Deux hommes ont été condamnés à 6 mois de prison avec sursis pour avoir participé à la vague de menaces et d’insultes dont a été victime la journaliste Nadia Daam sur les réseaux sociaux. On était à leur procès.
Mardi 3 juillet, la 30ème chambre du Tribunal de Paris affiche complet. Entassés sur les bancs ou debout au fond de la salle, les journalistes attendent le procès de deux hommes accusés d’avoir participé à la vague de cyberharcèlement dont la chroniqueuse Nadia Daam a fait l’objet en novembre 2017. Cachés derrière les pseudos “QuatreCentTrois” et “TintinDealer”, ces habitués du forum “Blabla 18-25 ans” de jeuxvideo.com ont menacé de mort et de viol la journaliste.
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Nadia Diaam, assise dans la salle, écoutant parfois avec émotion le rappel de ses mois d’enfer, a reçu des menaces de mort et de viols par centaines après avoir critiqué le 1er novembre 2017 sur Europe 1 les “gens dont la maturité cérébrale n’a visiblement pas excédé le stade embryonnaire” du forum Blabla 18-25 ans de jeuxvideo.com. Des photos d’elle et de sa fille ont été publiées sur les réseaux sociaux, ses comptes informatiques ont été piratés et certains des cyber-harceleurs sont venus jusqu’à son domicile, tapant à coups de pied la porte de son appartement. Le 5 juin dernier, date de la première audience qui a été ensuite été renvoyée, un homme s’est introduit chez elle et lui a volé ordinateurs et tablettes alors qu’elle se trouvait au tribunal.
À la barre, les deux hommes sont debout côte à côte, habillés d’une chemise et d’un jean. Ils ressemblent à Monsieur Tout-le-monde. Pourtant, à 20 ans, le premier est accusé de menaces de mort pour avoir publié sur Twitter un photomontage où Nadia Daam est sur le point de se faire décapiter par les membres de Daech. Avec un air faussement candide, le jeune homme assure ne pas avoir compris que ce montage pouvait être perçu comme une menace et qu’il était simplement énervé par la chronique de la journaliste. “Et n’avez-vous pas illustré par cette photo ce que Madame Daam critiquait du forum 18-25?”, rétorque la présidente. Le second, 35 ans, comparaît pour menace de viol suite à son message sur le forum des “18-25”: “La MILF brunette je lui remplis sa petite bouche de mon foutre.” D’une désinvolture qui agace autant la présidente que la salle, il affirme avoir voulu créer par ces mots une image pour “amuser la galerie” et s’excuse de “ne pas être Guillaume Apollinaire”. Le procureur déplore qu’il soit resté “dans son monde virtuel”et n’ait “pas conscience du réel”.
Les deux hommes ont été condamnés à 6 mois de prison avec sursis et 2000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral. À la fin de l’audience, Nadia Daam semblait secouée: “Je suis sidérée par tant de bêtise. Sincèrement, je ne suis pas sûre qu’ils aient compris la violence de leurs actes, ni que ce procès freinera le sentiment d’impunité des autres internautes.” Pendant l’audience, elle a évoqué le cauchemar qu’elle vit depuis maintenant huit mois. Contrainte de déménager, la journaliste a dû mentir à sa fille de 12 ans, puis lui expliquer “pourquoi elle voyait sur Internet des photos d’elle et de sa maman se faisant violer”. Elle se dit aujourd’hui néanmoins soulagée: “On n’a pas nié la gravité des faits.”
Nadia Daam n’est malheureusement pas un cas isolé et les membres du forum “Blabla 18-25 ans” n’en sont pas à leur coup d’essai. L’activiste féministe Flo Mandet, la YouTubeuse Marion Seclin , la chroniqueuse Rokhaya Diallo et la journaliste Anaïs Condomines pour ne citer qu’elles, ont également subi un déferlement de haine et de violence sur les réseaux sociaux, exclusivement destiné aux femmes qui œuvrent pour plus d’égalité. La condamnation pourrait encourager plus de femmes à porter plainte, ce qui reste encore rare en cas de cyber-harcèlement; toutefois, l’absence de référence à ces nouvelles formes de harcèlement dans le code pénal pose un réel problème à la justice pour qui une mise à jour semble nécessaire. Les deux hommes condamnés hier ne sont que la partie émergée d’un iceberg suintant d’une violence abjecte. Il est grand temps de mettre fin à leur impunité. Un premier pas a peut-être été franchi hier, et Nadia Daam n’a pas caché sa satisfaction sur Facebook où elle a posté: “C’est une belle journée. Très belle journée. Enfin.”
Alexandra Vépierre
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