À l’occasion de la diffusion de l’excellent documentaire À quoi rêvent les jeunes filles?, réalisé par Ovidie, on a fait un point sur ces nouvelles injonctions qui poussent les femmes à devenir des amantes parfaites (mais uniquement dans le couple).
Chaudasse mais pas trop non plus. Voilà comment l’on pourrait vulgairement résumer à quelle injonction impossible les femmes devraient aujourd’hui se soumettre. C’est ce qui ressort de l’excellent documentaire, réalisé par Ovidie, ancienne actrice porno, désormais auteure et réalisatrice, et joliment intitulé À quoi rêvent les jeunes filles?, diffusé aujourd’hui sur France 2. Tout a commencé il y a trois ans, à la publication du rapport de Chantal Jouanno sur l’hypersexualisation des petites filles. “L’analyse de Chantal Jouanno et les solutions qu’elle préconisait étaient à 3000 kilomètres de mes convictions, se rappelle aujourd’hui Ovidie. L’interdiction du porno, des mini-miss ou bien le contrôle du corps des jeunes filles pour ne pas qu’elles se ‘putanisent’, ça ne m’allait pas, moi qui me bats notamment contre le slut-shaming.” Lorsqu’elle a lu le rapport, la réalisatrice s’est dit qu’il fallait “réagir”.
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“Une nouvelle forme d’aliénation sexuelle est en train d’émerger.”
En enquêtant, la trentenaire s’est rendu compte que c’était “moins binaire que ça en avait l’air”, qu’on était finalement loin d’un simple combat “conservateurs contre libertaires du cul”. Au fil de ses recherches, elle a constaté “que tout le monde témoignait de quelque chose qui ne tournait pas rond, d’une nouvelle forme d’aliénation sexuelle qui était en train d’émerger”. Le porno ne devait pas, selon Ovidie, être désigné comme le seul et unique coupable de l’hypersexualisation de la société: “Il est un média comme un autre, pris dans cette grande mare de sexisme.” Et de rappeler que “la société a intégré tous les codes de la pornographie, et les injonctions qui vont avec, que ce soit dans la publicité, la musique, la téléréalité, la mode, le cinéma, la télévision, les jeux vidéo, l’ensemble de notre environnement culturel en somme”.
Est-on plus libre ou plus aliéné qu’avant? Difficile à dire mais ce qui est certain, c’est que les normes se sont déplacées. En revanche, ce qui n’a pas changé, c’est que ce sont toujours les femmes qui en font les frais. Nous avons demandé à Ovidie de commenter 3 de ces nouvelles injonctions auxquelles la génération Y n’échappe pas.
La réalisatrice Ovidie, DR
1. Il faut être sexuellement libérée…
“J’ai le sentiment que les messages de libération sexuelle n’ont pas été forcément bien saisis ou alors qu’ils se sont retournés contre nous, les femmes. Un des messages principaux du féminisme, c’est la liberté de disposer de son corps, la liberté de faire l’amour avec qui on veut et aussi -et ça, on l’oublie trop souvent- de ne pas faire l’amour, d’avoir une hyposexualité. Tous les messages ont été détournés et se sont transformés en injonctions, nous poussant notamment à intégrer dans notre vie sexuelle un certain nombres de pratiques. Avant, par exemple, la fellation était interdite, mal perçue. Aujourd’hui, c’est le contraire, il y a eu un déplacement de la norme et la fellation est devenue une pratique sexuelle obligée. Ça s’est transformé en arme: une femme hétéro doit pratiquer la fellation, sinon elle est considérée comme prude, coincée ou tout simplement comme un mauvais coup.
“On ne va pas du tout vers une libération mais vers une dimension performative qui reste encadrée par énormément de normes.”
Quand on lit un magazine féminin, on se rend compte qu’il n’y a que des injonctions: il faut sculpter son corps, réussir son entretien d’embauche et évidemment sa sexualité. On ne va pas du tout vers une libération mais vers une dimension performative qui reste encadrée par énormément de normes. Par exemple, il faut avoir eu une expérience bisexuelle pour se rendre sexuellement intéressante aux yeux des hommes mais il ne faut pas non plus être une femme qui couche avec qui elle veut quand elle veut. Cette libération sexuelle est factice, on peut se libérer mais dans le cadre du couple.”
DR
2. … Mais attention à ne pas trop l’être (sous peine d’être taxée de salope)
“Les femmes sont toujours sur la corde raide, et doivent trouver un équilibre impossible. Il faut impérativement exceller sexuellement et être la pute dans le couple mais pas en dehors. Une nana qui cumule trop d’expérience sexuelle reste, toujours en 2015, taxée de salope. Il faut satisfaire les désirs de son mec pour le garder et être considérée comme bonne au lit mais il ne faut pas trop le montrer en dehors du couple. Dès qu’on a trop de partenaires, trop de relations, on est considérée comme une salope. Et ce, aux yeux des hommes mais aussi des femmes. C’est terrible car nous, les femmes, intégrons malgré nous tous ces codes. Il y a beaucoup de femmes qui écrivent des articles pour expliquer comment maigrir. Elles se font ainsi garantes de la “morale”. Nos sœurs sont parfois nos pire ennemies. Dans certains milieux féministes, certaines vont crier haro sur l’hypersexualisation des jeunes femmes car elles trouvent qu’elles ont une sexualité différente de la leur. On ne parle jamais de l’hypersexualité des hommes, on s’en fout! Ce qui fait peur aux gens, c’est celle des femmes.
“On parle de réussir sa sexualité, d’avoir une vulve dite “normale”, du plaisir des mecs mais on parle relativement peu du plaisir et du désir féminins.”
Pour que les mentalités changent, il faudrait replacer le débat où il devrait être, c’est-à-dire sur le plaisir et le désir. On parle de réussir sa sexualité, d’avoir une vulve dite “normale”, du plaisir des mecs mais on parle relativement peu du plaisir et du désir féminins. Je connais beaucoup de femmes qui n’ont jamais joui. On trouve très peu d’articles sur le sujet. Contrairement aux clichés sur le sujet, ce n’est pas qu’une question psy, la sexualité des femmes n’est pas que cérébrale, c’est aussi mécanique et ça, c’est souvent nié.”
À quoi rêvent les jeunes filles?
3. Le corps de la femme constamment sous contrôle
DR
“Il y a évidemment toujours eu ce contrôle du corps des femmes. Il y a un contrôle de leur poids, avec les régimes et cette obsession de la minceur. Il y a aussi une volonté de ne pas les voir vieillir et aujourd’hui, il faut maintenant avoir une vulve ‘conforme’, comme une tirelire, un sexe dont rien ne dépasse. La vulve doit être petite, ne pas avoir trop de poils, trop de lèvres, trop de secrétions. Les injonctions touchent maintenant nos parties les plus intimes. Où est-ce que ça va s’arrêter? Il va falloir bientôt avoir un anus conforme?
“Avant, je ne connaissais pas beaucoup de nanas qui prenaient le temps de prendre un miroir et de regarder leur chatte.”
La génération qui se fait raboter les petites lèvres est jeune, ça concerne les vingtenaires. Pourquoi? Parce qu’elles sont régulièrement confrontées à des images de vulves, notamment avec Internet. Avant, je ne connaissais pas beaucoup de nanas qui prenaient le temps de prendre un miroir et de regarder leur chatte. Le fait d’être confrontée en permanence à des images de vulves imberbes amène à la question de la normalité. Pendant ce temps-là, on ne se demande pas pourquoi on a du plaisir, on se demande ‘est-ce que c’est conforme?’
Propos recueillis par Julia Tissier
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