Depuis cet été, Élodie Callac fait partie des voix de Radio France qui nous disent quand sortir avec notre parapluie. Nouvelle recrue chez les prévisionnistes météo, cette discrète scientifique succède à l’historique Jacques Kessler, devenant la première femme à occuper ce poste.
Élodie Callac ne se rend pas compte qu’elle est captivante. Quand on la sollicite pour un entretien, elle ne comprend pas qu’on puisse avoir envie d’écrire son portrait. Certes, elle est encore peu connue du grand public, mais les auditeurs de Radio France l’entendent désormais chaque semaine égrener les températures, analyser la position des nuages bas et évaluer les risques d’averses. Découvrir les coulisses d’un bulletin tellement familier était déjà en soi un objectif. Mais quand on sait qu’Élodie Callac est la première femme à intégrer le club très fermé des prévisionnistes de Radio France, qui plus est à 34 ans, il y avait toutes les raisons de la rencontrer.
Car cette Madame Météo, arrivée à l’antenne l’été dernier, n’est pas tout à fait comme les autres. A la différence des présentatrices qui constituent l’ADN du PAF, Élodie Callac a fait des études de météorologie et travaille depuis dix ans comme prévisionniste à Météo France, au service médias. En clair, c’est elle qui, à partir des données brutes, écrivait les bulletins des rubriques météo de nombreux médias, jusqu’à ce qu’elle passe de l’ombre à la lumière. “J’ai l’habitude de vulgariser l’information pour faire des bulletins grand public, je le fais depuis longtemps, explique-t-elle. Au service médias, je préparais des cartes, publiées dans les journaux, mais je faisais aussi le briefing des présentateurs télé. J’ai souvent briefé Evelyne Dhéliat par exemple. C’est assez impressionnant de rencontrer ce genre de personnalités, mais on se rend compte qu’on a vraiment quelque chose à leur apporter.”
Un rythme en décalé
Si le travail de fond demeure le même, beaucoup de choses ont changé dans la vie d’Élodie Callac depuis qu’elle a succédé à Jacques Kessler, parti à la retraite au mois de juillet 2013, après 34 ans d’antenne. Une figure mythique de la Maison Ronde, tout comme Joël Collado et Jean-Michel Golynski, les deux autres membres du trio. “Jacques Kessler avait commencé en 1979, l’année où je suis née, sourit-elle. Peut-être un signe?” Très intéressée par le monde des médias, la jeune femme postule à sa succession sans trop y croire. Comme de nombreuses autres, Élodie Callac n’est pas du genre à se sentir la plus légitime pour le job. “Je manque de confiance en moi, c’était donc un challenge de candidater.” Après plusieurs entretiens et enregistrements tests, c’est pourtant elle qui est retenue parmi la douzaine de prétendants. Être une femme, jeune, a-t-il joué en sa faveur? “Peut-être, mais je préfère penser que ça n’a rien à voir, se défend-elle. Ce poste est complètement dans la continuité de ce que je faisais avant.”
“Très souvent, on me dit juste avant que j’ai finalement 20 secondes, c’est ça qui est le plus stressant.”
A la différence près que, les jours où elle travaille, elle se lève désormais à 3h du matin et commence sa journée à 4h. Dans son bureau de Météo France où elle nous reçoit, elle nous montre les ordinateurs sur lesquels elle puise toutes les données nécessaires à l’élaboration de son bulletin de prévisions. “Il faut prendre en compte les températures, les pluies, les vents, mais aussi les temps sensibles comme la neige, le brouillard ou le verglas par exemple”, décrit-t-elle, pédagogue. C’est depuis cette pièce qu’elle intervient, par téléphone, à l’antenne.
© Laetitia Prieur / Cheek Magazine
L’horloge toute neuve qui trône au-dessus de ses écrans est celle de la radio, qui lui permet de voir défiler les secondes. “Normalement, je passe une minute à l’antenne quand je suis en direct. Mais très souvent, on me dit juste avant que j’ai finalement 20 secondes, c’est ça qui est le plus stressant.” Rubrique-tampon, le bulletin météo demande de grandes capacités d’adaptation, d’autant qu’en semaine, Élodie Callac enchaîne 8 directs entre 5h58 et 9h10. A l’heure du déjeuner, elle en refait un pour France Info puis pour France Inter. Le reste de la journée, elle enregistre ses bulletins pour les antennes nationales et ultra-marines. Les week-ends, il y a moins de directs mais plus de bulletins à enregistrer.
Une préoccupation collective
En fait, elle n’arrête pas quand elle travaille. “Je me fais un bon petit-déjeuner après le dernier direct de 9h10, il y a de très bonnes madeleines à la boulangerie d’en bas. Et je bois pas mal de café pour tenir!” Son planning varie d’une semaine à l’autre puisque les prévisionnistes de Radio France travaillent trois ou quatre jours d’affilée -“c’est vraiment boulot-dodo”- puis ont sept jours de congé pour récupérer. En général, Élodie Callac commence par beaucoup dormir, puis profite de ce temps en le passant avec ses deux enfants de 5 et 2 ans. “J’ai un mari qui est top et qui s’est toujours beaucoup occupé d’eux, ce qui me permet d’être à fond dans le boulot quand il le faut, car il gère absolument tout, confie-t-elle. Mais les jours où je ne travaille pas, je passe beaucoup de temps avec eux.” Ils constituent d’ailleurs l’unique décoration des parois grises du bureau de leur mère. Deux dessins sont coincés dans le joint d’un mur et contrastent avec le sérieux ambiant. “Je n’ai le droit de rien accrocher, ça altèrerait l’insonorisation”, précise Élodie Callac, avant de poursuivre sur sa vie de famille, pas si perturbée que ça par ses horaires décalés.
© Laetitia Prieur / Cheek Magazine
Le week-end suivant notre rendez-vous, elle ira se ressourcer au bord de l’eau en Normandie, à Villerville, où elle a grandi. Ses parents et beaux-parents y vivent toujours. Fatiguée après quatre jours intenses, elle se réjouit d’entamer une semaine off, même s’il lui est difficile de complètement décrocher. “Parfois, mes enfants me disent d’arrêter avec la météo, car même quand je suis en récup’, j’écoute, je lis, je prends les informations. Mais l’avantage de mon métier, c’est qu’il est très concret pour eux, ils comprennent assez bien ce que je fais. Mon fils aîné me demande parfois ‘Madame Météo, quel temps pour demain?’”
“En tant que maman, je me demande quelle planète on va laisser à nos enfants.”
Il n’y a pas que les enfants pour demander si l’hiver sera froid ou si nous vivrons une nouvelle canicule. Élodie Callac a l’habitude qu’on lui pose ce genre de questions et rappelle à chaque fois qu’un prévisionniste ne peut avoir une idée du temps que sur les dix jours qui viennent. Elle a bien conscience que la météo est devenue une réelle préoccupation, à l’heure où le réchauffement climatique se mue en enjeu politique. “J’ai commencé à travailler en 2003, l’année de la canicule en France, donc forcément, j’ai cette problématique à l’esprit, reconnaît-elle. Je ne suis pas climatologue, mais le sujet m’intéresse et m’angoisse. En tant que maman, je me demande quelle planète on va laisser à nos enfants.” Si elle ne nous dit pas pour qui elle vote, Élodie Callac fait partie de ceux qui se déplacent aux urnes (“sinon, on ne peut pas critiquer”) et trouve que ça ne regarde qu’elle. Tout comme la religion, qu’elle juge trop personnelle pour en parler dans un article.
Une fausse timide
Ce portrait de Cheek, c’est sa toute première interview, et certaines de nos questions la surprennent. Mais Élodie Callac joue le jeu, et la timidité qui la caractérise au premier abord s’évapore au fil de la conversation. Elle admet qu’elle a systématiquement “la trouille” avant de passer à l’antenne et qu’elle l’aura sans doute toujours. “Heureusement, comme on ne me voit pas, j’ai l’impression de rester anonyme. Mais ça arrive régulièrement qu’on demande à mon mari si c’est sa femme, la Élodie de la radio. Je crois qu’il en est plutôt fier, il m’a beaucoup poussée pour ce poste.” Au sein de leur couple, l’égalité n’est pas un débat, elle fait partie du quotidien.
“Avant d’être une femme, je suis prévisionniste.”
D’ailleurs, Élodie Callac n’aime pas qu’on lui rappelle qu’elle est une femme scientifique. “Avant d’être une femme, je suis prévisionniste. C’est vrai que lorsque je suis arrivée dans mon service, il n’y avait que des hommes. Mais aujourd’hui il y a 28% de femmes à Météo France, donc ça change. Et je n’ai jamais ressenti une quelconque différence dans mon parcours professionnel.” Cette ancienne bonne élève n’était pas une apprentie météorologue dès son plus jeune âge: elle voulait être coiffeuse quand elle était enfant. Elle a choisi la filière scientifique au lycée parce qu’elle aimait bien “comprendre les choses”, et a découvert la météo pendant ses études. “C’est une science sympa, parce qu’elle est concrète, qu’on peut la vérifier dès le lendemain. En plus elle intéresse tout le monde et tout le monde a un avis dessus.” Oui, c’est vrai, tout le monde aime répéter ce qui s’est dit à ce sujet le matin à la radio.
Myriam Levain