“Je ne pense pas qu’on pourrait sortir Pretty Woman aujourd’hui. Il y a tellement de choses qu’on trouverait à redire”, a récemment déclaré Julia Roberts à The Guardian. Faisons le test.
Oui, près de 30 ans après sa sortie et alors que se prépare un musical, le film de Garry Marshall peut faire grincer des dents. Rappelez-vous. Alors qu’elle arpente Hollywood Boulevard, la prostituée Vivian Ward rencontre le richissime homme d’affaires Edward Lewis. Le golden boy va louer ses services pour une semaine et lui faire goûter le luxe de Beverly Hills. Pretty Woman parle donc de prostitution et la montre, du port du préservatif au “pas sur la bouche”. Mais en version aseptisée. Pas de proxénète mafieux, de drogues ou de violence physique. “Le film glamourise la prostitution, la rend ‘cool’ et grand public”, admet la journaliste Perrine Quennesson. Et la critique cinéma d’ironiser: “Celles qui sont dans la rue aimeraient bien tomber sur Richard Gere… Mais cela ne doit pas arriver tous les quatre matins.”
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Derrière la “putain”, la princesse. Après quelques tourments, Edward finit par embrasser l’insaisissable Vivian. Il la délivre comme un chevalier blanc le ferait pour sa dulcinée en détresse. Le mythe du prince charmant fonctionne à plein tube et il en faut peu pour y voir “l’histoire d’une femme qu’un homme sauve de la prostitution”, note la blogueuse féministe Sophie du site Tout est Politique, qui perçoit là “l’influence d’un certain conservatisme ambiant”. Pour preuve, Edward décoche un étrange argument afin de prouver ses bonnes intentions: “Je ne t’ai jamais traitée comme une prostituée!” À travers ce puritanisme, Vivian ne serait qu’une “Cendrillon réécrite façon american dream”, poursuit la blogueuse. Ses rêves se réalisent car “vous êtes à Hollywood!”, clame le film. À l’époque du scandale Weinstein, cette conclusion laisse rêveur…
Trailer de Pretty Woman
Shopping et empowerment
Mais derrière Pretty Woman se trouve justement Vivian. L’impertinente qui tend à Edward une capote en forme de louie d’or et lui cingle “vous dégagez quelque chose de malin et d’inutile”. Celle qui dynamite les stéréotypes sexistes qu’on voudrait lui accoler en évoquant son bolide -“c’est plus facile pour une femme de le conduire car elles ont des petits pieds… Sauf moi: je fais du 41”. Autodidacte de la rue (elle n’a pas de mac), Vivian protège son mantra: dire quand, qui et combien. “C’est une insoumise”, s’enthousiasme Pauline Mallet. Selon l’animatrice du podcast “100 % féminin et féministe” Sorociné, “on attend pas ça de la représentation ‘mainstream’ de la prostitution: une femme qui ‘gère’ seule sa carrière”. Elle “travaille au corps” Edward -ce que lui suggère sa copine Kit- et, dès qu’il se comporte en salaud, lui ordonne: “Ne me fais plus jamais mal.” Bref, il a l’argent, mais elle a le pouvoir. Si elle offre ses charmes pour 3000 dollars, sa liberté n’est pas à vendre. “Vivian n’est pas une femme-objet”, appuie Perrine Quennesson, pour qui “ce n’est pas elle, mais les autres qui sont de mauvaise vie!” À commencer par son protecteur, cynique de la pire espèce qu’elle sauve d’une déchéance certaine. Si le chevalier délivre la princesse, “elle le délivre aussi, et ils partent”, nuance l’intéressée avant le baiser final de ce curieux conte où Cendrillon est qualifiée de “salope”.
“Vivian Ward utilise son corps et n’en a pas honte, impose ses règles et refuse d’être mise en cage.”
D’une génération à l’autre, Pretty Woman initie les jeunes filles au goût de l’empowerment. Il suffit de voir LA scène: le relooking de Vivian à Rodeo Drive sur fond de Roy Orbison. Alors que le film se joue de nos préjugés -“Dans votre boutique, y’a-t-il des choses aussi belles que mademoiselle?”, ironise Edward-, les chapeaux et tailleurs de Vivian assurent son émancipation. Tout en se vengeant des vendeuses qui l’ont traitée comme une moins que rien, Vivian “ne prête plus attention au regard des autres mais au sien, se révèle à elle-même et en ressort la tête haute”, décrit Pauline Mallet. Qu’elle affiche ses cuissardes de cuir en plein hôtel chic sous l’oeil horrifié des client·e·s ou défile au sein du magasin de Beverly Hills, “elle utilise son corps et n’en a pas honte, impose ses règles et refuse d’être mise en cage”, affirme Perrine Quennesson. Un message bienvenu dans un hit aux 400 millions de dollars de recettes.
La scène de shopping à Rodeo Drive
Un monde post-Pretty Woman
“On oublie que dans un film il y a la représentation -ce qui est montré- et la réappropriation. Les spectatrices ne cherchent pas à être une ‘Pretty Woman’ mais s’en inspirent”, achève Sophie. De Coup de foudre à Notting Hill (où elle fuit Hollywood) à Just Married (où elle fuit les princes charmants), Vivian ne cessera de hanter Julia Roberts. Jusqu’au personnage d’Erin Brockovich, mère de famille militante “qui, comme Vivian, est une femme de caractère qui peut partir au quart du tour”, assure la blogueuse. Tout sauf dépassé, Pretty Woman se redécouvre en manifeste pop-féministe d’avant les réseaux sociaux. Glamour et impertinent, il investit la comédie romantique car “c’est le genre parfait pour faire passer des messages plus facilement, fédérer sans froisser”, dixit Pauline Mallet. En diffusant son discours girl power sous couvert de mode et de sexualité, le film de Garry Marshall préfigure les séries-étendards de ce féminisme “pop”, Sex & The City la première. “Vivian est romantique comme Carrie, candide comme Charlotte, pragmatique comme Miranda”, affirme d’ailleurs Perrine Quennesson, pour qui “nous avons grandi dans un monde post-Pretty Woman”. Et on ne va pas refaire le monde.
Clément Arbrun
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