Nouvelle coqueluche de la comédie, l’humoriste parisienne pourfend les trentenaires dans son spectacle Née sous Giscard, et un film, Les Gazelles.
Camille Chamoux, la voix de sa génération? Si la comparaison avec ce slogan ironique tiré de la série Girls paraît tirée par les cheveux, on n’est pourtant pas loin du compte: “Girls est la seule influence que j’accepte”, reconnaît elle-même l’humoriste. Le discours générationnel, c’est d’ailleurs le fond de commerce de son nouveau spectacle. Sauf que, là où Lena Dunham parle des Y, Camille Chamoux s’adresse aux X: “Le x à la fin de mon nom, c’est la croix de ma génération”, dit-elle pendant le show. En interview, elle renchérit: “Je n’invente rien, la seule chose que je sache faire, c’est observer mes contemporains et leurs névroses.”
À l’instar de Nora Hamzawi et Bérengère Krief, les autres têtes d’affiche de one-woman-shows parisiens, Camille Chamoux fait salle comble. Elle joue au Petit Saint-Martin, dans le quartier des Grands Boulevards. La clé du succès selon elle, réside dans un style qui privilégie le réalisme sur l’efficacité comique. “Un humour miroir dont les étapes sont identification, soulagement, rire.” Difficile en effet de ne pas s’y reconnaître.
À 36 ans, elle se moque gentiment des travers de son époque sur le ton de l’autodérision et chacun en prend pour son grade: les vieux potes profs de socio, les parents patachons de droite, les bonnes copines enceintes et celles en dépression. Dans Née sous Giscard, elle fustige cette “génération molle”, née dans les années soixante-dix. Dépassionnés, paumés, les Gen-Xers comme on les appelle, ont troqué leurs rêves pour des babioles qu’ils chinent en brocante. Et cultivent un certain sens du paradoxe: “Enfant, on se faisait chier le dimanche chez notre grand-mère et aujourd’hui on passe notre vie à essayer de refaire son salon.” C’est donc cela, vieillir.
Who are you, Camille Chamoux?
Camille Chamoux, c’est d’abord une voix, dotée au naturel de l’accent cossu de son 17ème arrondissement parisien natal dont elle ne s’est jamais départie et qui n’a rien à envier à la grande époque Campan/Bourdon des Inconnus. À la ville, l’humoriste est une Parisienne angoissée et impulsive qui “s’exprime beaucoup, beaucoup” et vit à deux pas du théâtre où elle officie chaque soir. L’extrapolation de ses névroses faisait le sel de son premier spectacle, Camille Attaque, avec son personnage d’hypocondriaque au bord de la rupture d’anévrisme. Son nouveau show abandonne le personnage de Camille: “C’est un travail de dépouillement où je dialogue avec le public dans l’intimité.”
Le récit des origines nous fait remonter au très chic Lycée Fénelon dans le quartier latin. Elle y rencontre encore ado Pauline Bureau, devenue depuis metteuse en scène d’un classique féministe, Modèles. Le “coup de foudre amical en classe de première” est réciproque et cette dernière confirme que la jeune Chamoux en Converse avait déjà trouvé son public à l’époque. Les deux copines littéraires montent ensemble Le Bal des voleurs de Jean Anouilh, en version itinérante dans l’enceinte du bahut, et fréquentent le conservatoire du 7ème arrondissement.
“Le théâtre est le lieu de la réconciliation.”
À la maison, Camille détonne. Chez les Chamoux, on fréquente les grands théâtres parisiens -la mère en particulier. De là à encourager sa progéniture à devenir intermittente… Depuis, la famille s’est fait une raison et accueille même d’un œil bienveillant les vannes sur le madelinisme paternel et ses théories libérales. “Mes parents sont venus deux fois voir le spectacle”, raconte-t-elle. “J’avais un peu peur de leur réaction. Mais le théâtre est le lieu de la réconciliation.”
Depuis le lycée, Camille et Pauline sont toujours amies, cette dernière a même mis en scène son premier spectacle, Camille Attaque, au Splendid en 2006. Celui grâce auquel l’humoriste est repérée et signe pour le film qui nous intéresse, Les Gazelles.
De La jungle aux Gazelles
Son sujet? “Une fille, qui travaille chez Pôle Emploi, largue son mec. Elle devient alors suspecte aux yeux du monde, de son banquier, de sa famille.” Marie (Camille Chamoux), donc, ostracisée par ses proches, se recrée une famille chez des célibataires endurcies qui l’adoptent (jouées par Audrey Fleurot, Anne Brochet, Naidra Ayadi). “On a mis un point d’honneur à ne pas créer d’archétypes: belles, moches, ces femmes ont des problèmes normaux, d’acné ou d’épilation, qu’on ne voit jamais au cinéma. Il y a très peu de maquillage, pour ne pas glamouriser les situations”, prévient-elle.
Des femmes, il y en a devant et derrière la caméra, ce qui n’est pas si fréquent: le scénario a été écrit à trois avec la réalisatrice Mona Achache et la scénariste Cécile Sellam. “Le but était d’adopter un point de vue féminin, générationnel, dans lequel on se retrouve.” Jusque-là, tout va bien. La comédie est rythmée, les vannes percutantes et Camille Chamoux dans le rôle principal joue la lose à merveille. Le film, du vécu “à 90%”, met en récit une expérience féminine trop souvent reléguée au second plan. “On a essayé de porter un regard cru, honnête et hyper-réaliste, non pas grotesque, sur les relations hommes-femmes”, promet-elle. La difficulté à exister en dehors du couple: en est-on encore là en 2014? La question est posée.
“Comme Noémie Lvovsky et Valeria Bruni-Tedeschi, Géraldine Nakache a ouvert la voie de la comédie féminine.”
Les Gazelles, dont le titre initial était La Jungle, devrait logiquement s’imposer auprès du public comme un Tout ce qui brille cuvée 2014. Dans une industrie loin d’être paritaire, tant mieux. “Comme Noémie Lvovsky et Valeria Bruni-Tedeschi, Géraldine Nakache a ouvert la voie de la comédie féminine”, estime- t-elle. “Il y a aussi eu Paris à tout prix de Reem Kherici, qui reposait entièrement sur elle et sa bande de potes, inconnus à l’époque. Ça reste dur à financer, mais heureusement, c’est possible, putain!”
La peinture de la condition féminine au cinéma ces dernières années appelle immanquablement une comparaison avec Mes Meilleures amies du cinéaste américain Paul Feig (aussi créateur de la très belle série Freaks & Geeks et pro-féministe). “Je ne trouve pas le film si novateur que ça, ce sont des figures stéréotypées. Par contre, il y a du burlesque”, reconnaît-elle, préférant encore Girls et Vous les femmes, série à sketches diffusée sur Téva de Judith Sibony et Olivia Côte, qui joue aussi dans Les Gazelles.
Et le féminisme, là dedans?
“J’ai une bible, King Kong Théorie, et un maître, Virginie Despentes. C’est par elle que j’ai lu les théoriciennes américaines. Sa pensée est forte, libre de toute convention.” Chamoux joue même un petit rôle dans Bye Bye Blondie, dernier film de l’écrivain cinéaste. “J’entendais récemment quelqu’un dire ‘Si être féministe c’est souhaiter l’égalité, qui ne l’est pas?’ Quand on pense que c’est devenu un gros mot!”, s’emporte-t-elle.
Or, Les Gazelles se présente d’abord comme une quête effrénée pour… retrouver un conjoint. C’est là que le bât blesse. Si l’heure n’est pas à décerner des médailles, la deuxième partie, elle, se rattrape en privilégiant l’amitié aux rapports amoureux. Surtout, le film touche juste dans sa critique du libéralisme affectif, d’un marché conjugal régi par l’offre et la demande -un clin d’œil assumé à Michel Houellebecq.
“Avant, pour être drôle quand on était une femme, il fallait être moche, maintenant on peut se réapproprier notre corps.”
En revanche, le féminisme mainstream prôné par le film ne s’aventure pas jusqu’à déconstruire les représentations hétérocentrées ou l’injonction à la beauté. Cette réplique attribuée à un personnage secondaire nous a fait grincer des dents: “On n’est pas féministes, on veut juste avoir le cul ferme.” L’affiche rose bonbon reste également un bel exemple de marketing genré. Car si le film est produit par la petite boîte de production Recifilms, il est en revanche distribué par le mastodonte Paramount pour qui, on suppose, ces considérations sont secondaires. “On a mis notre grain de sel partout pour ne pas être dépossédées du film. Il y a des affiches qu’on n’a pas laissé passer, mais on a fait des compromis. La com’, c’est leur job”, reconnaît-elle.
Reste que l’existence même de ce film porté par des inconnues est en soi une réussite, qui suscite avant sa sortie une levée de boucliers. Pour juger sur pièce de la misogynie ambiante, la comédienne nous invite à la lecture des commentaires de la bande-annonce du film sur Allociné. Morceau choisi: “Film de pétasses pour des pétasses.” Bienvenue en patriarchie. “On m’a même reproché d’être en maillot de bain sur l’affiche de mon spectacle. Avant, pour être drôle quand on était une femme, il fallait être moche, maintenant on peut se réapproprier notre corps. Ne plus avoir à se justifier, c’est déjà le minimum.”
Clémentine Gallot