Peut-on être grosse et héroïne d’un film, d’un livre ou d’une série qui ne parle pas de problèmes de poids ou qui n’a pas vocation à faire rire? En théorie, rien ne l’empêche. Dans les faits, c’est très rare. Cependant, les choses pourraient être en train de changer.
Connaissez-vous Faith? Elle est blonde, journaliste, dotée de pouvoirs télékinésiques et ses aventures solo sont éditées en France par Bliss Comics depuis 2017. Mais le plus incroyable chez ce personnage féminin, ce n’est pas qu’elle puisse voler et déplacer des objets par la pensée ou que sa bande dessinée soit prochainement adaptée par Sony au cinéma. Le plus marquant chez cette héroïne, c’est qu’elle est grosse et que, une fois n’est pas coutume, son poids n’est jamais une question dans ses aventures.
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Est-ce une petite révolution? On a beau réfléchir, on peine à trouver une femme forte personnage principal d’un film, d’un livre ou d’une série qui n’est pas, soit très drôle, soit confrontée à des problématiques liées à ses kilos en trop. Que ce soit Rebel Wilson dans Pitch Perfect ou encore Melissa McCarthy dans Ghostbusters 3, toutes font rire leur public, notamment en plaisantant sur leur silhouette. Pour Daria Marx, cofondatrice du collectif contre la grossophobie Gras Politique et autrice du manifeste Gros n’est pas un gros mot, plaisanter sur ses formes est une manière de se réapproprier l’image délivrée par les médias. “La société nous réduit à notre poids tout le temps, accuse-t-elle. Prendre la parole est en quelque sorte une prise de pouvoir. Au lieu de subir notre image, nous en plaisantons et ainsi, nous nous la réapproprions.”
“We need a fat princess”
Michelle Elman et Amy Wooldridge, deux blogueuses qui prônent le body positive, ont, elles aussi, fait la une des tabloïds avec leur slogan “We need a fat princess”. En décembre 2017, les deux Anglaises déguisées en Blanche-Neige et Raiponce, partagent leur shooting sur les réseaux sociaux et réclament à Disney une héroïne plus size. “En grandissant avec Disney, mon cœur était de plus en plus meurtri, témoigne Michelle Elman sur son Instagram. À 7 ans […] j’étais déjà plus grosse que mes amies. Les princesses de Disney sont considérées comme l’image même de la beauté et, même en tant que jeune fille, j’ai vite compris que cela signifiait que je n’étais pas belle. […] Comme cela serait incroyable si les enfants pouvaient grandir en ne se disant pas ‘je veux lui ressembler’ mais ‘wow, elle me ressemble!’. Comme ce serait génial si l’image de la beauté n’était pas synonyme de minceur dès le plus jeune âge.”
La femme idéalisée par les scénaristes
Ce culte de la minceur dans la pop culture ne date pas d’hier. Au cinéma, Judy Garland, acclamée pour sa prestation dans Le Magicien d’Oz de Victor Fleming en 1939, a dû arrêter sa carrière à cause de sa dépendance aux médicaments qu’elle prenait pour ne pas grossir. “Ce challenge de ne pas prendre un gramme, imposé par l’industrie du cinéma, lui a été fatal. Elle n’y arrivait pas”, témoigne la journaliste Véronique Le Bris. Fondatrice du webmagazine dédié à l’actualité du cinéma féminin Cine-Woman, elle décrypte cette obsession de la taille 0 sur nos écrans: “Effectivement, il n’y a pas de grosses au cinéma, comme il y a peu de nain·e·s, de personnes de couleur ou d’handicapé·e·s. C’est le cas pour toutes les minorités. Les scénaristes écrivent autour d’un standard qui est celui d’une fille mince et élancée entre 15 et 35 ans. Ils ne représentent pas la vraie vie mais ce qu’ils ont envie de voir. Ainsi, si un scénariste veut une actrice principale forte, il va falloir qu’il le justifie s’il veut obtenir des financements.” Faut-il donc toujours avoir une bonne raison de montrer une femme qui sort des stéréotypes classiques? Les exceptions restent très rares. “Je suis tombée sur un article de Slate illustré par le portrait d’un couple dont la femme était grosse, se rappelle Daria Marx. Par habitude, j’ai tout de suite cherché dans le papier où l’on parlait des gros avant de m’apercevoir avec plaisir qu’il ne traitait que de la vie de couple.”
“Faith est intéressante au-delà de son physique, elle ne parle même pas de ses formes, ce n’est pas le but.”
Le personnage de Faith pourrait-il être un premier pas vers une fin des stéréotypes au cinéma? “Si Sony pense que faire un film sur cette super-héroïne est porteur, alors ça l’est. Il faut se servir de toutes les armes que l’on a pour diffuser une meilleure image de la femme dans la culture populaire, estime Florent Degletagne, cofondateur de Bliss Comics. Bien sûr, il y aura toujours les mauvaises langues qui vont dire ‘Ah ils ont créé un personnage plus size pour qu’on parle d’eux.’ Mais ce n’est pas du tout notre but. Faith a été créée en 1992 et faisait partie des Harbinger, un groupe de jeunes dotés de pouvoirs fantastiques. La diversité de tous les membres permettait d’aborder beaucoup de thèmes sociétaux. Faith est intéressante au-delà de son physique, elle ne parle même pas de ses formes, ce n’est pas le but.” Aller au cinéma pour voir des gros, ce n’est pas non plus l’objectif de Daria Marx: “Je n’aime pas les films de super-héros, s’exclame-t-elle. Et ce n’est pas parce qu’une grosse est à l’affiche que j’irai le voir.”
“Hollywood reste une usine à fantasmes des hommes”
Pour qu’une véritable révolution ait lieu, encore faut-il que le casting suive. Tamara, film français réalisé en 2016, a fait l’objet d’une grosse polémique lors de sa sortie en salles. Loin de ressembler à l’héroïne très en formes de la bande dessinée, Héloïse Martin, la jeune actrice de 22 ans choisie pour l’interpréter, avait dû prendre 12 kilos pour avoir le rôle, la rendant ainsi pulpeuse, mais pas ronde, comme il en est question dans l’œuvre originale. Après le tournage du volume 2 de Tamara, la comédienne a un objectif : perdre du poids. Dans une interview donnée au Parisien, elle se dit “fière d’interpréter une héroïne différente qui ressemble plus aux filles que l’on voit dans la rue et moins aux actrices”, mais souhaite “ne pas être définie seulement par [son] poids”.
Tamara tome 1, Dupuis / Affiche du film Tamara © Allociné
D’après Véronique Le Bris, la situation n’est pas près de s’améliorer. “Ce serait étonnant que ça change rapidement et pour quelle raison? Hollywood reste une machine de guerre contre la beauté naturelle des femmes… une usine à fantasmes des hommes.” L’éditeur de Faith voit, lui, dans les comédies avec Rebel Wilson, un petit pas vers la diversité des héroïnes: “Je prends le progrès comme un cheval de Troie. On est obligés de passer par là pour une première représentation, même si les personnages plus size se cantonnent pour le moment aux rôles de personnes maladroites ou rigolotes.” Cette première étape s’inscrit dans un chantier qui s’annonce colossal: c’est toute une vision de la société qu’il faut transformer. “La bonne nouvelle, tempère l’experte du cinéma féminin, c’est qu’il y a pleins de choses à changer et on peut voir germer ici et là déjà beaucoup de prises de conscience.”
Melissa Carles
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