On ne pouvait quand même pas rater la séance de dédicaces de Kristina Bazan en pleine Fashion week parisienne.
Si on vous dit Kristina Bazan, ça vous dit quelque chose? Non? C’est probablement parce que vous avez plus de 16 ans. La blogueuse mode-beauté-lifestyle est une superstar d’Instagram avec ses deux millions de followers, et vient d’être choisie comme égérie par L’Oréal et Thierry Mugler. À seulement 22 ans, elle a déjà fait plusieurs fois le tour du monde, une bonne raison de publier ses mémoires, On The Go, qui à défaut d’avoir fait le buzz de la rentrée littéraire, étaient en rupture de stock au bout de deux heures le jour de leur publication. Forcément, on n’a pas résisté à l’envie de se pointer à sa signature parisienne, organisée vendredi dernier aux Galeries Lafayette en pleine Fashion week.
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En arrivant dans les grands magasins -un vendredi après-midi pendant les soldes, une épreuve en soi, mais qui n’effraie absolument pas le fan de blogueuse-, impossible de savoir qu’une rencontre au sommet est en train de se tramer au quatrième étage, juste à côté du rayon lingerie. En montant les escalators, on ne sait pas si on doit se préparer psychologiquement pour une file d’attente digne d’un front row ou pour une ambiance hystérie collective digne d’une sortie de concert de One Direction.
Déception, ce n’est ni l’un ni l’autre. Au milieu des soutiens-gorge, une rangée de lycéennes attendent sagement, un livre à la main, le bref tête-à-tête avec leur idole. Certaines débriefent leur contrôle de SES, d’autres sont tout excitées d’apercevoir Fiona, “la meilleure amie de Kristina”. Autour d’elles, quelque vigiles assurent la bonne circulation des groupies et préviennent que tout le monde ne pourra peut-être pas rentrer. Quand on leur demande s’ils connaissent Kristina Bazan, le premier est catégorique: “Jamais entendu parler de cette fille.” Son collègue a l’air mieux renseigné, car il lui répond: “Mais si, elle est hyper connue chez les ados.” Bien vu. Apparemment ils ont reçu la consigne de vider toute personne qui n’achète pas le livre: c’est bien joli de venir rencontrer sa blogueuse préférée, mais ça se mérite.
Par un habile jeu de jambes et de blabla, on parvient toutefois à se glisser subrepticement dans la queue sans passer par la caisse. Piétiner en attendant la minute selfie avec Kristina, rien de tel pour engager la discussion avec ses fans. Pourquoi ils l’aiment? “Elle a des super looks”, “Elle voyage tout le temps”, “Elle a une vie de luxe”, “Elle a un bon style”. OK, mais pensent-ils qu’elle est intelligente? “Oui, elle est intéressante, elle parle plein de langues!”, “Ça se voit dans ses posts qu’elle est drôle”, “Je l’ai déjà rencontrée trois fois, elle est hyper sympa”.
“Quand tu es blogueuse mode, il vaut mieux être belle, on va pas se mentir, pour les moches, c’est mort.”
En effet, la jeune femme accueille ses lectrices avec un grand sourire et leur donne du “Salut les filles, ça me fait trop plaisir de vous voir”. Rym, 16 ans, est carrément venue du Maroc pour la rencontrer et a l’air fébrile. “Elle est folle de joie”, confie sa mère, en avouant au passage qu’elle n’a aucune idée de qui est la jeune femme. On profite de l’attente qui se prolonge pour aborder les questions de fond. La réussite au féminin. L’indépendance. La carrière. “Elle est partie de rien”, souligne une étudiante en mode. “Elle a réussi sans faire de buzz ni se dévêtir”, rappelle très sérieusement une apprentie blogueuse. “Toute personne qui blogue rêve de réussir comme elle”, analyse un blogueur un peu plus confirmé, qui réussit à gagner de l’argent de poche via cette activité. Quand on lui demande si on peut miser sur autre chose que sur son physique pour réussir sur Internet, il est catégorique: “Quand tu es blogueuse mode, il vaut mieux être belle, on va pas se mentir, pour les moches, c’est mort.” Soupir. Et quand on le questionne sur ce modèle de réussite un brin stéréotypé (les vêtements, l’apparence tout ça), il rappelle que Kristina Bazan ne se contente pas de bloguer sur les fringues. “Elle parle aussi de musique, de lifestyle et de ses voyages.” On est rassurées.
Instagram / KristinaBazan
Parmi les ados interrogés, quasiment toutes et tous étudient la mode et le marketing, ou s’y destinent pour les lycéens. Seule une étudiante en droit et une aspirante médecin sortent du lot. Et argumentent. “On peut aimer la mode et vouloir faire médecine, les blogueuses mode sont loin d’être nunuches.” OK, allons plus loin alors, sont-elles féministes? “La mode met en avant les femmes, c’est positif, lance un jeune homme venu accompagner sa petite amie blogueuse. Si c’est féminin, c’est féministe, non?” On n’ose pas lui dire que c’est plus compliqué que ça. Derrière lui, une jeune fille élude: “Je ne me suis jamais posé la question de son féminisme.” Une étudiante américaine concède que la pression pour rester belle et jeune pèse surtout sur les femmes, et que, “quand elles vieillissent, elles n’intéressent plus personne, that sucks!” Quand on fait valoir à deux collégiennes que devenir présidente de la république, ça peut également être assez cool pour une femme, elles sont presque d’accord. Mais se ravisent: “Oui, bien sûr, la politique, ça peut aussi être une passion, mais la mode, vous comprenez, ça fait rêver les filles.” Les deux élèves de 3ème ont toutes deux fait leur stage dans la mode et le marketing, qu’elles voient comme un passeport vers l’international, les voyages… Et la vie de rêve de Kristina Bazan.
Cette naïveté fait sourire l’une des jeunes employées des Galeries Lafayette, qui a eu le loisir d’observer pendant deux heures les allées et venues d’ados venues se faire dédicacer leur bouquin et poster un snapchat au passage. “C’est de leur âge d’avoir des idoles, la génération d’avant était fan de boys bands, elles sont fans de blogueuses, dit-elle. Moi-même j’ai des amies qui rêvent d’être la prochaine Kristina Bazan, mais je crois malheureusement qu’elles perdent leur temps.” On ne l’aurait pas mieux dit. La séance de dédicaces touche à sa fin, et le personnel s’aperçoit qu’une intruse s’est glissée dans la queue. Poliment, ils demandent que “les personnes n’ayant pas de livres à faire signer quittent les lieux.” Message reçu, on renonce à l’insta Kristina et on laisse, un brin dépitée, le groupe de jeunes filles à ses rêves de défilés et de jet privés.
Myriam Levain
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