Dans son documentaire Première Campagne, en salles le 17 avril, la réalisatrice Audrey Gordon propose de suivre une jeune reporter chargée de couvrir la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron de 2017. Une immersion intelligente qui analyse et humanise la profession de journaliste.
“Astrid m’a téléphoné alors que j’étais dans les transports. Elle partait à Toulon suivre Emmanuel Macron, et j’ai râlé en lui disant ‘Tu t’en vas sans cesse, on ne se voit jamais… Je vais faire un film sur toi, au moins on pourra passer du temps ensemble!’ Ça a coupé à ce moment-là. Trois jours après, on commençait le tournage.” Amusée, Audrey Gordon revient sur la façon dont l’idée de son nouveau documentaire, Première Campagne, en salles le 17 avril, est née. Son plan? Filmer son amie Astrid Mezmorian, jeune journaliste fraîchement arrivée au service politique de France 2, et chargée de couvrir la campagne d’Emmanuel Macron au moment des présidentielles de 2017.
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Pendant une heure, et sans voix off –“pour donner l’impression d’une immersion totale”-, Première Campagne plonge les spectateur·rice·s dans la réalité du terrain. Entre les exigences de la chaîne, les conditions de travail très particulières lors de déplacements du futur président de la République, l’ambiance des “meetings hallucinants avec de la musique qui fait mal à la tête et des spectateurs un peu déchaînés qui veulent leur selfie”, la réalisatrice trentenaire propose quelques respirations intelligentes en capturant des poses clope au soleil ou des échanges apaisés entre la reporter et son entourage.
“Je ne dépassais pas le premier cercle, celui de son équipe, pour ne pas sembler intrusive, détaille Audrey Gordon lorsqu’on l’interroge sur sa stratégie de tournage, qu’elle a dû adapter à la cohue des déplacements du candidat. Après avoir rôdé comme un félin prêt à bondir autour de la meute constituée autour d’Emmanuel Macron, Astrid Mezmorian se jetait dans le groupe. Je tentais d’y aller avec elle et c’était assez violent.” Un aspect “viscéral et physique” du métier, qu’elle a eu envie de mettre en lumière dans un film qui présente, en s’appuyant sur des images rares, un portrait intéressant du journalisme politique, à quelques semaines des élections européennes. Nous avons rencontré la réalisatrice de Première Campagne pour parler transmission, méfiance envers les outils traditionnels d’information et place des femmes dans les rédactions.
Quel est l’objectif de ton documentaire?
Première Campagne est un portrait. Je souhaitais avant tout que les spectateur·rice·s aient l’impression de rencontrer Astrid Mezmorian. J’ai également voulu rendre compte de la réalité du métier de journaliste, qui est autant décrié en ce moment qu’il est l’objet de fantasmes. Filmer la manière de travailler, les outils et techniques utilisé·e·s, le rythme ou les contraintes de la profession peuvent, à mon sens, en permettre une désacralisation intéressante.
Au début de ton tournage, tu n’avais aucune visibilité concernant la tournure qu’allaient prendre les élections, et le travail qu’allait devoir effectuer Astrid Mezmorian. Comment l’as-tu appréhendé?
Globalement, j’ai évité de me poser la question de l’issue de l’élection présidentielle. Mon sujet, c’était Astrid. Et ma foi inébranlable dans son personnage représentait le seul cap que j’essayais de tenir. Qu’Emmanuel Macron gagne ou perde, mon film aurait raconté la même histoire sur le travail journalistique.
Si tu ne devais retenir qu’un élément de ces semaines de tournage, lequel choisirais-tu?
Le moment le plus marquant a été celui de la fin de tournage. Nous avons soudainement pris conscience que l’homme qui s’éloignait après son élection n’était plus le candidat qu’Astrid Mezmorian avait suivi, mais bien le nouveau président de la République… J’ai également été frappée par l’asymétrie de la relation entre les journalistes et les personnalités politiques. Astrid Mezmorian a accompagné Emmanuel Macron partout. Elle a vécu avec lui 24 heures sur 24, entendu son nom toute la journée, connaissait un nombre de choses hallucinantes sur ce personnage qui, de son côté, ignorait jusqu’au prénom de la jeune femme.
Capture d’écran de Première Campagne, © Audrey Gordon
Première Campagne sort dans un climat de défiance envers les médias. Est-ce un paramètre que tu as pris en compte dans la réalisation de ton documentaire?
C’est une chose à laquelle je n’ai pas pensé du tout pendant le tournage. Je voulais raconter l’histoire d’une jeune femme, et ne pas faire, à proprement parler, un film engagé politiquement. J’ai été rattrapée par les soupçons de quelques internautes au moment de la sortie de la bande-annonce du documentaire. Certain·e·s imaginaient une nouvelle théorie du complot: Première campagne aurait été commandé par Emmanuel Macron à l’approche des élections européennes! Une critique à laquelle d’autres utilisateur·rice·s des réseaux sociaux répondaient: “Mais non, regardez la tête de la fille sur l’affiche. Elle a l’air désespérée, ça doit être un film à charge!” Ce côté binaire qui s’incarne parfaitement sur les réseaux sociaux, et classe mon film dans la case “pro-Macron” ou “anti-Macron” me désole. Encore une fois: mon documentaire n’est pas sur cet homme mais sur le travail journalistique!
Dans ton film, tu mets largement en avant la relation entre Astrid Mezmorian et Nathalie Saint-Cricq, responsable du service politique de France 2. Pourquoi?
J’ai voulu aborder la question de la transmission qui est le fil rouge de mes projets de manière générale, et qui m’intéresse d’autant plus quand elle concerne des femmes de différentes générations. La relation touchante qui existe entre Astrid Mezmorian et Nathalie Saint-Cricq fait partie des raisons qui m’ont poussée à écrire Première Campagne. Je trouvais qu’il y a avait beaucoup de résonance entre elles, à commencer par le fait qu’elles aient toutes deux un caractère fort. Au fil des semaines, je me suis aperçue que Nathalie Saint-Cricq n’était pas la seule à transmettre ses savoirs à Astrid, et que ses collègues plus expérimentés, son caméraman qui est ancien reporter de guerre, ou même son père, qui a une culture politique dingue, lui ont apporté beaucoup.
“Il y a de plus en plus de femmes dans le métier et il faut les visibiliser.”
Ses collègues ne lui font pas que des cadeaux. Une scène de ton film laisse entendre qu’Astrid Mezmorian a reçu quelques critiques sur sa façon de se maquiller et de s’habiller lors des directs. Quel message as-tu voulu faire passer avec cette séquence?
Les femmes ont plus de pression que les hommes sur leur apparence. C’est une difficulté supplémentaire à gérer dans un contexte déjà très stressant. Et il ne me semble pas que leurs collègues masculins subissent ce genre de pression concernant leur physique. L’intérêt de cette scène est également de rendre compte de l’évolution des responsabilités d’Astrid Mezmorian. L’heure des résultats approchant, la jeune femme passe de plus en plus en direct à la télévision, et la question de l’image revêt alors une importante différente. C’est pour cette raison que je l’ai par exemple filmée en train de se remaquiller, assise par terre au milieu de la soirée où l’on apprend la qualification d’Emmanuel Macron au second tour.
Plusieurs centaines de femmes journalistes se sont mobilisées l’an dernier dans une tribune pour lutter contre les inégalités femmes-hommes au sein de leurs rédactions. En 2015, c’est le journalisme politique qui était directement pointé du doigt. As-tu été témoin de sexisme pendant ton tournage?
Je n’ai pas relevé de comportements de ce genre pendant la campagne d’Emmanuel Macron. Mais le sexisme dans le domaine du journalisme est un thème dont on m’a beaucoup parlé quand j’étais journaliste de presse écrite (Ndlr: à Libération), avant de faire des documentaires. Il y a de plus en plus de femmes dans le métier et il faut les visibiliser. C’est d’ailleurs ce qu’explique Nathalie Saint-Cricq dans l’émission de Sonia Devillers qu’écoute Astrid Mezmorian dans le documentaire (Ndlr: La responsable politique de France 2 était invitée en tant que modératrice du débat du second tour entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen). Le fait que l’activité journalistique, en pleine féminisation, soit incarnée dans Première Campagne par une jeune femme très authentique, pas du tout fascinée par le pouvoir, spontanée et spirituelle, me plaît beaucoup.
Propos recueillis par Margot Cherrid
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