Avec le film Serendipity et l’exposition Catharsis, Prune Nourry réussit à tisser un fil tout en pudeur entre son travail d’artiste et son cancer du sein.
Sérendipité: nom féminin, don de faire par hasard une découverte fructueuse, qui s’applique aussi bien à la science qu’à l’art. Prune Nourry ne pouvait pas choisir un titre plus juste pour son film. Voilà maintenant plus d’une dizaine d’années que l’artiste pluridisciplinaire passée par l’Ecole Boulle, section sculpture sur bois, travaille à la lisière de la science et de l’anthropologie, questionne le genre ou l’hybridation. En juin 2016, à 31 ans, la jeune femme apprend qu’elle est atteinte d’un cancer du sein. A l’époque, Prune Nourry filmait depuis plusieurs mois pour documenter Terracotta Daughters, son projet au long cours qui interroge la politique du sexe en Chine à travers une armée de filles en terre cuite (exposée au musée Guimet en 2017). À l’annonce de la maladie, elle décide de continuer à tourner: à l’écran, ce ne sera pas ses sculptures cette fois, mais ses visites à l’hôpital.
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Photo extraite du film Serendipity, DR
Loin d’elle l’idée d’en faire un film à ce stade, “c’était surtout pour me sentir active”, explique-t-elle. Petit à petit, la caméra devient témoin. Trois ans plus tard, sous nos yeux et grâce à un montage minutieux, se met en place un va et vient entre ses recherches passées et son expérience de vie. “Quand la chimiothérapie commence, par exemple, et que je dois faire congeler mes ovocytes, je suis tout de suite ramenée à mon projet Dîner Procréatif”, se souvient-elle. En 2009, l’artiste proposait en effet une réflexion sur la procréation assistée, grâce à des performances où la fécondation in vitro devenait un cocktail, le choix du sexe de l’enfant un plat principal, etc. “J’avais servi des ‘œufs’ congelés! J’avais alors étudié le processus avec des scientifiques, donc je connaissais déjà la marche à suivre.”
Personnage pudique
À mesure que le film avance, se construit une série de résonances entre les étapes de la maladie et les œuvres de l’artiste. Jusqu’à cette scène presque fictionnelle où Prune Nourry se prépare à la chirurgie reconstructive après sa mastectomie. Dans un sourire, elle suggère au médecin en train de tracer des marques sur son corps qu’aujourd’hui, c’est lui le sculpteur. L’artiste, sculpture aux mains des médecins, sujet de son propre travail. Dans ce jeu de miroir troublant, une question traverse le film: “Est-ce que je savais que ça allait arriver? Est-ce que j’ai créé la maladie?”, s’interroge Prune Nourry. Si le documentaire ne cache rien, il est toujours mené avec une grande pudeur et une sensibilité maîtrisée. “Cela a été une réelle étape d’accepter de me mettre en scène, de me montrer telle quelle, avoue-t-elle. Dans tous mes projets, j’ai toujours gardé une certaine distance, je tenais à l’objectivité de ma démarche. Mais là je me suis dit que si tout ça arrivait, c’est qu’il y avait peut-être une raison. Peut-être que je pouvais aider d’autres personnes qui passent à travers ça.”
Amazone Erogène, de Prune Nourry © Bertrand Huet Tutti
Parallèlement la jeune femme, qui vit à New York, présente à la galerie Templon sa dernière exposition nommée Catharsis où, armée de ses outils de sculptrice, elle se réapproprie son corps et sa féminité. On y découvre un ensemble d’œuvres qui s’inscrivent dans la lignée des ex-voto, ces offrandes populaires qui, sous la forme d’un objet, d’un membre ou d’un organe, cristallisent les remerciements ou les espoirs de guérison. On note particulièrement l’installation Amazone Erogène, ensemble de flèches XXL tendues tels les rayons de la chimiothérapie, vers une cible en forme de sein. “Le sein est une zone érogène mais aussi un des symboles de la féminité. Quand on vous ampute d’un de vos symboles de féminité, en quoi vous sentez-vous femme de l’intérieur sans être trop affectée par ça?, raconte Prune Nourry. Quand on passe par la maladie, on ne pense qu’à la survie. Mais après, il y a des effets secondaires psychologiques. La relation femme-cancer-sexualité est aussi une chose dont on ne parle pas assez.” En ce mois d’Octobre Rose, le travail de Prune Nourry n’en résonne que plus intensément et sa position d’artiste ajoute à la prise de parole sur la maladie une voix nécessaire, poétique, décalée, puissante.
Sophie Peyrard
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