1. La retouche photo ne se limite pas à ce que l’on croit.
La retouche photo a bien souvent une double détente, plus insidieuse qu’à première vue.
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Étape 1: on allonge, on étire et affine les mannequins. Ça, on le sait, c’est très “magazine” comme retouche.
Étape 2: on les grossit. Ça, on le sait beaucoup moins, c’est très “publicité” comme retouche. C’est-à-dire qu’on remplit toutes les zones où ça fait mal (côtes, clavicules, omoplates, tendons) et même on ratiboise ce qui fait franchement peur (iliaques, pointe des épaules…).
De cette façon, on obtient une illustration de femme qu’on fait passer pour une norme de beauté ET de santé. Pourquoi faire ça? Tu le sais, tu le sens: c’est plus joli. Les filles deviennent des sculptures filiformes, des canons de finesse, des compositions parfaites aux structures déliées mais elles ne font pas peur, elles ne sont jamais maigres dans leur bikini. C’est magique! N’oublie pas que c’est un photographe qui prend la photo, pas un médecin nutritionniste.
L’esthétique, la force des lignes, l’attitude (et le produit) priment sur tout. Le photographe de mode n’est pas un documentariste non plus, le photographe de mode est un auteur, il crée son image, quitte à devoir réinventer un peu le corps de la femme en passant. Pourquoi pas? C’est son droit.
2. Ça pose un problème?
Ce que je trouve délicat à accepter, c’est ce morcellement du corps “mince” de la femme que l’on caste par amour immodéré de la finesse, puis que l’on enrobe par peur du résultat à l’image. On choisit des mannequins incroyablement grands et fins pour les étirer encore davantage puis gommer toute trace de structure osseuse, de fibres musculaires, de tendons. Car pour avoir cette taille si fine et désirable, la fille a aussi les omoplates qui lui raclent la peau du dos mais ça, on le cache, ce n’est pas vendeur. Pour garder la pommette si saillante et altière, ses côtes saillent dans tous les sens aussi. Toutes les mannequins ne sont pas excessivement “minces”, heureusement, mais celles qui le sont décrochent sans problème des contrats.
Pour arrêter de glorifier l’extrême minceur, peut-être faudrait-il en montrer toutes les facettes: ces jambes de gazelle partent nécessairement d’un bassin sévèrement osseux aux iliaques protubérants.
Une première victoire serait déjà de réunifier le corps de la femme à l’image, de la montrer dans son unité, quelle que soit sa morphologie et sa masse, ce grand sujet du moment. Pour arrêter de glorifier l’extrême minceur, peut-être faudrait-il en montrer toutes les facettes: ces jambes de gazelle partent nécessairement d’un bassin sévèrement osseux aux iliaques protubérants. Pourquoi gommer ces saillies-là? On aime ou on n’aime pas, en tous cas ce serait un corps maigre authentique. C’est ça aussi la body honesty.
J’insiste mais, sauf exception, la fille des pub et des catalogues n’existe pas. Elle est à la fois plus fine et plus replète qu’il n’est humainement possible. Elle n’a ni ossature ni graisse. Il faudrait l’envisager comme une illustration de mode. Et je ne me compare pas aux illustrations.
3. Qui blâmer?
Moi, qui ne suis pas la dernière à repérer et pointer du doigt une cheville épaisse, une hanche un peu ronde, un ventre mou.
Toi, qui es ce corps pétri d’injonctions à être toujours plus mince, fit et strong. Ou qui jalouses ce corps.
Nous tous qui nous sommes si bien habitués à cette illustration de femme que nous en avons fait une norme -presque- indépassable que les marques se sentent obligées de perpétuer à chaque saison.
Si Dim présentait sa nouvelle collection sur une jolie nana taille 32-34 sans lui remplir les côtes et le bonnet, tu crierais au scandale anorexique.
Franchement, tu ne ricanerais pas si Dim, sans prévenir, sans estampiller sa campagne “attention, warning, achtung, vraie fille sans retouche”, présentait sa nouvelle collection sur une jolie nana taille 40-42? Ma main à couper que tu penserais immédiatement que tu es au rayon grande taille de Monoprix. À l’inverse, si Dim présentait sa nouvelle collection sur une jolie nana taille 32-34 sans lui remplir les côtes et le bonnet, tu crierais au scandale anorexique.
Qu’est-ce qu’il reste comme solution aux marques pour te plaire? Caster une fille taille 34, lui mettre des escalopes dans le soutien-gorge, gommer les iliaques, remplir les clavicules et les côtes et tadam! Une “mince” toute pleine de peps qui fait envie/vendre.
4. Comment sortir du diktat?
C’est très curieux d’avoir envie de citer la Bible mais j’ai très envie de dire: “Charité bien ordonnée commence par soi-même.” Nous sommes toujours plus nombreuses à crier au scandale de la retouche photo et de son impact négatif sur l’image que les femmes ont d’elles-mêmes mais, d’un autre côté, mon fil Instagram n’est qu’une succession de photos personnelles de mes copines sublimes, minces, musclées, au bord de la piscine ou à la salle de sport (6 fois par semaine). Chacun est son propre petit héraut de la tyrannie de la fitness-minceur. On lit des articles sur la taille 40 mais qui fait réellement cette taille? Qui oserait “se laisser aller” à ce point et s’afficher? Pas les filles que je croise dans la mode en tous cas. Et certainement pas les dircomm’ qui commandent les photos et leurs retouches.
On ne peut pas raisonnablement attendre de la pub et de la mode qu’elles nous montrent les corps authentiques qu’on raille si bien au bureau et dans la rue.
J’ai entendu une styliste, pourtant à la cool, dire que franchement le mini-short en jean, ça ne devrait pas être porté par toutes ces nanas dans la rue (Ndlr: ces nanas qui font du 38/40 ou plus), que ça pique les yeux, qu’on voit de la cellulite. Je ne suis pas d’accord, je trouve ça audacieux et libérateur, on voit de la cellulite. On ne peut pas raisonnablement attendre de la pub et de la mode qu’elles nous montrent les corps authentiques qu’on raille si bien au bureau et dans la rue. Charité bien ordonnée…
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