Du 19 au 24 mars se tenaient à Dakar les Sabbar Artistiques, des ateliers féminins qui adoptent une démarche réflexive. A l’initiative de ce laboratoire éphémère, la réalisatrice et productrice sénégalaise Rama Thiaw.
Fin mars, Dakar accueillait pour la première fois une rencontre d’un genre nouveau sur le continent africain. Une trentaine d’artistes, juristes, activistes ou écrivaines, femmes et noires, issues de divers horizons socio-culturels et politiques étaient conviées durant une semaine à interroger la place des femmes sur le continent africain. Calqués sur les sabar sénégalais, des réunions féminines autour de percussions traditionnelles, les Sabbar Artistiques ont réuni des femmes originaires de Guadeloupe, du Sénégal, de la Libye, d’Afrique du Sud, du Cameroun, de la RDC, d’Algérie ou encore de la France et de la Belgique pour échanger sur le féminin et l’africanité. “Le but est de permettre le dialogue entre les Africaines et afro-descendantes, de créer un mouvement commun qui prendrait en compte toutes leurs particularités et singularités”, détaille Rama Thiaw, productrice et réalisatrice à l’initiative du projet. “De même qu’il n’existe pas une seule Afrique, il n’y a pas une femme noire unique”.
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“Les noires européennes viennent nous expliquer le féminisme, comme les noires américaines l’ont fait auparavant avec elles!”
C’est suite à sa participation au festival Afropolitan Bozar de Bruxelles en 2016, ou elle présente son deuxième long métrage, The Revolution Won’t Be Televised, que germe chez Rama Thiaw l’idée de ces ateliers féminins en réflexivité. Cette passionnée de musique, qui a “découvert la politique grâce à cette dernière”, se lance, décidée à faire émerger une réflexion collective. “La parole des femmes africaines leur est souvent confisquée, notamment au niveau médiatique. On parle à notre place en concentrant les discussions sur le féminisme en occident. On se retrouve dépossédées de notre histoire, alors même que les luttes féministes existent depuis des siècles en Afrique. Les noires européennes viennent nous expliquer le féminisme, comme les noires américaines l’ont fait auparavant avec elles!”, s’agace cette quadra au caractère affirmé. L’afro-féminisme? Très peu pour elle! “Je ne me réclame pas de cette appellation erronée. Les afro-féministes sont souvent européennes ou vivent en occident et sont dans une recherche d’égalité avec les européennes blanches. Leurs revendications, bien que justes, n’ont rien à voir avec les problématiques des femmes du continent africain. Le féminisme africain reste à structurer”, tranche-t-elle.
Cosmopolitisme et culture
Cette libertaire anarchiste, comme elle se décrit, n’aime pas être rangée dans des cases: “Je ne me définis pas par mon genre, ma sexualité ou ma couleur de peau. Je suis Rama, je suis moi. Point.” Néé à Nouakchott, Mauritanie, en 1978, Rama Thiaw a vécu sa jeunesse entre la banlieue dakaroise et la France. A 19 ans, elle a déjà vécu dans 4 pays différents, “une situation qui force à s’adapter” mais n’empêche pas les difficultés. “Dans les années 80, c’était très dur. Il n’y avait pas beaucoup de noirs en France. Mon frère et moi avons subi le racisme. Quand Balavoine est mort, les gamins de mon école m’ont accusée d’être responsable…”, se rappelle-t-elle.
“La culture est le meilleur moyen de faire naître la réflexion et de transmettre.”
Après un master d’économie à la Sorbonne, elle se dirige vers le cinéma: à Paris III, elle décroche une licence en réalisation, suivie d’une maitrise, puis s’empare de la caméra pour étudier les luttes. Son premier long métrage, Boul Fallé, la voie de la lutte (2009) est un triptyque sur la lutte (sport national au Sénégal), la politique et la musique. Depuis 11 ans, Rama Thiaw s’est posée à Dakar et y a monté sa boîte de production, Boull Fallé Images. Convaincue du rôle des artistes dans la question politique et l’évolution sociale, elle pense que “la culture est le meilleur moyen de faire naître la réflexion et de transmettre”. Nina Simone figure d’ailleurs parmi son panthéon personnel: “C’est un génie qui s’est battu et a payé le prix de sa liberté. Elle a écrit les plus beaux textes de lutte et ceux célébrant la beauté de la femme noire”. En attendant les prochains Sabbar, Rama Thiaw est retournée à ses projets cinématographiques.
Clémence Cluzel
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