À l’occasion de la sortie en salles de l’excellent documentaire de Jérémie Battaglia, Parfaites, sur la natation synchronisée, on fait le point sur ce sport aussi exigeant physiquement que psychologiquement avec l’une des héroïnes du film, la capitaine de l’équipe nationale de synchro du Canada, et son réalisateur.
“Parfois je me demande pourquoi je m’inflige ça.” Lorsqu’on regarde Parfaites, le documentaire de Jérémie Battaglia sur la natation synchronisée, on ne peut s’empêcher de se poser la même question que Marie-Lou Morin, capitaine de l’équipe nationale de synchro du Canada. Lorsqu’on la rencontre à Paris, quelques semaines avant la sortie du film, on l’interroge à ce sujet à nouveau: pourquoi s’imposer une discipline aussi exigeante physiquement et moralement, et finalement assez peu reconnue? La jeune femme de 26 ans répond simplement: “C’est une école de vie, spéciale mais une école de vie quand même. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il n’y a rien de difficile, j’ai eu tellement de choses à affronter qu’il n’y a plus rien qui m’atteint, j’ai repoussé mes limites physiquement et mentalement et je me dis qu’après tout ça, je suis encore vivante.” Pousser son corps dans ses retranchements, l’amener là où, a priori, il ne va pas sans la volonté inébranlabre de sa propriétaire, c’est le quotidien de Marie-Lou Morin et de ses 7 coéquipières, que Jérémie Battaglia, réalisateur français installé à Montréal, a suivies durant trois ans pour en tirer un magnifique premier long-métrage documentaire.
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L’équipe de synchro du Canada, DR
Un sport victime du sexisme
Ce cameraman de formation s’est imprégné de leur univers avant de les filmer durant leurs mois de préparation en vue du championnat du monde de Kazan, en Russie, indispensable passage pour se qualifier aux Jeux Olympiques de Rio qui ont eu lieu en août dernier. Jérémie Battaglia l’avoue facilement: au début, il ne connaissait rien à la natation synchronisée. “Comme beaucoup d’hommes, j’avais des idées stupides sur ce sport, précise-t-il, je pensais que c’étaient juste des filles trop maquillées qui faisaient des danses dans l’eau. Je ne voyais pas la performance sportive.” La nage synchronisée, sport féminin et artistique (Ndlr: Aux Jeux Olympiques, seules les femmes peuvent concourir), est en effet victime d’un paquet d’idées reçues sexistes et paternalistes. Marie-Lou Morin le regrette: “Beaucoup de gens, surtout des hommes, ne considèrent pas la synchro comme un sport, ils se disent ‘c’est que des filles, ça doit être facile’; franchement je donnerais 100 dollars pour voir chaque homme essayer la natation synchronisée pendant une journée!”
L’entraînement, DR
Née en Chine puis adoptée à l’âge de 1 an et demi par un couple de Canadiens, Marie-Lou Morin a grandi à Montréal. Enfant sportive -“J’ai fait de la danse, de la gym, du ski alpin”-, elle débute la natation synchronisée à l’âge de 8 ans: “J’ai toujours adoré l’eau”, souligne-t-elle. Deux ans plus tard, elle rejoint le club de natation de Dollard-des-Ormeaux, très réputé au Canada. Sa carrière est lancée, sans pour autant qu’elle ne s’en rende compte: “Je ne prenais pas vraiment ça au sérieux, je pratiquais ce sport car j’aimais ça et que ça me permettait de me faire des amis.” En 2005, elle intègre l’équipe nationale du pays avant de rejoindre quelques années plus tard le Centre d’Excellence Synchro Canada après une sélection drastique: “24 filles sont choisies à l’issue de 3 jours d’évaluations et ensuite, seules 9 d’entre elles participent aux Jeux Olympiques.” Rapidement, elle devient capitaine de l’équipe: “J’étais surprise car je n’ai jamais été le genre de fille qui en impose ou qui est autoritaire mais, par contre, je m’entends bien avec tout le monde!”, se justifie-t-elle.
Le teaser de Parfaites
Les nageuses de synchro, ces “guerrières”
“Ces filles sont des guerrières, assure, admiratif, Jérémie Battaglia, une fois que l’on dépasse les sourires de façade qu’elles affichent, on prend conscience de la difficulté de ce qu’elles font. Elles s’entraînent 6 jours par semaine, arrivent à la piscine à 7h le matin pour en repartir à 17h. Et ce sport leur demande une multiplicité de talents.” Mélange de danse, de natation et de gymnastique, la nage synchronisée requiert une grande force musculaire mais aussi cardio-respiratoire. “Il faut être à la fois puissante et élégante”, précise Marie-Lou Morin. L’équilibre n’est pas évident à trouver: ne pas avoir trop de muscles pour “ne pas couler”, mais suffisamment pour exécuter les figures dans l’eau. Les blessures sont monnaie courante. Dents, nez ou doigts cassés, luxations ou dislocations de l’épaule, tendinites et commotions cérébrales: lorsque les athlètes énumèrent leurs accidents, il y a de quoi être effrayé-e. “On nage très proches les unes des autres sous l’eau donc il y a beaucoup d’impacts, explique la vingtenaire souvent couverte de bleus, en plus, on a juste un maillot et un bonnet de bain, on est sans protection.” Elle-même a eu “une grosse commotion cérébrale en 2015, deux semaines avant une période de compétition”: “Je devais soulever en l’air une fille et elle m’est retombée sur la tête.”
DR
Le corps sous pression
Outre l’exigence physique, “il y a toute la question de la beauté et du corps qui entre en jeu, rappelle Jérémie Battaglia, ça ajoute une difficulté, il faut non seulement qu’elles soient performantes, mais leur corps est également sous pression.” Dans le documentaire, on voit que la masse graisseuse des nageuses est régulièrement contrôlée et leurs repas supervisés par une nutritionniste. “Ça peut parfois être destructeur”, affirme le réalisateur. Il y a quelques années, Marie-Lou Morin a d’ailleurs développé des troubles alimentaires: “À l’époque, mon entraîneure était obsédée par notre poids, elle prenait l’exemple d’une nageuse qui était très fine et elle voulait que tout le monde soit comme ça. Le nombre qui s’affichait sur la balance à chaque pesée devenait un indice de notre valeur, se remémore-t-elle. Elle veut alors absolument perdre du poids: “C’était mon objectif et, à la fin, je ne distinguais plus ce que je faisais pour la synchro ou pour la vraie vie, il m’arrivait de m’entraîner uniquement dans le but de perdre du poids, je me cachais pour manger, je me sentais coupable après avoir avalé un carré de chocolat et j’ai fini par demander de l’aide à un médecin.”
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Le Canada, une équipe à part
Après avoir terminé 6ème aux Championnats du monde de Kazan à l’été 2015, l’équipe canadienne n’est pas parvenue, quelques mois plus tard, à se qualifier pour les Jeux Olympiques de Rio. “Il y a eu beaucoup de larmes”, se souvient Jérémie Battaglia. “Je ne peux même pas décrire la sensation qu’on a eue, soupire Marie-Lou Morin, 4 ans d’efforts, 6 mois pendant lesquels on a tout donné pour ensuite échouer aux qualifications…” Et de reprendre, une note positive dans la voix: “Je n’ai pas regretté d’être allée au bout; même si on n’a pas eu le résultat à la fin, le cheminement était beau et fort.” Il faut dire que l’équipe du Canada est une équipe à part.
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Contrairement aux équipes russe et chinoise, les morphologies des nageuses canadiennes sont diverses et ce n’est pas vraiment un avantage à en croire Marie-Lou Morin: “Le fait qu’on ne se ressemble pas nous dessert, estime la jeune femme, alors que ce qui devrait compter, c’est ce qu’on fait dans l’eau, pas nos physiques. À Kazan, il y a même eu des rumeurs comme quoi notre équipe était laide…” En Chine et en Russie, les nageuses sont sélectionnées très jeunes “en fonction de leur physique”, continue-t-elle, “ils ont le luxe d’avoir beaucoup de candidates et de pouvoir choisir celles qui se ressemblent le plus”. Ce qui leur donne une petite avance une fois dans l’eau: “La similarité des corps permet d’avoir moins à travailler certains mouvements.” L’équipe canadienne essaie donc par tous les moyens de gommer ses différences physiques: “On dessine nos sourcils à la même hauteur, on met de l’autobronzant pour se caler sur celle dont la couleur de peau est la plus foncée, on essaie de perdre du poids, c’est une bataille de tous les jours.” Et puis, le système de notation “assez subjectif” permet de privilégier certaines équipes au détriment d’autres, selon Marie-Lou Morin: “Tout le monde est habitué à voir certains pays aux premiers rangs, y compris quand ils font des erreurs. De notre côté, si on fait une faute, on va se faire descendre.”
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À 26 ans, Marie-Lou Morin réfléchit déjà à l’après, et son projet se situe dans un domaine à première vue plutôt éloigné de la nage synchronisée: “Je viendrai étudier la pâtisserie en France et j’ouvrirai ensuite ma propre pâtisserie à Montréal.” C’est drôle quand on sait que, pour faire tenir leur impeccable chignon dans l’eau, les nageuses s’enduisent les cheveux de gélatine à gâteaux.
Julia Tissier
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