Après avoir composé la musique de Fortnite et de la série Krypton, Pinar Toprak est aux manettes du nouveau blockbuster de Marvel Captain Marvel. Elle met en musique les aventures de la super-héroïne campée par Brie Larson.
Juin 2017. La sortie de Wonder Woman est un événement. Pour la première fois à Hollywood, un film de super-héros est confié à une réalisatrice, Patty Jenkins. Qu’en est-il du reste du crew? À la musique, on retrouve l’un des compositeurs les plus célèbres d’Hollywood: Hans Zimmer. Le studio n’a pas fait l’effort de faire confiance à une femme pour mettre en musique les aventures de l’amazone. Et il n’est pas le seul à les mettre de côté. Un bref coup d’œil aux nominations aux Oscars permet de se rendre compte de la faible présence féminine dans ce milieu. Dans toute l’histoire des statuettes, seules six femmes ont été nommées dans la catégorie “meilleure bande originale” et seules deux d’entre elles ont obtenu des récompenses: Rachel Portman pour Emma (1996) et Anne Dudley pour The Full Monty (1997). Le New York Times rapporte que, parmi les BO des 250 films figurant au box office en 2018, 94% ont été composées par des hommes. Même son de cloche en France, où seules Émilie Simon, Béatrice Thiriet, Anne Dudley et Sophie Hunger ont décroché une nomination aux César depuis la création du prix.
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À 39 ans, la compositrice est loin d’être une débutante.
Mais voilà qu’un an tout juste après le carton planétaire de Wonder Woman, Marvel Studios annonce à son tour un film de super-héroïne co-réalisé par Anna Boden et Ryan Fleck avec, dans le rôle principal, Brie Larson. Sauf que, surprise, à la bande-son, on ne trouve ni Hans Zimmer, ni John Williams mais Pinar Toprak, une compositrice de 39 ans. Sur son Instagram, cette dernière exulte et remercie Marvel de lui avoir fait l’“honneur” de devenir la première femme à composer la bande-originale d’un film d’action avec un budget aussi conséquent. La jeune femme d’origine turque fait voler en éclats le plafond de verre de deux milieux plutôt blancs et masculins: les films de super-héros et la composition de bande originale. Lorsque Variety organise une table ronde autour de son métier, la première question posée à Toprak est bien sûre celle de la “discrimination positive”. A-t-elle été uniquement choisie pour coller à l’envie souvent exprimée par le directeur de Marvel Studios d’intégrer plus de diversité dans ses équipes? “Avant de travailler sur ce film, j’ai écrit plus de 40 bande-originales, rétorque Toprak immédiatement. Je suis à Hollywood depuis vingt ans, j’étudie la musique depuis que j’ai quatre ans. Si j’ai été choisie uniquement parce que je suis une femme, alors ils ont vraiment raté quelque chose!”
À 39 ans, la compositrice est en effet loin d’être une débutante. Née à Istanbul, elle apprend d’abord le violon avant d’étudier la guitare classique à l’université. Son diplôme en poche, elle arrive aux États-Unis à l’âge de 16 ans pour suivre un cursus de composition pour le cinéma à Boston qui mêle ses deux passions: le septième art et la musique. Après deux ans de master en composition classique en Californie, elle commence véritablement sa carrière en travaillant aux côté de l’un de ses héros, le célèbre Hans Zimmer. Très rapidement, elle vole de ses propres ailes en se faisant la main sur quelques courts-métrages et sur le jeu vidéo Ninety-Nine Nights sorti en 2006. Sa détermination la pousse de courts-métrages en téléfilms, jusqu’à ce qu’elle se voie confier des longs-métrages comme The Lightkeepers, une romance en costume réalisée par Daniel Adams pour laquelle elle compose un thème romantique. Le film ne rencontre pas un franc succès mais son travail lui vaut une première distinction de l’International Film Music Critics Association. Elle réitère l’année suivante dans la catégorie documentaire pour sa contribution au film The Wind Gods.
“Je suis une nerd et fière de l’être.”
Sa carrière connaît un tournant en 2017 quand elle est embauchée par DC Films et la Warner, peu de temps après la sortie de Wonder Woman, pour écrire des musiques additionnelles pour Justice League. Elle s’associe avec Danny Elfman, connu notamment pour être le collaborateur privilégié de Tim Burton. Déjà à l’époque, sur son Instagram, elle confie sa joie d’avoir mis en musique certains passages du film mettant en scène la force de Wonder Woman. La même année, elle écrit une heure de fond sonore pour le jeu Fortnite, loin de se douter qu’il deviendrait le phénomène que l’on connaît. Sa capacité à créer des sons avec ses nombreux synthés et sa versatilité, qui lui permet de passer d’un long morceau romantique à l’illustration épique d’une bataille de super-héros, attise la curiosité de la chaîne Syfy, qui lui donne les clés de Krypton (prequel de Superman). “Je suis une nerd et fière de l’être”, explique-t-elle à l’époque. En imaginant l’ambiance sonore de la planète Krypton, elle devient la deuxième femme à composer la bande originale d’une série de super-héros, plus de vingt-cinq ans après Shirley Walker (The Flash, 1990).
Sur son Instagram elle poste volontiers de nombreuses photos de sa “cave”, où elle compose la majorité du temps et elle s’amuse des moments où elle peut en sortir pour un tapis rouge ou une session d’enregistrement en studio. Pour Krypton, elle a passé des jours à chercher la musique qui correspondrait à cette planète imaginaire. Quels sons entend-on dans les mondes parallèles? Comment passer de l’intime à l’héroïque? “Faire passer la bonne émotion au bon moment, voilà l’essence du travail”, expliquait-elle au moment de la diffusion de la série. Elle voudrait surtout que l’on arrête de penser qu’une femme n’est pas prête à écrire une bande originale épique pour illustrer des combats spectaculaires. Elle compte bien le montrer par l’exemple avec son travail sur Captain Marvel. À la table ronde de Variety, Pinar Toprak espère voir les choses changer, justement en donnant l’exemple aux futures générations.
“Si des enfants de Turquie me voient, ils vont peut-être se dire qu’ils peuvent devenir compositeurs ou compositrices, que c’est un métier accessible.”
Alors qu’un article du New York Times évoquait comme raison principale du peu de femmes compositrices l’absence de “role models”, elle est prête à montrer la voie. “Si des enfants de Turquie me voient, explique-t-elle, ils vont peut-être se dire qu’ils peuvent devenir compositeurs ou compositrices, que c’est un métier accessible. Ça va les motiver à travailler. C’est comme ça qu’on changera les choses.” Chez Marvel comme ailleurs, l’heure semble être au changement, et ces dernières années, plusieurs femmes ont tiré leur épingle du jeu. On peut citer le travail de Tamar-kali (Mudbound), de Kathryn Bostic (Dear White People) ou encore de Mica Levi, qui a signé deux des plus belles bandes originales de la décennie (Jackie et Under the Skin). En France, des compositrices comme Julie Roué, qui a parfaitement mis en musique le Jeune femme de Léonor Serraille, font aussi bouger les choses. Peut-être même qu’à la prochaine saison des récompenses, on ne sera plus face à une sélection 100% masculine. C’est aussi comme cela que l’on donnera une exposition mondiale à ces role models inspirants.
Pauline Le Gall
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