Depuis plusieurs années, des collectifs féministes ou anonymes organisent des ateliers d’auto-gynécologie, et participent au retour du mouvement self-help. Prise de conscience face aux violences gynécologiques ou besoin de se réapproprier leurs corps, de plus en plus de femmes y participent, comme moi.
Une à deux fois par mois, Cluny* et Chloé*, la trentaine, organisent des ateliers d’auto-gynécologie par l’intermédiaire de leur collectif Les Flux, dans les locaux d’une association du 13ème arrondissement de Paris, ouverts aux femmes et hommes trans. C’est avec elles que je vais m’auto-examiner pour la première fois. “Mon premier atelier d’auto-examen, c’était il y a deux ans, et j’en suis ressortie émerveillée, en me disant que tout le monde devait savoir que ça existait”, m’explique Chloé. Les ateliers d’auto-examen ne sont en réalité pas une nouveauté. Appelé self-help, ce mouvement est né dans les années 1970 aux États-Unis, avec pour but de se réapproprier son corps et les savoirs médicaux. Et c’est toujours ce qui motive celles qui pratiquent l’auto-gynécologie, 40 ans plus tard.
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“Nous sommes nombreuses à penser que notre vulve n’est pas normale”
“Nous ne sommes ni soignantes, ni formatrices, nous ne donnons pas de conseils médicaux, précise Cluny au début de l’atelier. Notre but n’est pas du tout de remplacer les médecins, mais de partager nos connaissances.” L’ambiance de l’atelier n’est clairement pas celle d’un cabinet de gynécologie. Je m’installe sur un tapis de yoga et un coussin de maternité plutôt que sur des étriers. Les magazines féminins ont été remplacés par une littérature bien plus engagée: Vagin Tonic, Le Grand mystère des règles, S’armer jusqu’aux lèvres… Âgées de 20 à 40 ans, nous sommes six femmes à participer à l’atelier pour la première fois. Nous sommes là par curiosité, militantisme, ou suite à de mauvaises expériences chez le gynécologue. Sur le moment, je suis un peu gênée: je ne me vois pas du tout m’examiner la vulve devant des inconnues. Mais l’atelier, qui va durer quatre heures, débute comme un groupe de parole. “Vous avez plein de questions sur le cycle menstruel, on peut commencer par là si vous voulez”, propose Chloé pour lancer la discussion. Pendant deux heures, la parole se libère. Plusieurs d’entre nous partagent leurs témoignages, un gynécologue qui n’a pas voulu poser de stérilet (plutôt appelé DIU) à une femme sans enfant, les effets secondaires de la pilule, une interruption volontaire de grossesse, la découverte de son clitoris…
“Je réalise que, si j’ai galéré plus jeune à mettre correctement des tampons, c’est parce que je pensais que mon vagin remontait tout droit dans mon corps.”
Les sujets à aborder sont encore nombreux, mais le temps passe, Cluny et Chloé proposent d’attaquer une phase un peu plus théorique. Un appareil génital féminin en 3D et de nombreuses photos de vulve nous aident à y voir plus clair. “Nous sommes nombreuses à penser que la nôtre n’est pas normale, que nos grandes lèvres sont difformes, leur couleur un peu bizarre”, détaille Chloé. Je me rends compte que les schémas de nos manuels de sciences au collège, et “même ceux que l’on montre en cours de médecine” confie une participante, sont très loin de la réalité. Je réalise aussi que, si j’ai galéré plus jeune à mettre correctement des tampons, c’est parce que je pensais que mon vagin remontait tout droit dans mon corps. Découvrir plus précisément son anatomie permet aussi de comprendre à quoi servent certains examens gynécologiques, comme le toucher vaginal. Aucun médecin n’avait jamais pris la peine de m’en informer. Cluny et Chloé nous expliquent comment manier le spéculum pour ne pas se faire mal et chercher notre col de l’utérus, qui ne sera sans doute pas bien aligné avec notre vagin.
© Juliette Loiseau pour Cheek Magazine
“Prenez le temps d’explorer pour trouver votre col de l’utérus”
Avant de passer à l’auto-examen, Chloé propose que l’on observe sur elle. La jeune femme se met face à nous, et nous montre à l’aide d’un miroir et d’une lampe torche, comment positionner le spéculum pour trouver son col. “Soyez bien détendues, et allez-y tranquillement, prenez le temps d’observer votre vulve, votre vagin et d’explorer pour trouver votre col de l’utérus, conseille-t-elle. En fonction de votre cycle, il sera plus ou moins facile à trouver.” À la regarder faire, cela a l’air plutôt simple. Quelques minutes plus tard, c’est à notre tour d’explorer ce qu’il y a en nous. Chaque participante s’installe, derrière un paravent improvisé ou au milieu de la pièce, en fonction de sa pudeur. L’auto-examen semble bien moins évident que la démonstration de Chloé: l’insertion du spéculum et l’observation du vagin ne posent pas de problèmes, mais apercevoir son col de l’utérus est moins aisé. Certaines de mes camarades le trouvent rapidement et semblent enthousiasmées par leur découverte! Cluny rassure celles qui n’y parviennent pas, “il faut souvent plusieurs auto-examens pour vraiment se connaître”.
“Je reconnais avoir le sentiment de me connaître au moins un peu mieux.”
L’atelier se termine. Je ressens malgré tout la même sensation qu’après être passée chez le gynéco, comme si j’avais dérangé une partie de moi qui préfère être bien cachée. Personne n’a vraiment envie de parler de ses observations, mais la plupart des participantes semblent ravie de cet auto-examen! Je reconnais avoir le sentiment de me connaître au moins un peu mieux, et de m’être réappropriée une partie de mon corps. Certaines évoquent leur volonté de partager l’expérience et pourquoi pas, à leur tour, d’organiser ce type d’atelier, encouragées par Chloé et Cluny. “N’hésitez surtout pas si vous avez l’intention d’animer un groupe d’auto-gynécologie, car il n’y a qu’en propageant cette pratique que toutes les femmes** pourront renouer avec leur vulve!”
Juliette Loiseau
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