Vous êtes perdu·e·s parmi les 524 romans de la rentrée littéraire? Pas de panique, nous avons sélectionné pour vous onze autrices qui publient des premiers romans aussi féministes que passionnants.
De la sororité, des relations mères/filles, de l’humour qui émerge aux endroits les plus inattendus, du sexe et des orgasmes, des voyages à l’autre bout du monde dans le froid du Kamtchatka, des Irlandaises qui déclament leurs poèmes dans des bars, une immersion dans le Paris du XIXe siècle… Les romans de la rentrée littéraire racontent autant d’horizons différents et inattendus. Leur point commun? Tous ces premiers romans ont été écrits par des femmes et sont portés par des personnages féminins forts. Petit récapitulatif des livres que vous pourrez glisser dans votre sac ces prochaines semaines.
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Tous tes enfants dispersés, de Beata Umubyeyi Mairesse (Éditions Autrement)
Ça raconte quoi: L’histoire d’une famille de Rwandais, dispersés entre leur pays d’origine et la France. Il y a Immaculata, la grand-mère, restée vivre là-bas. Il y a le frère, Bosco, qui plane sur le roman comme un fantôme. Il y a Blanche, la fille et la sœur, partie refaire sa vie en France pour fuir le génocide. Et son fils Stokely. Dans ce roman, qui se déroule entre le Rwanda et la France, chacun·e essaie de comprendre l’histoire de l’autre afin de rassembler, enfin, les pièces du puzzle familial et de réparer ce qui peut l’être. L’autrice mêle un récit intime et universel des liens familiaux et une analyse fine des répercussions du génocide des Tutsi.
Pourquoi on le recommande: Tous tes enfants dispersés est avant tout un récit poétique de la force des femmes, de la manière dont chaque mère essaie de faire ce qu’elle peut pour transmettre son histoire, aussi douloureuse qu’elle soit. Le roman parle d’exil, de culpabilité, de deuil, de pardon, de colonisation, du rapport entre la France et le Rwanda avant et après le génocide. Il est traversé de magnifiques réflexions féministes, notamment sur la manière dont l’histoire des femmes a été appropriée et racontée par les hommes. Son roman leur redonne le récit qu’elles méritent.
Son corps et autres célébrations, de Carmen Maria Machado (Éditions de l’Olivier)
Ça raconte quoi: Le premier roman de l’autrice américaine de 33 ans Carmen Maria Machado se compose de sept nouvelles. On y croise des personnages féminins passionnants: une femme qui refuse que son mari retire le ruban mystérieux qu’elle porte autour du cou, une jeune écrivaine névrosée qui se retrouve en résidence d’écriture, une femme qui subit une chirurgie bariatrique… Le recueil explore les névroses et les bizarreries de notre société contemporaine.
Pourquoi on le recommande: Pour la voix unique que Machado impose à chaque page. Un mélange détonnant d’humour tordu, d’écriture précise et imagée, d’absurde, d’histoires d’amour queer et d’un féminisme féroce. Ses expérimentations permanentes sur les formes fictionnelles (dans une de ses nouvelles, elle suggère des bruitages aux lecteurs, dans une autre elle imagine de faux synopsis de New York Unité Spéciale) sont un outil pour traiter des sujets comme les violences conjugales, le consentement, la grossophobie, les relations abusives… En s’éloignant totalement du naturalisme. Le résultat n’en est que plus percutant.
Traduit de l’anglais par Hélène Papot.
Le Bal des folles, de Victoria Mas (éditions Albin Michel)
Ça raconte quoi: Le roman commence le 3 mars 1885 à l’hôpital de la Salpêtrière, une quinzaine de jours avant la mi-Carême. Chaque année se tient “le bal des folles”, une fête pendant laquelle les femmes internées, pour la plupart des patientes du docteur Charcot, se déguisent et dansent devant un parterre d’invités. Le premier roman de Victoria Mas (la fille de Jeanne) suit le destin de quelques-unes des femmes de la Salpêtrière: Eugénie, internée de force par son père, Geneviève, une infirmière hantée par la mort de sa sœur ou encore Thérèse, pensionnaire de longue date. Toutes sont les victimes d’un système injuste prêt à enfermer les femmes pour un oui ou pour un non. Le roman s’intéresse aux méthodes utilisées et théorisées par les médecins de l’époque pour soigner l’“hystérie”.
Pourquoi on le recommande: Parce que le sujet est passionnant et que Victoria Mas réussit avec beaucoup de talent à recréer une époque tout en dressant des parallèles avec la situation actuelle des femmes à travers le monde. Elle explore la complexité de ses personnages et met en lumière le poids que la société a fait peser sur chacune d’elles et la manière dont leur milieu social a influencé celles qu’elles sont devenues. Le récit, teinté de fantastique, est avant tout une histoire de sororité qui rend hommage à la manière dont les femmes peuvent s’entraider face à la violence arbitraire du patriarcat.
À la demande d’un tiers, de Mathilde Forget (Éditions Grasset)
Ça raconte quoi: La narratrice du premier roman de la chanteuse, compositrice et autrice Mathilde Forget vient de faire interner Suzanne, sa sœur. Elle vient aussi de se séparer de sa copine. Au fil de son introspection, elle se retrouve à chercher des réponses sur le suicide de sa mère, à enquêter sur les requins, à passer des matinées dans un aquarium et à manger du miel avec sa grand-mère. Fascinée par les détails du quotidien, la narratrice mêle à son monologue intérieur des faits glanés sur Internet qui lui permettent de se raccrocher au réel.
Pourquoi on le recommande: Parce que Mathilde Forget réussit à faire émerger un humour aussi irrésistible qu’unique dans un roman qui parle majoritairement de maladies mentales, de suicide, de culpabilité et de rupture. Vous tomberez forcément sous le charme de cette narratrice et de sa haine viscérale pour le Bambi de Disney, de son humour noir et de sa rage maîtrisée. L’autrice tisse aussi une réflexion personnelle et passionnante sur la figure de la mère et son omniprésence dans la fiction et dans la vie quotidienne. Comment vivre sans cette présence tutélaire?
L’incivilité des fantômes, de Rivers Solomon (Éditions Aux Forges de Vulcain)
Ça raconte quoi: Fuyant une terre dévastée, un équipage de survivants a pris place à bord du vaisseau Matilda pour voguer vers un ailleurs incertain. En son sein, les inégalités font rage entre les riches, majoritairement blancs, et les pauvres, forcés à l’esclavage. Mais une rébellion se prépare, portée par la jeune Aster.
Pourquoi on le recommande: À la manière d’Octavia Butler ou de Nnedi Okorafor, Rivers Solomon -qui se définit comme trans et utilise le pronom they/them- se sert de la science-fiction pour parler non seulement de l’histoire des noir·e·s américain·e·s sur les plantations mais aussi de la société dans laquelle nous vivons. Le vaisseau spatial devient une société miniature où l’on retrouve les mêmes menaces, notamment sur les corps des femmes noires. Mais la dureté de la vie n’empêche pas de faire émerger la beauté et c’est là que réside la force du roman. Dans le bas du vaisseau, où séjournent les plus pauvres, Solomon imagine un monde non-binaire où l’on redéfinit le langage et la sexualité. L’histoire d’amour principale entre Aster, une femme qui a subi une hystérotomie et une mastectomie, et Théo, une femme trans, est singulière et pleine d’espoir. Un roman profondément politique, féministe et humain, qui permet d’envisager le futur sous un nouveau jour.
Traduit de l’anglais par Francis Guèvremont
Conversations entre amis, de Sally Rooney (Éditions de l’Olivier)
Ça raconte quoi: Depuis le lycée, Frances et Bobbi sont inséparables. Elles ont vécu une histoire d’amour puis ont décidé de devenir amies. Bobbi est extravertie, à l’aise en toutes circonstances, aimée où qu’elle aille. Frances, la narratrice, est plus renfermée et pétrie de doutes. Ensemble, elles écrivent des poèmes qu’elles déclament sur les scènes de Dublin. Jusqu’au jour où elles rencontrent Melissa et Nick, respectivement photographe et acteur, avec qui elles vont entretenir de multiples relations. Ce premier roman de l’autrice irlandaise Sally Rooney a connu un succès immédiat outre-Manche.
Pourquoi on le recommande: Les premières pages de Conversations entre amis sont une véritable surprise. La narratrice de Sally Rooney, Frances, impose d’emblée une voix blasée, pleine d’un mélange de haine de soi et d’un amour pour le personnage qu’elle s’est créé. Au fil des pages, Sally Rooney embarque véritablement le lecteur et dresse un portrait d’une justesse infinie sur notre génération. Rapport au travail, angoisses de la précarité, sentiment de ne pas être tout à fait à sa place, relations aux autres, au sexe, au féminisme, à la famille, à la politique… Conversations entre amis est remarquable sur tous ces sujets. L’occasion de voir ce qu’il y a derrière le masque ironique et blasé des millennials.
Traduit de l’anglais par Laetitia Devaux
L’imprudence, de Loo Hui Phang (Éditions Actes Sud)
Ça raconte quoi: Une jeune photographe d’origine vietnamienne doit retourner dans le pays où elle est née, le Laos, pour l’enterrement de sa grand-mère. Elle part avec sa mère et son frère sur ces terres qu’elle a quittées alors qu’elle n’était qu’un bébé. Le roman alterne entre le récit de ce voyage et les souvenirs de la vie qu’elle s’est fabriquée en France en s’émancipant de sa famille. Dans son premier roman, la réalisatrice, dramaturge et scénariste Loo Hui Phang, elle-même originaire du Laos, réfléchit au poids des traditions familiales, à la question de l’identité pour les gens de sa génération, à l’exil et au fait d’être une femme asiatique en France.
Pourquoi on le recommande: Loo Hui Phang dresse un très beau portrait d’une femme qui se sent comme “une anomalie”. Elle réussit surtout à capter sa vie intime et son rapport au désir et au sexe. Comment se libérer des injonctions familiales? Comment s’épanouir dans sa sexualité malgré le regard désapprobateur de sa famille? Comment se libérer de l’exotisation des femmes asiatiques? Comment s’échapper de l’image de la femme vietnamienne soumise? En cela, son roman est profondément féministe, puisqu’il cherche à libérer son héroïne tout en portant un regard bienveillant sur son histoire familiale. Un roman court mais percutant.
J’ai des idées pour détruire ton égo, d’Albane Linÿer (Éditions NiL)
Ça raconte quoi: Léonie est une jeune femme de 27 ans qui ne prend pas grand-chose au sérieux. Ses journées se partagent entre son boulot au McDo, son aventure avec une collègue qu’elle traite comme un plan cul et son petit job de baby-sitter pour la petite Eulalie. Un jour, la mère de cette dernière se suicide. Au lieu d’appeler la police, Léonie décide d’embarquer la petite fille dans un road trip pour aller rejoindre son premier amour Angela. Scénariste et autrice, Albane Linÿer a participé au podcast de Nouvelles Écoutes Primo, qui suivait l’année dernière trois auteurs et autrices publiant leur premier roman.
Pourquoi on le recommande: Parce que le roman d’Albane Linÿer est à la fois profondément queer, très sensuel et très drôle. Son héroïne sarcastique et de prime abord assez mal aimable finit par devenir terriblement attachante. Elle permet à l’autrice de mener une réflexion sur une génération paumée, précaire et en mal d’idéaux, qui cherche à fuir son quotidien à tout prix quitte à aller dans le mur. Si vous aimez Virginie Despentes, vous arrêter devant une phrase bien tournée et les histoires d’amour tordues, alors ce roman est vraiment pour vous.
Le Corps d’après, de Virginie Noar (Éditions François Bourin)
Ça raconte quoi: L’héroïne sans prénom du roman de Virginie Noar accouche de son premier enfant. Cela entraîne chez elle une réflexion sur ses histoires d’amour, de sexe, sur le corps médical, sur les violences obstétricales et surtout sur son corps et ce qu’on a toujours attendu de lui. L’autrice de 35 ans signe un premier roman très important sur un thème encore peu traité en fiction.
Pourquoi on le recommande: Parce que le premier roman de Virginie Noar vous submergera comme une vague. Elle y dresse une cartographie de toutes les injonctions qui pèsent sur le corps des femmes depuis leur enfance jusqu’à leur premier enfant. Il faut faire attention aux hommes qu’on ne connaît pas tout en étant polie, il faut avoir un corps parfait sans trop le montrer, il faut aimer le sexe mais pas trop, il faut vivre son accouchement comme un apogée, aimer son enfant immédiatement et oublier toutes les violences médicales dès le lendemain. Virginie Noar balaie tout cela dans son roman: ce qu’elle veut montrer c’est le corps féminin dans ses deux extrêmes, la jouissance et la douleur. Elle réussit aussi bien à raconter un orgasme puissant qu’à retranscrire la froideur des examens médicaux. Un vrai roman d’initiation du corps des femmes.
Dégels, de Julia Phillips (Éditions Autrement)
Ça raconte quoi: Un jour du mois d’août, alors qu’elles sont parties se promener toutes seules, deux fillettes disparaissent. Le roman suit des habitants de leur petit village du Kamtchatka en Russie pendant un an, tandis que le drame n’en finit pas de se répercuter. La jeune autrice de 30 ans Julia Phillips a obtenu pour écrire ce roman une bourse d’écriture Fulbright qui lui a permis de vivre dans le Kamtchatka. Elle réussit prodigieusement à retranscrire l’atmosphère mystérieuse et glacée de cet endroit isolé.
Pourquoi on le recommande: Le roman de Julia Phillips est raconté à douze voix, une pour chaque mois de l’année. Toutes les voix sont celles de narratrices. Chaque chapitre se lit comme une petite nouvelle portée par un personnage féminin complexe. Le drame initial est à la fois central et périphérique. Il permet à l’autrice de mettre en lumière la charge mentale qui pèse sur les femmes, la violence de certains hommes, les soupçons sexistes qui pèsent sur la mère des fillettes. Avec ses formules qui planent en tête longtemps après avoir refermé le roman, Julia Phillips s’impose comme l’une des voix littéraires à surveiller à tout prix.
Traduit de l’anglais par Héloïse Esquié
Après la fête, de Lola Nicolle (Éditions Les Escales)
Ça raconte quoi: Dans son premier et court roman, Lola Nicolle suit une histoire d’amour entre deux jeunes adultes dans un Paris contemporain. La jeune autrice de 27 ans est éditrice et a déjà publié un recueil de poésie, Nous oiseaux de passage (Blancs Volants, 2017).
Pourquoi on le recommande: Parce que Lola Nicolle s’intéresse aux enjeux à la fois intimes et politiques qui traversent la vie des parisien·ne·s d’aujourd’hui: gentrification, peur des attentats, précarité, difficultés de se loger, nécessité pour ceux et celles qui peuvent de dépendre de leurs parents… Son roman d’initiation écrit comme un long poème raconte, à travers la rupture amoureuse de l’héroïne, la fin de l’innocence de sa génération. Un lendemain de fête.
Pauline Le Gall
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