Elles sont 500 femmes européennes à avoir rejoint les rangs de Daech en Syrie et en Irak depuis 2015. Si le choix des jeunes hommes (5 000 ont rejoint l’EI) est souvent questionné, analysé, celui des femmes l’était beaucoup moins jusqu’à il y a peu. C’est ce qu’ont voulu décrypter Farhad Khosrokhavar et Fethi Benslama […]
Entre désirs mortifères, rêve d’ascension sociale, et sentiment de culpabilité, qui sont vraiment les femmes qui rejoignent les rangs de Daech ? Et que recherchent-elles ? C’est ce qu’analysent le psychologue Fethi Benslama et le sociologue Farhad Khosrokhavar dans leur dernier ouvrage.
Elles sont 500 femmes européennes à avoir rejoint les rangs de Daech en Syrie et en Irak depuis 2015. Si le choix des jeunes hommes (5 000 ont rejoint l’EI) est souvent questionné, analysé, celui des femmes l’était beaucoup moins jusqu’à il y a peu. C’est ce qu’ont voulu décrypter Farhad Khosrokhavar et Fethi Benslama dans leur livre Le Jihadisme des femmes, pourquoi ont-elles choisi Daech ? (Ed. Seuil). L’un avec sa casquette de sociologue, l’autre avec celle de psychanalyste, tous deux dépeignent la complexité de cet engagement, oscillant entre hyper-moralité, traumatisme, et rejet du féminisme moderne.
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Quels sont les profils de femmes qui choisissent de rejoindre les rangs de Daech ?
Fethi Benslama – Il n’y pas de profil, la réalité humaine est beaucoup plus complexe que cela. Il y a quelques caractéristiques sociales générales : si je vous dit qu’elles appartiennent majoritairement à la classe moyenne et moyenne supérieure, c’est donc que cela concerne des millions de personnes, et cela permet de savoir que l’origine socio-économique n’est pas déterminante dans leur choix. Ce qui les différencie des hommes qui s’engagent dans le djihadisme, lesquels sont plus divers et où la représentation des classes défavorisées est plus importante. Quant à d’autres caractéristiques du type psychologique par exemple, il n’y en a pas. Comme pour les hommes, il y a de tout.
Quelles sont les raisons qui les poussent à faire ce choix ? Au-delà du désir de quête d’un mari, vous parlez avant tout de celle d’une ascension sociale…
Les raisons sont multiples. Certaines veulent contribuer à l’Etat islamique en y vivant et en faisant des enfants qui seront de futures « lionceaux », d’autres sont mues par des motifs idéalistes, d’autres encore sont prises par une passion amoureuses et romantique pour un chevalier viril qui se présente à elles dans leur ordinateur ou téléphone portable, quelques-unes veulent combattre aussi… Parfois c’est le mélange de tout cela. Ce n’est pas de l’ascension sociale mais une conjugaison de mobiles idéologiques, religieux et existentiels qui donne le sentiment de s’élever de sa condition actuelle.
Leur basculement s’expliquerait-il aussi par un rejet du féminisme occidental ? Vous abordez la question d’un rapport complexe à la notion de féminité et dans leur rapport au corps…
En effet, ce sont des femmes qui veulent s’émanciper de l’émancipation féministe qu’elles considèrent comme néfaste, comme allant à l’encontre d’une supposée nature féminine, qui les accable de charges, de responsabilités, de conduites perverses contraire à cette nature.
Vous parlez aussi d’un djihadisme du « trauma » dans lequel le départ pour Daech s’apparenterait à une thérapie cathartique… Quelles solutions leur apporte l’EI ?
Il y a beaucoup de femmes qui ont connu des violence sexuelles, des maltraitances de toute sorte. Elles fuient le trauma vers un lieu idéal où elles espèrent effacer les traces du passé et devenir autres dans un cadre strict qui les soulage de l’angoisse et les dispense d’avoir à faire des choix risqués, telles que les sociétés occidentales les obligent à le faire.
L’absence de figure paternelle forte peut-elle être un des éléments de compréhension, comme il l’est chez les hommes qui rejoignent Daech ?
Il est fréquent de rencontrer cette quête du père ou du substitut protecteur qu’un ordre religieux et social (un mari ultra-musulman) semble pouvoir leur donner. Il est fréquent aussi de trouver de jeunes femmes qui ont connu des carences ou des mauvais traitement par leur mère ; dans certains cas devenir une femme passe pour elle par la séparation d’une mère envahissante qui s’approprie la féminité. Aussi, pour des post-adolescentes, se marier très vite avec un héros, avoir un enfant rapidement, les assure de devenir pleinement femme.
Est-ce un choix politique plus que religieux donc ?
C’est un choix où le politique est soumis à la religion, donc pas politique au sens moderne du terme.
Dans quelle mesure ce départ peut-être aussi une forme de repentance ?
La repentance peut prendre beaucoup de formes, parmi lesquelles celle de se donner corps et âme à ce qui prétend incarner l’ordre de Dieu. Le sacrifice c’est supposer que c’est le désir de Dieu. Ce n’est pas spécifique aux femmes, mais beaucoup de gens croient qu’en souffrant, Dieu les prend en considération et pardonne.
Pourraient-elles devenir des combattantes, au même titre que leurs homologues masculins ?
Certaines d’entre elles le veulent, il y a d’ailleurs une brigade qui s’appelle « Al-Khansa », mais les hommes n’aiment pas trop que les femmes deviennent combattantes, car ils veulent garder le privilège de mourir, celui qui leur confère la position du maître, du dominant.
Comment expliquer la formation du commando de femmes constitué par Sarah Hervouët, Ornella Gilligman, Inès Madani, qui préparait une attaque à Paris, et arrêté en septembre 2016 ?
Inès Madani est quelqu’un de très spécial, elle a un côté viril. Elle s’est fait passer pour un homme dans d’autres circonstances, c’est elle la meneuse. Ceci étant il y a des femmes qui passent outre la barrière du genre imposé par les hommes, il y a plusieurs attentats-suicides commis par des femmes, et pour peu que les conditions le permettent elles deviendront de redoutables guerrières.
Quelles solutions pourrait-on envisager pour prévenir leur radicalisation ?
La radicalisation qui a pris une dimension épidémique est un nouveau problème sur lequel tout le monde tâtonne, il faut d’abord comprendre avant de traiter. Nous sommes loin du compte encore, car ce problème est complexe, il est multidimensionnel, multi factoriel et la décision de la radicalisation et du passage à la violence revient toujours au sujet singulier. Il faut donc parvenir à penser le devenir belliqueux d’une femme ou d’un homme au point de se métamorphoser en ennemi de son pays, de ses coreligionnaires, et ne pas se précipiter sur la psychologie de bazar.
Le Jihadisme des femmes – Pourquoi ont-elles choisi Daech ?, de Fethi Benslama et Farhad Khosrokhavar, (Ed. Seuil), 112 pages, sortie le 14 septembre.
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