Son one-woman-show affiche complet et elle fait ses gammes dans Le Before du Grand Journal sur Canal +. Avec ses blagues sur les filles qui n’ont rien de girly, Nora Hamzawi incarne parfaitement sa génération.
Nora Hamzawi est une angoissée. Si elle se prête volontiers au jeu des questions/réponses pour l’interview, elle déteste donner son âge (tout juste saura-t-on qu’elle a environ 30 ans) et qu’on la prenne en photo. “Je n’aime pas ce profil”, nous dit-elle avec le sourire, un brin nerveuse. Avant d’ajouter: “Je sais que je suis relou”. La séance est pourtant rapide. Mais ces quelques minutes lui paraissent interminables. Nora Hamzawi n’arrive pas à prendre la pose.
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Un paradoxe pour la jeune femme qui monte trois soirs par semaine sur scène au Théâtre du petit Gymnase à Paris et s’expose depuis septembre sous toutes les coutures sur Canal+ dans son programme court Oh-Oh pour Le Before du Grand Journal. “Cela peut paraître bizarre mais sur scène, je m’oublie. Je déconnecte complètement de moi-même. D’ailleurs, les soirs où je n’y arrive pas, j’en fais trop. Je me soucie de ce que le public va penser. Et c’est contre-productif”, précise-t-elle, très critique sur sa prestation de la veille. En ce début du mois d’octobre, elle nous a donné rendez-vous au dernier étage du Théâtre du Gymnase, sur la terrasse, pas encore totalement installée. C’est son nouveau QG. Il faut dire que l’endroit, très lumineux, a son charme et surplombe les Grands Boulevards. Il est 18 heures. Son spectacle commence dans plus de trois heures. Pas de problème, elle a prévu d’enchaîner deux interviews.
Une fille normale
Devant ses spectateurs, Nora Hamzawi est une boule d’énergie, au débit effréné. Elle vit son one-woman-show à cent à l’heure. En revanche, à la ville, elle est aussi posée qu’elle est survoltée dans son spectacle. Et même si on ne la connaît pas du tout quand on la rencontre, le contact se fait instantanément. Naturellement. D’ailleurs, elle dialogue davantage qu’elle ne répond à une interview. Elle s’intéresse à son interlocuteur. Une attitude suffisamment rare pour être remarquée, surtout chez une artiste en promo. Car Nora Hamzawi a tout d’une fille normale. Dans le meilleur sens du terme. C’est d’ailleurs ce qui rend ses textes si justes. Elle parle à sa génération, sans complexe, en étant cash sans jamais tomber dans le trash. Dans ses nouvelles pastilles, elle est de mauvaise foi, un peu cassante, à moitié hystérique, “une vraie relou” comme elle le dit elle-même, mais toujours drôle. Elle pointe ses propres travers, traque ses faiblesses et les déconstruit avec humour.
© Capucine Bailly / Cheek Magazine
Avec nous, elle se livre simplement et nous parle sans tabou de son enfance, de ses angoisses, de son choix pour ce métier. Scénariste à ses heures, elle a participé à l’écriture de Scènes de ménages et En Famille. Pour elle, écrire, c’est une façon d’exorciser. Après un passage éclair dans le journalisme (pour le magazine féminin Glamour), elle a finalement assumé sa passion et tenté la comédie pour de bon, après avoir cumulé pas mal de petits boulots pendant ses années d’étudiante. “Je ne voulais pas que ma mère paie mes études alors que je ne travaillais pas”, se rappelle-t-elle. En parallèle d’un cursus assez classique en communication au Celsa, elle se forme au cours Florent et fait des scènes ouvertes dans un petit café-théâtre, puis à Pigalle. “C’est un super souvenir. Mes potes de l’école venaient me soutenir, insiste-t-elle. Mais à l’époque, je m’en foutais d’être drôle. C’était déjà tellement incroyable d’être là.” Toute sa scolarité, Nora Hamzawi a le “syndrome du mauvais élève”, qui la poursuivra quelque temps. Ne pas travailler pour expliquer un échec, comme cette veille de Noël où elle envoie un mail à un producteur, presque certaine qu’il ne le lira pas. Il la rappellera dix jours plus tard.
“Je fais partie des arabes qui ne se voient pas.”
Nora Hamzawi parle beaucoup des meufs, du quotidien, mais ne fait pas pour autant dans l’humour girly. Elle parle pêle-mêle de rencontres, de soirées, de sodomie, de pet au lit ou encore de célibat. “J’étais un peu tendue quand ma mère est venue voir le spectacle. Mais finalement, tout est passé, nous dit-elle. Elle a beaucoup d’humour.” On n’en doute pas. C’est peut-être d’elle que Nora Hamzawi tient sa liberté de ton.
“Je fais partie des arabes qui ne se voient pas”, lance-t-elle dans son spectacle au détour d’un sketch. Fille de Syriens exilés en France dans les années 80, elle est née à Cannes. Dans la famille de quatre enfants, elle est la petite dernière. Lorsque son père meurt, la famille déménage à Paris. Très jeune, elle se fabrique une carapace où son imaginaire lui sert de rempart, cette capacité à rire dans la tristesse, à garder son humour en toutes circonstances, même lorsque la situation est tragique. “C’était un peu un échappatoire. Ma mère restait drôle dans son chagrin. L’atmosphère était lourde mais la famille est soudée et nous avons vécu de bonnes scènes de comédie”, raconte-t-elle.
Une famille atypique
C’est grâce à son grand frère, de neuf ans son aîné, aujourd’hui scénariste (il a notamment participé à l’écriture du film 20 ans d’écart avec Virginie Efira et Pierre Niney), qu’elle se plonge dans son univers, où elle invente tout. “Il me construisait des fusées avec des bouteilles d’eau en plastique et je croyais vraiment qu’il m’envoyait dans l’espace!, s’amuse-t-elle aujourd’hui. À l’époque je croyais dur comme fer à Alf, au point que j’ai pensé le voir pour de vrai”. Aujourd’hui encore, elle reste fidèle à son héros. Elle lui rend d’ailleurs hommage sur son compte Twitter. De son enfance, elle garde un souvenir nostalgique et ému, avec une famille atypique et une mère artiste-peintre. La discrimination, elle ne la comprend pas tout de suite. “Je l’ai surtout comprise lorsque j’ai commencé à chercher un appart. Pareil pour mes sœurs”, reconnaît-elle. Dans le 16ème arrondissement, l’ado rêve d’être blonde aux yeux bleus. Peut-être pour être comme les autres.
© Capucine Bailly / Cheek Magazine
Ce n’est que bien plus tard dans les castings, qu’elle constate qu’on attend d’elle de jouer un peu l’arabe de service. “Pour les rôles, je n’étais jamais assez typée physiquement. En clair, je ne répondais pas au stéréotype, malgré mon nom.” Si ses parents sont syriens, Nora n’a jamais été dans leur pays d’origine et a gardé peu de contact avec sa famille sur place. Le conflit, elle le suit de loin, mais se garde de donner une opinion politique. “Je n’aime pas m’exprimer sur ce que je ne maîtrise pas, explique-t-elle. Surtout sur un sujet aussi sensible.” Elle comprend l’arabe syrien, mais le parle peu. “Spirituellement, je me cherche encore, explique la jeune femme, dont les parents sont nés musulmans, mais pas du tout pratiquants. Ma mère a été élevée dans un pensionnat catholique, ce qui rendait tout ça très flou pour nous. Au final, ça m’a donné une grande liberté. Et l’anecdote que je raconte dans mon spectacle est vraie. Ma mère a débarqué un soir avec une pizza au jambon. Et on a commencé à en manger.”
“Il fallait que j’arrête de me demander pourquoi ça marche et pourquoi ça ne marche pas.”
En mai 2012, elle décide d’y aller à fond. Elle trace son chemin et ça marche. “J’étais à un moment où les succès des autres devenaient des échecs personnels, analyse-t-elle. Il fallait que je m’y mette pour de bon à temps plein et que j’arrête de me demander pourquoi ça marche et pourquoi ça ne marche pas.” C’est un grand saut en avant certes, mais surtout un saut dans le vide. En un été, elle écrit son spectacle, à l’affiche aujourd’hui. Et malgré quelques mois de vertige, “depuis, tout va bien”. Elle est au complet chaque soir, ses affiches sont dans le métro, elle présente une chronique sur France Inter dans l’émission de Frédéric Lopez, On va tous y passer, et multiplie les projets. “Bien sûr, on en veut toujours plus. Je débute juste”, reconnaît-elle. On se doute qu’elle ne s’arrêtera pas en si bon chemin.
Charlotte Lazimi
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