Dans sa dernière comédie, Dany Boon use de la misogynie contre son personnage féminin, alternant clichés et stéréotypes de genre, dans l’ultime but de faire rire (jaune).
RAID Dingue m’a rendue complètement dingue (la drôlerie de ce jeu de mot est à la hauteur de celle du film). Malgré mon sens de l’humour et mon second degré à toute épreuve, difficile de décrocher un sourire en regardant le dernier film de Dany Boon. Au lieu d’un rire franc, dont les bonnes vieilles comédies françaises ont le secret, je me suis retrouvée à faire les gros yeux, pendant que ma voisine de ciné soupirait, apparemment aussi atterrée que moi face au sexisme ambiant du film.
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L’affiche m’avait mis la puce à l’oreille. On y voit Alice Pol, débardeur décolleté et tête de bécasse, prendre la pause à la Lara Croft aux côtés d’un Dany Boom armuré jusqu’au cou. Le pitch annonce la couleur: Johanna Pasquali (jouée par Alice Pol) rêve depuis son plus jeune âge d’intégrer le RAID. Mais elle est nulle (normal, c’est une fille). Alors, son papa, ministre de l’Intérieur (Michel Blanc, bien plus crédible en Jean-Claude Duss) la pistonne. Elle tombe sur un chef macho et musclé nommé Froissard (interprété par Dany Boon, bien meilleur en ch’ti). À peine embauchée, la jeune fliquette enchaîne les bourdes. Et c’est censé nous faire rire.
Tous les matins, Johanna enchaîne pompes et tractions au grand dam de son futur mari qui lui reproche de ne pas être “assez féminine”.
Dans le film, Johanna, dite “Jo”, est la première femme à intégrer le RAID. Fort heureusement la réalité dépasse la fiction. Trois femmes font actuellement partie du RAID. Elles ont dû apprécier…
Ici, Alice Pol, par ailleurs remarquable dans Qui c’est les plus forts? de Charlotte De Turckheim où elle joue avec brio le rôle d’une mère porteuse, enfile là le parfait costume de la potiche. Aussi belle que bête, aussi maladroite qu’attendrissante, elle est parfaitement incompétente. Dès le début du film, son supérieur, un charmant policier municipal, s’esclaffe: “C’est pas possible, qu’est-ce qu’elle est conne!” et l’envoie coller des PV alors que celle-ci rêve d’action.
Pourtant, Johanna est pourvue d’une bien belle qualité: la détermination. Coûte que coûte, elle veut devenir un agent du RAID. Tous les matins, elle enchaîne pompes et tractions au grand dam de son futur mari qui lui reproche de ne pas être “assez féminine”. Après son ultime échec au concours d’entrée, elle devient complètement hystérique -c’est bien connu, toute femme frustrée perd les pédales. C’est là que son père, le Ministre de l’Intérieur, pris d’un élan de bonté, la pistonne. Évidemment, on sait tous qu’une femme qui occupe de hautes fonctions ou un boulot de mec est forcément pistonnée (ou elle couche, ce qui se produira plus tard dans le film). Cependant, jusqu’ici tout n’est pas perdu. Avec un peu de bonne foi, on peut se dire que Dany Boom commence par enchaîner les clichés misogynes pour mieux les démonter. Mais non.
(Attention la suite de cet article contient de nombreux spoilers)
Dès que Jo entre au Raid, s’ensuit une série de gags où on la voit totalement nulle et incompétente. Elle ne comprend rien, n’est pas assez forte, a la tête en l’air et ne fait que des conneries. Dany Boon lui, campe sur ses positions de gros macho, y allant de ses punchlines sexistes qui font bien rire la salle (quand j’y étais, elle était composée à 70 % d’hommes plutôt âgés). “J’adore les femmes, mais quand elles sont à leur place”, lance Froissard. Effectivement, dans RAID Dingue, chacun est bien à sa place. Les femmes au foyer, les maris PDG, les chefs des hommes et la psy, évidemment, une femme. “Soit elle est supérieurement intelligente, soit elle est complètement con”, analyse judicieusement cette dernière au sujet de la nouvelle recrue. Drôle.
La fliquette finit tout de même par se rebeller un instant, traitant Dany Boon de “connaaaaaaard” lorsqu’il dépasse les bornes. Mais c’est surtout parce qu’elle en est tombée amoureuse, de ce beau misogyne bien musclé. C’est bien connu, les connards, ça nous fait craquer. Lui la déteste, mais c’est parce qu’il l’aime. Un classique. Sur le terrain, Jo laisse filer le méchant voleur serbe joué par Yvan Attal (dont on se demande ce qu’il fait là) et se laisse berner par celui-ci lorsqu’il est déguisé en femme à la Gay Pride.
Alors que Dany Boon aurait pu user du sexisme pour le dénoncer, il reste assis confortablement dans les clichés et stéréotypes lourdingues.
Et même lorsqu’elle devient compétente et prévient qu’un attentat va arriver (ce qui est censé nous faire rire), personne ne la croit. Elle n’en fait qu’à sa tête (comme toutes ces mules de femmes), évacue la salle juste avant l’assaut et s’en sort pas mal grâce à sa technique de tir hors du commun: elle vise littéralement les couilles de ses adversaires. Je vous laisse deviner la métaphore…
Alors que Dany Boon aurait pu user du sexisme pour le dénoncer, il reste assis confortablement dans les clichés et stéréotypes lourdingues. Pire encore, le seul procédé comique du film consiste à se moquer. Le spectateur, ou la spectatrice, venu pour se divertir, devra sans cesse se positionner en tant que juge de cette pauvre fille incompétente.
© Pathé Distribution
Peut-on vraiment rire de cette femme moquée parce qu’elle est femme, quand on en est soi-même une? Il semblerait que oui. C’est ce que , dans les années 70, la critique de cinéma féministe Laura Mulvey nomme le “male gaze”. Utilisant la psychanalyse, elle distingue trois types de regards au cinéma: celui de la caméra sur les acteurs et actrices, celui du public regardant le film et le regard que les personnages se portent entre eux dans le film. Le cinéma narratif renforce l’effet du troisième regard afin d’intensifier l’illusion.
Au final, on voit le film à travers les yeux des personnages, et par conséquent celui des hommes, car ce sont toujours eux qui monopolisent le dialogue. Comme le dévoile une étude récente, 73 % des dialogues des 10 plus gros succès au box-office 2016 ont été prononcé par des hommes. C’est ainsi que Mulvey décrit les personnages masculins comme actifs, à l’inverse des femmes passives. Nous, les femmes regardant un film, sommes forcées d’adopter ce que la critique nomme le “male gaze”, le regard masculin. Et c’est exactement ce phénomène qui se produit dans RAID Dingue. Si on adopte un regard féminin, le comique ne fonctionne pas.
Pourquoi faut-il absolument que le personnage féminin tombe amoureux du masculin et inversement? Pourquoi Alice Pol ne joue pas une femme hyper compétente qui met une raclée à Dany Boon?
Le sociologue de cinéma Yann Darré va jusqu’à parler d’une “propagande silencieuse” à laquelle se livre le “cinéma dominant” quand il pose son regard sur les femmes ou les homosexuels. À croire que Dany Boon n’a pas écouté les coups de gueule de ses collègues et actrices Adèle Haenel ou Virginie Efrira qui dénoncent le sexisme au cinéma et surtout dans les scénarios.
Pourquoi n’a-t-il pas inversé les rôles, lui qui joue si bien le bébête? Pourquoi faut-il absolument que le personnage féminin tombe amoureux du masculin et inversement? Pourquoi Alice Pol ne joue pas une femme hyper compétente qui met une raclée à Dany Boon? Parce que dans Raid Dingue, “comique” rime avec “sexiste”, c’est même la ligne de mire du film. De quoi tomber raide.
Nota Bene: Dans une interview au magazine Illimité, à la question “As-tu subi le sexisme de Dany Boon sur le tournage?”, Alice Pol répond qu’il l’a “empêchée de manger des desserts”.
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