Le Pulp a fermé il y a presque dix ans, et pourtant l’influence du club lesbien mythique des Grands Boulevards parisiens est toujours bien présente, dans les soirées comme dans les labels.
Les habitants du 25 boulevard Poissonnière à Paris ne se doutent certainement pas qu’au petit matin, parfois, des bastons de filles éméchées éclataient dans ce qui est aujourd’hui leur hall d’entrée. Que derrière la lourde porte de fer forgé qui donne accès à leurs logements, se jouait une petite révolution, nocturne, festive, sexuelle. “Comme une farandole dans un squat, le Pulp était le début d’une nouvelle lignée nocturne, une nouvelle avant-garde”, se souvient Didier Lestrade, écrivain et cofondateur du magazine Têtu. Près de dix ans après sa fermeture, la légende du petit club pour filles ouvert en 1997 plane encore sur les nuits lesbiennes de la capitale et continue de faire des émules chez la jeune génération, qui n’y a pourtant jamais mis les pieds. “Je ne l’ai jamais connu, mais on en parle toutes. L’influence de ce club et de cette scène est toujours énorme”, lance Charlotte, 22 ans.
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“Tout le monde s’en revendique aujourd’hui, le mythe du Pulp a fait du chemin.”
Des Flash Cocotte aux Wet for Me, en passant par les Culottées ou les Kidnapping, les nuits lesbiennes -ou en partie- de la capitale font le plein et perpétuent “l’esprit Pulp”, libertaire et décomplexé. “Nous sommes tous des enfants de ce club!”, s’exclame Aubry Fargier, la vingtaine, Dj à l’origine des soirées La Sale et Souillon, alors que la scène clubbing LGBTQ parisienne a rarement été aussi excitante et bouillante qu’en 2016.
Une certaine idée de la fête
Au cœur de cet héritage, une certaine idée de la fête, qui passe par un clubbing libéré, déluré, parfois décadent. “Pour les filles du Pulp, cet endroit était celui qu’elles avaient trop longtemps attendu dans ce Paris et cette France où les clubs de filles sont si rares. Tout était politique au Pulp car c’était un endroit de féministes modernes, arty, bordéliques, saoules”, explique Didier Lestrade. “Tout le monde s’en revendique aujourd’hui, le mythe du Pulp a fait du chemin, et je pense que beaucoup seraient déçus s’ils y avaient mis les pieds. C’était petit, crade et quand même très communautaire”, affirme une ancienne habituée des lieux.
“Il a surtout complètement ouvert une voie aux soirées pour filles, et nous a appris à libérer la femme”, explique Rag, du collectif Barbi(e)turix , à l’initiative des soirées Wet for Me, qui naviguent depuis 12 ans entre le Cabaret Sauvage et la Machine du Moulin Rouge. Des soirées où les femmes ont le pouvoir, où l’on croise lesbiennes extatiques comme hétéros passionnées de house et de techno.
Soirée Wet for Me Pride Edition, Machine du Moulin Rouge © Marie Rouge pour BBX
“Le Pulp, c’étaient les débuts, la première fois qu’on se retrouvait entre filles à des soirées pour filles, dans un esprit nouveau et rock’n’roll”, poursuit Rag. Comme l’indiquent les pages Facebook des soirées Pulp Is Back, organisées régulièrement au Rosa Bonheur, ce sont des fêtes “pour les filles qui aiment les filles qui aiment les garçons qui aiment les garçons qui aiment les filles qui aiment les garçons”.
Le son du Pulp
Musicalement aussi, l’âme du Pulp subsiste hors de ses anciens murs. En réaction à la fin des années French touch des Cassius et Daft Punk, house sage et proprette, le club avait vu naître des sonorités plus brutes et sauvages, en phase avec son esprit electro-punk.
Celles qui y ont fait leurs premières armes derrière les platines, Jennifer Cardini, Mlle Caro, Maud de Scratch Massive, toutes continuent à faire perdurer ce son, ancien poumon musical de la nuit parisienne “parvenu à lui seul à sauver Paris de l’ennui” dans les années 90 et 2000, d’après les mots de Laurent Garnier dans Electrochoc.
“Il est temps aujourd’hui de tourner la page.”
Mais en cherchant à le renouveler, certaines cherchent quand même à s’en défaire. “Malgré toute l’affection, le respect, et la reconnaissance que j’ai pour le Pulp, il est temps aujourd’hui de tourner la page”, explique par exemple Jennifer Cardini, ex-DJ résidente, aujourd’hui à la tête du label Correspondant.
Le label Kill the Dj, qui en est la figure de proue sonore, y a été fondé en 2005 par deux de ses Dj résidents. Des dizaines de sorties d’EPs ou d’albums plus tard, l’écurie dirigée par Fany Corral et Chloé Thévenin a produit nombre d’artistes emblématiques de la lignée de l’esprit Pulp: C.A.R, Battant, Remote, Krikor, et vient de sortir l’album de l’un des anciens piliers du club, Ivan Smagghe.
Ambiances noires et délurées, influences disco-cosmiques et expérimentations bancales, l’album It’s a Fine Line, réalisé en duo avec Tim Paris, et la soirée Boiler Room qui l’a accompagné à Paris le 13 septembre dernier auront permis de s’en rendre compte: le cœur du Pulp bat toujours.
Pierre Georges
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