Hier exclusivement associée aux strip-teaseuses, la pole dance est aujourd’hui en voie de démocratisation. Plus qu’une pratique mainstream, elle fédère les esprits militants.
Alors que les performances de la danseuse russe Marina Korzhenevskaya affolent Internet, des studios ouvrent chaque mois en France (comme ici ou là). Tel le yoga hier, la pole dance est à la mode. Loin du monde de la nuit, elle réunit toutes les générations de femmes. Mais pourquoi?
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Passe-temps des danseuses foraines des années 20 qui se remuent au sein des chapiteaux, intégrée à la scène burlesque une trentaine d’années plus tard, la “danse à la barre verticale” a dû attendre les années 90 pour s’élever par-delà les clubs de strip. À force d’associations et de compétitions, profs de fitness et athlètes ont démocratisé l’usage de cette discipline sportive. “Depuis huit ans, de plus en plus d’écoles s’ouvrent en France et de plus en plus de clubs de sport proposent de la pole. Même le Club Med a essayé!”, observe Anna Gorynsztejn. À la tête du Wild Pole Studio (Paris 10ème), cette danseuse de formation aux sept années de barre accueille dans ses cours un public diversifié -de 17 à 55 ans. Sa spécialité? “L’exotic dance”, courant qu’elle résume par “du sexy version acrobatique”. Mais elle ne cache pas son amour pour la plus arty “contemporary pole” (le versant danse contemporaine) et la plus sportive que sexy “technique pole”, tendance barres parallèles et abdos. Performance artistique, prouesse aérienne dérivée du cirque et forme de gymnastique, la pole est polymorphe.
Si elle titille notre nostalgie -en nous renvoyant à la choré de Britney sur Gimme More, tout en se modernisant comme l’illustre le plus glam’ Cellophane de FKA Twigs-, c’est encore la même sale réputation qu’elle se traîne. “Je n’appelle pas ça pole dance mais pole fit”, avoue Angeline, 26 ans, “car je reçois des drôles de réaction quand je le dis”. Malgré ses sept années de pratique, en parler n’est jamais évident. C’est là le sort des danses soi-disant trop provoc’, de la salsa au booty shake en passant par le zouk. “On l’associe encore à la lap dance, alors que si l’on est en culotte et brassières, c’est avant tout pour adhérer à la barre”, déplore Anna Gorynsztejn. Sa pratique “exotique” lui vaut bien des remontrances: “Certains me disent ‘comment voulez vous défendre votre sport avec des mouvements comme ça?’”, raconte-t-elle.
Acrobatique empowerment
Pour Angèle, prof de pole de 27 ans, la raison du scandale est évidente. “Il y a bien des danses hypersexualisées, mais elles sont au service de l’homme, qui guide sa partenaire”, explique cette fière féministe body positive, “contrairement à la pole, qui est une discipline de femmes, et de femmes puissantes: chorégraphes, compétitrices, directrices d’école, athlètes, danseuses”, s’enthousiasme-t-elle. Même celles qui s’exercent à une pole plus exotique “peuvent décider de quand elles sont sexy, mais surtout, si elles le sont, de ne l’être pour personne”, assure-t-elle. Autour de la pole s’élance une génération décomplexée qui a grandi avec Coyote Girls. Ce sport autrefois hanté par la libido masculine s’érige alors en acrobatique empowerment. C’est d’ailleurs avec un esprit “plus girl power que girly” qu’Anna Gorynsztejn a monté son école.
“Plus tu réussis de figures, plus tu as confiance en toi. Ton corps change, mais aussi le regard que tu portes sur lui.”
“Tu n’auras jamais besoin d’un mec pour réussir une figure”, assène Valentine, 26 ans. Sur ses réseaux, cette passionnée de danse classique partage les vidéos de ses prouesses de pole. Une façon de revoir ses gestes et de les corriger, mais surtout de faire rager ceux qui la traitent de “salope” en DM, lui demandent “ce qu’en pense [son] mec” ou lui envoient des dick pics. À la barre, elle se brûle les cuisses, se retourne le poignet, tombe parfois. Mais se relève toujours. “Plus tu réussis de figures, plus tu as confiance en toi. Ton corps change, mais aussi le regard que tu portes sur lui”, dit-elle. Hier hospitalisée pour anorexie, elle pouvait fondre en larmes en se scrutant dans le miroir. Ses cours particuliers de pole l’ont réconciliée avec son image. Angèle aussi croit en l’idée d’une pole “thérapeutique” basée sur l’empathie, en phase avec “un besoin de développement personnel”, dit-elle. Valentine, elle, compare cette forme d’émancipation “aux meufs magnifiques d’assurance qui postent des nudes sur Twitter”. C’est dire si la pole dance s’accorde aux préoccupations des femmes d’aujourd’hui.
De la France à Istanbul
Bien plus qu’un défi validé par La France a un incroyable talent, la pole dance est un sport de combat. Angeline en ressort le corps couvert de bleus, “fière d’avoir réussi après s’être battue”. Ces marques sont pour Angèle “des blessures de guerre”. Un lexique fort à Istanbul, où des “résistantes” ont monté leur propre école. Quitte à risquer leur vie au sein d’une société si conservatrice. “Nous sommes toutes féministes à notre manière. Faire du pole est une façon de redonner du pouvoir aux femmes”, affirme la leadeuse Sevinç Gurmen à TV5 Monde.
Pour Hélène Marquié, spécialiste de la danse à Paris VIII, “c’est un signe de révolte et d’affirmation au sein d’un climat de régression des droits”. D’aucunes sortent les cheveux libérés, d’autres ont choisi la barre. Si la prendre en main à Paris ne conduit pas à la mort, la boss du Wild Pole Studio constate elle aussi combien ce sport démange le patriarcat. Elle pense à celles qui ont dû arrêter car leurs Jules trouvaient “qu’elles prenaient trop d’épaules”. Aujourd’hui, cette amoureuse du krav maga se réjouit de pouvoir éclater les mecs aux tractions. “Ils doivent se dire qu’on leur vole aussi leurs muscles!”, ironise-t-elle. Une chose est sûre: avec la pole, ce n’est plus eux qui mènent la danse.
Clément Arbrun
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