pubs pour les sites de rencontres adultères dans le métro… Enfin, il faut être actif: quand tu es dans l’inertie, une chape de culpabilité s’abat sur toi. C’est un peu déprimant. Dans mon roman, j’essaie d’en rire et dans la réalité, je ne sais pas s’il faut le déplorer ou l’accepter. D’ailleurs, c’est un peu tôt pour le dire.
Vouloir tout en même temps, ne pas supporter la moindre frustration, c’est la mort du couple, non?
Disons que ça complique la volonté de s’engager. Je parle d’un point de vue masculin mais il y a toujours la hantise de passer à côté de quelque chose et cette petite phrase qui tourne en boucle dans la tête: “Pourquoi passer à la caisse alors que je suis en libre-service?” Il y a un côté “supermarché”.
“Finalement, la misère affective est surtout dure à vivre d’un point de vue social.”
Tu écris que les hommes vivent dans la peur de ne pas être à la hauteur, et que les femmes, elles, sont exigeantes et veulent tout et son contraire, c’est gai dis donc…
C’est sûrement un peu une facilité de l’écrire mais c’est l’impression que j’ai. L’époque se prête davantage à l’affirmation de soi et de ses désirs qu’auparavant. J’ai connu des hommes qui vivaient mal le fait d’être en concurrence avec des sextoys par exemple. Et une femme, animée par son intolérance à la frustration, peut très bien décider d’aller voir ailleurs.
Pourquoi continue t-on à se mettre en couple?
Il y a une hantise de la solitude qui subsiste et qui n’a jamais été aussi présente alors que, paradoxalement, il n’a jamais été aussi facile de rencontrer des gens. Le célibat subi est donc souvent perçu comme une anomalie. Et puis, ça dépend du milieu socio-culturel dans lequel tu évolues. Beaucoup d’entre nous associent encore la solitude à un sentiment de tristesse et de malaise. Finalement, la misère affective est surtout dure à vivre d’un point de vue social.
En matière d’amour, les gens préfèrent-ils le confort au bonheur?
Non, je n’irais pas jusque-là, mais il y a peu de gens qui privilégient la passion, qui font de l’amour une profession de foi. Il me semble que vient un âge où la raison balaye tout.
Qu’est-ce qui pourrait sauver l’amour?
Daniel Balavoine. Une panne d’Internet généralisée. L’éradication de tous les publicitaires du monde.
Propos recueillis par Julia Tissier
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