Jada Pinkett et Will Smith, Virginia Woolf et son mari Leonard, ou encore Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre: ces célèbres polyamoureux semblent avoir trouvé la forme de couple idéale. Mais quelles sont les limites à respecter pour que ces relations multiples et simultanées conviennent à tous les protagonistes?
Sur papier, le polyamour a l’air très sympa. Une liberté totale, du dialogue, de la confiance, du respect, de la transparence et de l’honnêteté. Dans la pratique, il n’est pas à mettre entre toutes les mains. Les échaudés du couple traditionnel qui s’essaient au polyamour risquent bien d’y laisser des plumes. Car sans réflexion, déconstruction et remise en question perpétuelle, ce mode de conjugalité vient bousculer tous nos schémas préétablis sur la fidélité, la jalousie et les rapports genrés.
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Dépasser les bornes
Première règle: en fixer! Et franchir les limites instaurées peut sonner le début de la fin. “Nous avons établi nos règles: la possibilité d’avoir chacune nos aventures, pas de mensonges et ‘revoir’ le contrat si l’une des deux venait à se sentir blessée”, raconte Gaëlle qui s’est retrouvée pour la première fois dans un couple polyamoureux sur la proposition de son ex-compagne. Si elle se réjouit d’avoir découvert un modèle qui lui convient parfaitement, elle en a aussi fait les frais. “Elle me donnait l’impression de tout vouloir contrôler selon ses envies et de m’interdire une réelle liberté. De mon côté, j’ai rejeté catégoriquement sa jalousie qui me faisait souffrir. La relation s’est transformée en un affront perpétuel.”
Laurent a lui aussi bravé l’interdit avec l’une de ses anciennes partenaires, générant une crise dans son couple “principal”: “On s’était dit qu’on ne ramenait pas d’autres personnes chez nous, pour préserver une forme d’intimité. Mais l’une de mes partenaires s’est fait cambrioler et on s’est vus plusieurs fois dans mon appart. J’en ai parlé à ma compagne des mois après et elle a très mal vécu le fait que j’ai ‘violé’ cette règle plusieurs fois avant de lui en parler. Et avec le recul, elle avait raison!”
Un casse-tête logistique
Un autre problème concret auquel les polyamoureux se retrouvent confrontés est la gestion de leur temps. Déjà qu’une relation peut représenter un investissement important, comment faire quand on en a plusieurs? “J’ai été avec une femme qui avait des enfants, bossait à plein temps et la distance Paris-Rouen n’arrangeait pas les choses, explique François. On était obligés de croiser nos agendas pour trouver un créneau. C’est assez chiant à vivre parce qu’il n’y a aucune souplesse possible.” Même problème pour trouver un lieu où se retrouver: “On ne se voyait jamais au même endroit. Parfois on passait le weekend à l’hôtel, mais c’est un véritable budget.” De son côté, Laurent avoue avoir “renoncé temporairement” au polyamour pendant une période de sa vie pour les mêmes motifs: “J’avais mes deux enfants de 2 et 4 ans en garde alternée, un nouveau boulot à deux heures de trajet de chez moi, ma vie sociale, mes loisirs (l’escalade et la photo) auxquels je ne voulais pas renoncer. Un jour, je me suis retrouvé dans quatre relations en même temps et je ne pouvais plus gérer. J’avais l’impression d’être en burnout.”
Pour faciliter la gestion logistique, les plus motivé.e.s peuvent installer The Poly Life, une appli qui vous aide à synchroniser vos agendas…
Bien que polyamoureuse, Dwam, artiste et tatoueuse basée à Nantes, vit actuellement une unique relation en raison d’une vie professionnelle intense: “J’ai trop de boulot pour gérer quoi que ce soit d’autre, donc je ne cherche pas particulièrement à multiplier mes relations. Mais je n’exclus pas que ça arrive à nouveau. Par contre, mon partenaire a une autre relation, ce qui est parfait parce que ça me demande moins de temps investi sur lui.” Pour faciliter la gestion logistique, les plus motivé.e.s peuvent toujours installer The Poly Life, une application mobile qui propose de vous aider à synchroniser vos agendas…
Une jalousie tenace
Bien que le polyamour consiste à offrir à l’autre une totale liberté sexuelle et sentimentale, il est difficile de gommer complètement toute trace de jalousie. Pire, des personnes qui ne sont pas des jalouses invétérées peuvent se révéler. “Elle me demandait de passer sous silence ma vie hors du couple qu’on formait, sous peine de bouderie, témoigne François. Elle a fini par me demander de vivre à mi-temps chez elle et j’ai refusé. J’étais très amoureux, c’est vraiment une femme super mais sa possessivité et sa jalousie étaient impossibles à supporter.” Certaines personnes se sentent insécurisées par trop d’indépendance et un contexte amoureux déroutant qui réveille leurs angoisses profondes. “Je pense que la jalousie ne disparaît jamais complément et que chacun doit apprendre à la gérer. Ce n’est pas si facile!”, estime Gaëlle. “S’ajoutent les questions de genre, les normes sexuelles, les stéréotypes qu’on a tous emmagasinés sur la place de chacun dans les histoires d’amour et sur la sexualité, la notion de fidélité, précise Dwam. Ça fait vraiment beaucoup d’un coup, et si tu multiplies ça par la somme des problèmes de chaque partenaire, amuse-toi!”
Le polyamour ne doit pas être considéré comme une solution, car il ne fera qu’exacerber les problèmes préexistants dans le couple au lieu de les résoudre.
Le polyamour “réussi” nécessite donc de travailler constamment et scrupuleusement sur soi et de s’interroger sur sa personnalité, ses envies, ses projets, sa disponibilité. Et surtout, il ne doit pas être considéré comme une solution, car il ne fera qu’exacerber les problèmes préexistants dans le couple au lieu de les résoudre. “La multiplication des partenaires n’est PAS une addition, justement, considère Dwam. En fait, c’est même le meilleur moyen d’être très seul.e. Ce n’est pas un mode de vie, mais un mode de pensée. S’il y a déjà des problèmes à la racine, c’est là qu’il faut aller voir, avant d’aller tout compliquer et tout exploser. Ce n’est pas un remède, c’est plutôt une purge.”
Un schéma plus difficile pour les hommes?
Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, les femmes seraient plus enclines à vivre des relations polyamoureuses que les hommes. Une étude de 2012 réalisée auprès de 4000 polyamoureux par l’association américaine Loving More avance le chiffre de 49,5% de femmes et 35,4% d’hommes. Selon Dwam, ce constat traduit la difficulté des hommes à gérer leur ego et à déconstruire leur masculinité: “Leurs beaux idéaux de ‘je vais me taper plein de meufs cool’ se prend vite un gros mur de jalousie quand ils voient leur compagne filer le(s) parfait(es) amour(s) avec d’autres pendant que c’est le néant pour eux. Enfin, ils ne sont pas à l’aise avec les émotions, la jalousie, la possessivité, et ont souvent cette idée hyper ancrée que le sexe et les relations sont une performance. J’ai souvent été avec des garçons hétéros, qui n’avaient pas trop de soucis à me voir tomber amoureuses d’autres femmes. C’est du sexisme internalisé. Ils pensent qu’une femme, ce n’est pas vraiment de la concurrence et fantasment à être ‘inclus’ dans la relation. Mais en revanche quand il y avait un autre partenaire masculin dans la balance, c’était le drame.”
“Je ne sais pas s’il existe une vraie limite au polyamour, conclut Gaëlle. Les compromis dans la vie de couple demandent des efforts, que la relation soit libre ou non. Et il n’y a pas de solution miracle pour ça.”
Éloïse Bouton
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