De Shining à L’Exorciste, en passant par les films d’horreur japonais, les fillettes, symbole d’un féminin malfaisant en puissance, terrorisent les salles obscures.
“Ma première grosse peur de cinéma, c’est les jumelles de Shining.” Pour Théo, 20 ans, difficile d’oublier les silhouettes de Lisa et Louise Burns, les deux actrices, alors âgées de 12 ans, qui ont incarné les terrifiantes sœurs Grady dans le film de Kubrick. “J’avais 11 ans quand j’ai vu le film pour la première fois, mon père, fan absolu de Kubrick, me montrait ses films, se souvient Théo. Quand on a regardé Shining, il m’a mis en garde, m’expliquant que certaines scènes pouvaient faire peur. Il pensait notamment à celle de la sorcière dans la baignoire. Mais ce qui m’a terrifié, c’est le ‘viens jouer avec nous’ des jumelles. Depuis, dès que j’en croise dans la rue ou ailleurs, j’ai des flashbacks de cette scène et je flippe à mort!” Robes bleu ciel, raies sur le côté et chaussettes blanches, les jumelles Grady sont le cliché des petites filles modèles. Pourtant, elles sont l’une des images les plus terrifiantes de l’adaptation du roman de Stephen King, rejoignant la liste des fillettes traumatisantes du cinéma d’horreur, de Regan dans L’Exorciste, à Carol Anne de Poltergeist, en passant par Ashley de Sinister ou l’Esther de Jaume Collet-Serra.
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Les formes féminines associées au mal
“Il y a de nombreux exemples d’enfants tueurs ou psychopathes dans les films d’horreur, filles ou garçons, mais il y a une différence de représentation selon les genres, explique Muriel Andrin, spécialiste de la représentation genrée à l’écran, notamment dans le cinéma horrifique. Les petits garçons symbolisent l’enfance au sens universel du terme, ils incarnent l’innocence corrompue. Les petites filles ou les adolescentes sont quant à elles représentées comme des femmes en devenir, un concentré de féminité encore sauvage et énigmatique. Et dans les films d’horreur, comme l’a démontré Barbara Creed dans son livre Le Monstrueux féminin, les formes féminines sont toujours associées au mal. L’un des exemples les plus emblématiques de cette vision misogyne ancestrale sont les sorcières. Les petites filles, femmes miniatures, n’échappent pas à cette représentation genrée.” La petite fille diabolique est ainsi devenu un véritable cliché du genre. En témoignent les innombrables films d’horreur asiatiques -et leurs remakes américains- dans lesquels le fantôme d’une petite fille revient hanter les vivants. Samara ou Sadako dans Ring, Mitsuko dans Dark Water, le fantôme dans 2 soeurs… Point bonus si la fillette porte une chemise de nuit blanche et laisse pendre ses longs cheveux noirs devant son visage.
“Le corps des femmes et les attributs dits féminins comme les cheveux longs, les seins, l’utérus, sont l’expression physique du mal.”
Dans ces films, la vision de ces filles-fantômes est une annonce de mort. C’est l’apparition et la matérialisation de ces corps féminins qui déclenche l’horreur. “Le corps des femmes et les attributs dits féminins comme les cheveux longs, les seins, l’utérus, sont l’expression physique du mal. Les règles sont particulièrement symboliques de cette idée. Elles représentent la naissance de la sexualité, le passage à l’état de femme, une progression vers le maléfique”, explique Muriel Andrin. Dans Les Châtiments, la jeune Loren, responsable involontaire d’une malédiction semblable aux 10 plaies d’Égypte, est martyrisée par sa famille et son entourage à l’arrivée de ses premières règles. Impossible également de ne pas évoquer Carrie, adolescente dont les premières règles surviennent au tout début du film de Brian de Palma, dans les douches du lycée après un cours de sport. S’ensuit une humiliation publique qui déclenche la vengeance meurtrière de l’héroïne.
La poupée comme totem du féminin
Mais les petites filles n’ont pas pas besoin d’être de chair et de sang pour nous terroriser. D’innombrables poupées tueuses ont traumatisé des générations de fans d’horreur, dans Dolly, Sabrina, ou encore Annabelle. “À part Chucky ou quelques rares films mettant en scène des marionnettes de ventriloque, toutes les poupées maléfiques ont des traits féminins, des traits de petites filles”, note Muriel Andrin pour qui cette représentation en miniature d’une petite fille est une manière de “totemiser” le féminin.
Pour Alicia, amatrice de film d’horreur et artiste peintre s’inspirant des classiques du genre dans ses tableaux, les poupées sont le signe d’une revendication féministe: “Elles m’ont toujours terrifiée mais j’ai toujours perçu ces poupées maléfiques comme des représentations d’une féminité qui ne se satisfait pas de sa condition d’objet, explique-t-elle. Je pense qu’elles tuent pour signifier au monde qu’elles sont plus que ce qu’on leur a donné et pour se venger d’être coincées dans un corps inanimé et trop petit pour elles.”
Une féminité vengeresse, voilà justement l’origine du rape and revenge, sous-genre bien connu -et controversé- du cinéma d’horreur, dans lequel l’héroïne est violée avant de partir dans une guerre, sanglante et mortelle, contre ses agresseurs. Mais quand la victime est une petite fille, difficile pour elle de prendre les armes. La vengeance est alors surnaturelle. Dans American Haunting, la jeune Betsy Bell devient possédée en réponse aux viols que lui fait subir son père. Sa colère frappe de plus en plus violemment la maison à mesure qu’elle se mure dans le silence. Dans Silent Hill, dont le nom même du film est une référence à une parole bridée, c’est la petite Alessa qui déclenche une malédiction touchant toute sa ville après avoir été violée par le gardien de son collège et brûlée vive par des villageois·e·s souhaitant la purifier de cette souillure. “Vous savez ce qui arrive aux petites filles lorsqu’on les laisse seules”, dit-elle d’un ton accusateur comme pour reprocher aux adultes de ne pas l’avoir protégée et écoutée. Et si au fond, ce qui nous faisait peur chez les petites filles, c’est ce qu’elles ont à dire?
Audrey Renault
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