Linda Chibani a lancé le podcast On Hair, qui donne la parole à des femmes dont les cheveux sont bien plus qu’une simple partie de leur corps.
Comme beaucoup de femmes, Linda Chibani n’a pas toujours eu une relation simple à sa chevelure brune et bouclée, qu’elle aurait préférée châtain clair et lisse. “Enfant, je rêvais de ressembler à Hélène Rollès de Hélène et les garçons”, confesse-t-elle en riant. À défaut de blondeur, la jeune femme a longtemps obtenu le lisse, au prix de brushings aussi réguliers qu’évidents: d’origine tunisienne, elle n’a jamais vu personne autour d’elle laisser ses cheveux au naturel. “Ma mère, mes tantes, mes cousines le faisaient toutes… dans les familles tunisiennes, on lisse déjà les cheveux des petites filles pour les grandes occasions comme les mariages, les baptêmes ou les anniversaires, explique-t-elle. Très tôt, j’ai accepté l’idée que pour être jolie, on a les cheveux lisses, et que les boucles, c’est ce qui est banal, c’est la vie de tous les jours.”
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Ado, Linda Chibani ne se pose pas de questions et adopte comme les autres cette routine capillaire pour des années. Jusqu’au jour où elle entend parler du mouvement nappy chez les femmes aux cheveux afro. Elle ne se sent pas directement concernée mais cette réflexion collective à propos de ce que les femmes infligent à leurs cheveux au nom de normes de beauté stéréotypée trouve un écho en elle. Désormais, il lui arrive de sauter un lissage, mais elle y revient toujours. Linda Chibani ne sait plus exactement quand ni pourquoi elle a ralenti le rythme, mais elle se souvient parfaitement du jour où elle s’est regardée dans le miroir et ne s’est pas reconnue avec ses cheveux lisses. “Deux jours plus tard, je me lavais les cheveux, et je n’ai quasiment plus jamais utilisé un lisseur depuis.” C’était il y a un an et c’est sans doute la lointaine genèse de son podcast On Hair, qu’elle a lancé au mois de janvier dernier depuis Londres, la ville où elle réside. La jeune femme de 31 ans y travaille comme product manager dans le domaine de l’animation et elle est une grande auditrice de podcasts. Après avoir blogué sur le sujet des cheveux et leur dimension politique sans grande conviction, elle se tourne vers ce média que sa génération affectionne particulièrement et décide de poursuivre son cheminement personnel capillaire en posant des questions à d’autres.
“L’idée n’est pas de remplacer une injonction par une autre en faisant culpabiliser celles qui ne laissent pas leurs cheveux naturels.”
En six mois et 11 épisodes, Linda Chibani a déjà abordé des thématiques variées, allant du défrisage aux cheveux gris en passant par la perte des cheveux pendant une grossesse et la dimension genrée d’une coiffure. “Je commence à avoir pas mal de retours sur les réseaux sociaux, c’est le signe qu’il y avait un sujet, se réjouit-elle. J’insiste sur le fait que c’est un podcast inclusif et que deux femmes ayant le même type de cheveux n’auront pas nécessairement le même point de vue. L’idée n’est pas de remplacer une injonction par une autre en faisant culpabiliser celles qui ne laissent pas leurs cheveux naturels.” En attendant une deuxième saison qu’elle est en train de préparer, Linda Chibani a accepté d’être celle qui répond aux questions le temps d’une interview.
Qu’est ce qui t’a poussée à prendre la parole sur la question des cheveux?
À force d’écouter des podcasts natifs et de voir que beaucoup étaient réalisés par des non-journalistes, je me suis dit “pourquoi pas moi”? Je voulais aborder la thématique du corps des femmes, mais aussi la question féministe et celle des origines, alors j’ai commencé à réfléchir à tout ça. Avant de me rendre compte que la réponse était sous mes yeux, ou plutôt sur ma tête. J’ai fait le lien avec toutes les injonctions dont j’essayais de me débarrasser et tout le stress que me créaient mes cheveux et j’ai su que je tenais mon idée.
Comment es-tu passée de la réflexion à l’action?
Au début, j’ai eu des moments de doute car je ne savais pas si j’avais la légitimité pour me lancer. Et puis, j’ai été confrontée à des questions techniques, comme, je crois, la plupart des podcasteur·se·s, surtout que j’ai eu du mal à trouver des infos sur le bon matériel à utiliser. J’étais familière de l’image car je bosse dans l’audiovisuel, mais choisir son micro, c’est un autre langage. J’ai dû me familiariser avec le Zoom et trouver les premières personnes à interviewer, j’ai mis environ six mois à me lancer. Je fais ça en parallèle de mon travail, et deux épisodes par mois, ça demande un peu d’organisation.
À qui s’adresse On Hair?
J’aimerais qu’il puisse intéresser tout le monde, car derrière une fibre capillaire, il y a toujours l’histoire d’une femme. Au début, je ne pensais pas en faire un podcast féminin, et au fil des interviews, je me suis rendu compte que j’étais plus à l’aise pour parler de ça avec les femmes qu’avec les hommes; j’ai aussi plus de facilité à trouver des témoignages féminins.
Penses-tu que la problématique des cheveux soit davantage féminine que masculine?
Je ne pense pas, et d’ailleurs, j’ai récemment interviewé Yassin Alami, le cofondateur du mouvement Hrach is beautiful, destiné à revaloriser les cheveux crépus et bouclés des maghrébins. C’était le premier homme que je recevais dans mon podcast et je me suis rendu compte qu’il avait beaucoup de choses à dire. Les témoignages masculins sont sûrement aussi intéressants que ceux des femmes à condition qu’ils acceptent de se dévoiler et d’en parler. Je prépare un épisode sur la calvitie, et il sera destiné en priorité aux hommes.
“J’ai pris conscience avec les années de l’aspect politique du cheveu et des diktats de beauté stéréotypée qui sont imposés aux femmes.”
Pourquoi la chevelure est-elle centrale dans notre construction identitaire?
Je crois que chacun de mes épisodes répond à cette question d’une façon différente. Le dernier aborde la thématique du genre à travers le parcours de Camille Roblin, qui raconte comment sa coupe courte a construit son rapport à la féminité depuis l’enfance. En ce qui me concerne, j’ai pris conscience avec les années de l’aspect politique du cheveu et des diktats de beauté stéréotypée qui sont imposés aux femmes. Avec On Hair, je veux comprendre comment les femmes réussissent à s’en émanciper -ou essayent au moins. Personnellement, à travers mon choix du naturel, j’ai fini par dire non à ces diktats. Mais je sais que je n’en ai pas terminé avec mon questionnement et le fait d’interviewer toutes ces personnes contribue à ma réflexion.
En 2006 déjà, India Arie et Akon exploraient en musique la question capillaire.
Y a-t-il une rencontre qui a constitué un déclic pour toi et t’a aidée à revenir au naturel?
J’ai été invitée à participer au Curl Talk Project de Johanna Yaovi, qui publiait sur Instagram des portraits de femmes nappy. J’avais déjà entamé ma réflexion, mais cette rencontre m’a confortée dans ma décision d’abandonner mon lisseur, et je l’ai invitée dans l’un de mes tout premiers épisodes. Avant elle, il y avait déjà eu une vidéo de la YouTubeuse beauté Shera Kerienski qui m’avait marquée à ses débuts. Elle avait fait grand bruit en parlant de ses cheveux naturels, et c’était la première fois que je voyais quelqu’un de ma communauté -nord-africaine- prendre la parole sur le sujet. L’apparition du mouvement Hrach is beautiful a aussi été déterminante pour moi, car je trouve important que la réflexion autour des cheveux naturels soit également portée par et pour des maghrébins. Il y a des problématiques qui nous sont propres.
Qui rêverais-tu d’interviewer?
Rokhaya Diallo. J’avais beaucoup aimé son livre Afro! dans lequel elle réunissait les témoignages de nombreuses personnalités aux cheveux crépus. J’avais apprécié qu’elle balaye toutes les origines ethniques, et je suis sûre qu’elle ferait un épisode super intéressant.
Quels sont tes conseils podcast pour cet été?
En ce moment, j’écoute Blockbusters, l’émission d’été de France Inter qui revient chaque jour sur une œuvre iconique de la pop culture. Et sinon, si je devais recommander un podcast, ce serait Kiffe Ta Race de Grace Ly et Rokhaya Diallo, à nouveau. Forcément, les sujets qu’elles abordent autour de la double culture m’intéressent particulièrement.
Propos recueillis par Myriam Levain
{"type":"Banniere-Basse"}