Autrice du brillant essai “Formés à la haine des femmes – comment les masculinistes infiltrent les réseaux sociaux”, la journaliste Pauline Ferrari revient avec nous sur l’affaire de cyberharcèlement qui a touché l’agente d’influenceur·euses Magali Berdah, et qui vient de donner lieu à un verdict inédit au tribunal.
Des condamnations sans précédent ont été prononcées ce mardi 19 mars à l’issue du procès pour le cyberharcèlement de Magali Berdah, qui s’est tenu de novembre à janvier. La totalité des 28 prévenu·es a en effet écopé de peines de prison, parfois fermes, pour cyberharcèlement aggravé, menaces de mort, menaces de crime ou menaces en raison de l’appartenance supposée à une religion, à l’encontre de l’agente d’influenceur·euses. La femme d’affaires, à la tête de son agence Shauna Events et d’une considérable communauté sur les réseaux sociaux (1,7 million d’abonné·es sur Instagram), est victime depuis 2022 d’un cyberharcèlement de masse aux relents antisémites, suite à de nombreux tweets de Booba l’accusant d’arnaquer des internautes (elle est par ailleurs sous le coup d’une procédure judiciaire pour “des délits de blanchiment et de banqueroute”, d’après Libération). Tandis que le rappeur a été mis en examen en fin d’année pour “harcèlement moral aggravé” et placé sous contrôle judiciaire, la condamnation des 28 prévenu·es dans le cadre de ce premier volet judiciaire marque un tournant dans la lutte contre le cyberharcèlement. Retour avec Pauline Ferrari, journaliste et autrice de l’essai Formés à la haine des femmes – comment les masculinistes infiltrent les réseaux sociaux, sur cette affaire d’une ampleur inédite.
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Quelles sont les spécificités du cyberharcèlement vécu par Magali Berdah ?
Il a pris des proportions inédites, tout comme le montre ces peines sans précédent. On n’a jamais vu autant de personnes condamnées avec du ferme dans un cas de cyberviolences de masse. Magali Berdah n’est clairement pas la première femme à être victime de ce genre de cyberharcèlement, mais il a pris dans son cas un volet social et politique assez important. Au-delà de la misogynie, l’antisémitisme y était bien sûr très présent, mais il y avait aussi une sorte de justification, comme si elle avait mérité son cyberharcèlement puisqu’elle aurait des pratiques commerciales douteuses, celles des fameux “influvoleurs” dénoncés par Booba.
Comme dans certaines affaires de violences sexuelles, Magali Berdah incarne-t-elle dans l’inconscient collectif la “mauvaise victime” ?
Exactement. Une partie du public, y compris des femmes et des personnes qui se disent féministes, estiment qu’elle a une part de responsabilité dans ce qu’il lui arrive. Alors que les victimes ne sont jamais responsables du cyberharcèlement qui les touche, qu’importe leurs actions antérieures. Cela me rappelle Benjamin Ledig, cet influenceur qui avait twerké dans une église. Son cyberharcèlement avait été perçu par certain·es comme une juste punition pour avoir “fauté”. Pour Magali Berdah, s’ajoute à cela, en plus des tangentes misogynes et antisémites, celle du “personnage public”. Comme si le cyberharcèlement pour les personnes célèbres faisait partie du jeu. Une sorte de rançon de la gloire. Surtout, au lieu de parler de Magali Berdah et de son attitude, il faut parler de la responsabilité de Booba dans cette affaire-là.
Justement, quelle rôle a-t-il joué ?
C’est la question importante que soulève cette affaire. À quel point Booba -ou toute autre personne avec de l’influence- peut avoir ce rôle de chef de meute et donc, une responsabilité dans des situations de cyberharcèlement de masse. Je pense, en l’occurence, que Booba a une responsabilité très importante ici. Quand on a une influence pareille, on sait très bien comment l’utiliser -il ne s’est d’ailleurs jamais caché de vouloir s’en servir pour peser dans les débats.
Booba n’était pas jugé avec les autres prévenu·es au cours de ce procès. Risque-t-il, lui aussi, d’être jugé dans le cadre de cette affaire ?
Il est en tout cas mis en examen depuis octobre et placé sous contrôle judiciaire. Peut-être qu’il y aura un procès à part et si c’est le cas, ce serait intéressant. Car ce serait l’un des premiers procès d’une figure qui appelle au cyberharcèlement. S’il y a un procès en ce sens avec Booba, ce serait important au niveau de la jurisprudence, pour montrer qu’avoir une communauté s’accompagne d’une responsabilité sur les messages qu’on propage et sur les éventuelles actions qu’on l’amène à entreprendre.
L’espace numérique est souvent perçu comme une zone de non-droit. Est-ce le cas et si oui, ce procès pourrait-il sonner la fin d’une certaine impunité ?
L’espace numérique a toujours été une zone de droit, en réalité. Nous avons en France un arsenal législatif et juridique assez abouti sur les cyberviolences, même s’il est un peu en retard par rapport à la réalité du terrain. Il y a un manque de moyens et de formation du côté de la police et de la justice pour pouvoir appliquer la loi. On parle de Magali Berdah mais, quand on regarde le traitement de ces violences pour les anonymes, on se retrouve avec des affaires classées sans suite, des policier·es qui refusent de prendre les plaintes. L’autre problématique, c’est que les victimes ont honte et ne vont pas porter plainte. Car il y a cette idée, d’une part, qu’elles seraient en partie responsables, et d’autre part que ce ne sont pas vraiment des violences. Beaucoup de mineur·es sont concerné·es par ces cyberviolences et, comme il s’agit d’un espace virtuel, on leur inculque cette idée que ça n’aurait pas de conséquences sur la vie réelle et qu’il suffirait d’éteindre son téléphone pour que ça aille mieux. Ce discours est relayé par certains parents, certains adultes, des figures d’autorité. Il y a un travail d’éducation auprès des jeunes et des adultes pour expliquer que ce sont de vraies violences, avec de véritables conséquences, et qu’elles doivent être prises en compte comme telles.
Formés à la haine des femmes – comment les masculinistes infiltrent les réseaux sociaux, de Pauline Ferrari (JC Lattès / Nouveaux Jours), 300 pages, 20 euros
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