Elle vient de signer un excellent album à la pochette hypnotique, Homeland, sera en concert à Paris fin mai à la Cigale et le 3 juillet au festival Days Off, accompagnée de Frànçois and The Atlas Mountains. Rencontre avec Hindi Zahra.
Ça débute comme n’importe quelle interview. Un mini-van aux vitres teintées dépose Hindi Zahra devant l’hôtel, elle tire trois lattes sur sa cigarette puis pousse la porte, précédée par son attaché de presse. Les salutations sont cordiales et l’on prend place dans un petit salon coloré, autour d’un thé vert. Et puis, très lentement, tout bascule. L’ordinaire quitte la pièce. L’expérience commence. Elle est avant tout sensorielle: Hindi Zahra sent bon, une odeur qui vous attrape et vous projette quelques milliers de kilomètres plus loin. Et puis Hindi Zahra exige qu’on lui prête une oreille attentive. Pas en tapant du poing sur la table -ce n’est clairement pas son genre-, mais en parlant tout bas. En murmurant, presque. Si bien qu’il faut garder le bras tendu et l’enregistreur tout près de sa bouche pour en capter les sons. On se demande à quel moment ledit bras va décéder, mais on se découvre fakir, insensible à la douleur. Sur l’horloge qui nous fait face, les aiguilles sont figées. On a beau être à l’Hôtel du temps, celui-ci s’est arrêté. On était dans le 9ème arrondissement, on se retrouve soudain dans le Sahara. Chez les Touaregs, dont son père, militaire de métier, descend directement.
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Par sa parole, comme par sa musique, Hindi Zahra fait voyager. Elle possède une aura à envoûter un escabeau et sait raconter des histoires.
Par sa parole, comme par sa musique, Hindi Zahra fait voyager. Elle possède une aura à envoûter un escabeau et sait raconter des histoires. C’est une conteuse, à l’instar de son grand-père maternel. Ce dernier “ne parlait jamais pour ne rien dire”. Pas avare d’anecdotes, elle aussi donne pourtant l’impression d’économiser ses mots, ses gestes. Le phrasé est lent, la tasse de thé est soulevée et reposée avec le même tempo alangui. Un rythme qui remonte à ses origines: “Les gens du désert contiennent leur énergie. Là-bas, tu ne peux pas trop parler, sinon il te faut beaucoup d’eau.” Cela ne l’empêchera pas, avec des syllabes et des sons -ceux de ses nombreux bijoux qui tintent au gré de ses mouvements-, de nous trimballer partout. À Khouribga, au nord du Maroc, où elle est née. Au cœur de la médina de Marrakech, où elle a en partie travaillé sur son nouvel album, Homeland. Dans cette ville qui n’est “pas la [sienne]”, elle est allée chercher l’isolement autant que la découverte. “Dans un riad, il n’y a pas de fenêtres sur la rue, mais des ouvertures sur le ciel. La vie intime est très protégée, mais on connaît ses voisins et si l’on disparaît pendant une semaine, on s’inquiète de vous.”
© Nathalie Sanchez pour Cheek Magazine
Rien à voir avec l’anonymat de Paris, où elle a débarqué avec ses deux frères, sa sœur et ses parents à l’âge de 12 ans, à l’initiative du père qui souhaitait voir ses enfants scolarisés en France. Paris, qu’elle considère comme “un plug”, lui permet de “se connecter” entre deux escales. Elle y a aussi fait ses premiers pas sur scène. C’était lors d’une fête de la musique, elle avait 17 ans (désormais, elle en a 19 de plus). Une révélation avant tout physique: “Tu as certains désirs en tête et quand tu arrives à l’expérience, ton corps semble dire ‘ok, ça marche’. Le ressenti, c’est du bon sens.” Dans la ville cosmopolite, elle rencontre des musiciens africains, originaires du Burkina Faso ou du Cameroun, avec lesquels elle apprend à écrire des chansons. Puis elle commence à jouer dans des cafés du 19ème et du 20ème arrondissement, où elle fait connaissance avec un certain pan de la scène parisienne, les artistes Spleen et Hugh Coltman en tête. Les planches ont beau être depuis toujours son terrain de jeu favori, c’est via MySpace qu’elle s’est fait connaître dans le milieu professionnel, lorsqu’elle y a posté son tube Beautiful Tango en 2005. “C’est ce titre qui a commencé à me faire vivre, de là ont découlé des demandes de live”, se souvient-elle.
Malgré un côté “vintage” qu’elle concède volontiers, elle n’est pas cette personnalité hermétique à la technologie qu’on se plairait un peu hâtivement à imaginer.
Si MySpace a servi de rampe de lancement à bien des musiciens de notre génération, rien ne semble plus absurde en ce qui concerne Zahra -dont c’est le prénom, Hindi étant son nom de famille. La femme assise à côté de nous a des airs de vieux sage, pas une tronche à faire des duckfaces sur les réseaux sociaux. Pourtant, malgré un côté “vintage” qu’elle concède volontiers, elle n’est pas cette personnalité hermétique à la technologie qu’on se plairait un peu hâtivement à imaginer. Certes, Hindi Zahra n’a pas la télé, mais pour le reste, elle est aussi connectée à Facebook que nous autres mortels. Elle trouve même là une réponse à son besoin de “partager avec les gens”, expression qui revient sans cesse dans sa bouche, sans laisser le sentiment creux des discours promo. De toute façon, rien n’est creux chez la musicienne. Celle qui se nourrit des préceptes de Krishnamurti ou de Lao Tseu a l’esprit aussi vif que le verbe lent, et n’hésite pas à développer à l’envi des théories -elle admet, non sans une pointe d’autodérision, en avoir “plein”. Lancez-la sur n’importe quel sujet, elle vous fera un développement passionnant. Internet? “Je le vois comme la matérialisation de l’inconscient universel. C’est la connexion des peuples et des connaissances.” Le cinéma? Elle qui a joué dans deux films, dont The Cut, le dernier long-métrage de Fatih Akin, préfère bifurquer plutôt que de parler de son expérience personnelle. Et embraye: “Si le cinéma est né à Los Angeles, la terre des Indiens, ce n’est pas un hasard. Ce sont les premiers à avoir parlé de la projection de soi. De la transformation de soi.”
© Nathalie Sanchez pour Cheek Magazine
La projection de soi n’est pas le fort d’Hindi Zahra. Enfant, elle ne s’imaginait pas musicienne. Elle n’imaginait rien. Aujourd’hui encore, son futur ne l’intéresse pas: “Je me projette dans un grand futur qui parle de nous tous. Mais pour moi, c’est comme quand j’étais petite, je ne sais pas. Mon mode de pensée, c’est ‘ici et maintenant’.” Question transformation de soi, en revanche, c’est un as. Ainsi, avant de décliner son identité à l’envers et de gagner sa vie en musique, Zahra Hindi, diplômée d’un BEP en comptabilité, fut tour à tour guide ou surveillante au musée du Louvre et réceptionniste au Ritz, a travaillé dans un labo photo ou dans un cabinet d’avocats, a même été assistante de CPE dans un lycée. Trouver des jobs alimentaires n’a jamais été un problème pour elle, qui parle pas moins de cinq langues (français, anglais, darija, berbère, espagnol).
Depuis toujours, la musique pour Hindi Zahra, c’est un liant. C’est ce qui la connecte à ses origines, à sa famille, aux gens. Au point qu’elle considère son public comme faisant “partie de l’équipe”.
Quant à la voie artistique qu’elle a choisie, elle relevait de l’évidence. Si son père était militaire, la mère de Zahra était femme au foyer, originaire d’une famille d’artistes et pratiquait le chant et le théâtre. Au Maroc, la “tribu” vivait dans une maison de trois étages avec oncles, tantes et grands-parents, tous dotés de la fibre artistique: “J’ai grandi comme dans un atelier vivant. Les hommes se regroupent le soir et jouent de la musique, ça compose, ça improvise, ça chante. Et le matin, ce sont les femmes qui, quand elles se lèvent, mettent la radio ou des cassettes!” Depuis toujours, la musique pour Hindi Zahra, c’est un liant. C’est ce qui la connecte à ses origines, à sa famille, aux gens. Au point qu’elle considère son public comme faisant “partie de l’équipe”. L’art en général, doit à son sens être facteur de rassemblement. C’est pour ça qu’elle aime, par exemple, les peintures murales que l’on trouve dans les rues au Mexique, “un art sophistiqué pour tous les yeux, tous les âges”. Elle aussi, en plus de jouer de la musique et de chanter, peint. “L’art peut renvoyer à énormément de choses, qui sont de l’ordre de la philosophie et de l’apprentissage de soi. Être civilisé, être respectueux. Et puis la musique te renvoie aussi directement au corps qui, dans plein d’autres métiers, est oublié. Là, il est la matrice. Si tu ne l’écoutes, pas, ça ne fonctionne pas.” Nous, en tout cas, on continue de tendre l’oreille et le bras: quand Hindi Zahra parle, on est tout ouïe.
Faustine Kopiejwski
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