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© Delaiglesia21, Sin permiso (Flickr Creative Commons) / DR
Son livre cri du cœur Ainsi soit-elle a beau avoir été écrit en 1975, il n’a (malheureusement) pas pris une ride. Si Benoîte Groult fait partie des références françaises en matière de pensée féministe, elle y est venue sur le tard, alors qu’elle était déjà âgée de 50 ans. C’est peut-être ce qui la rend si atypique et si accessible: chez elle, aucune querelle de chapelle, aucune arrière-pensée politicienne. Son combat, c’est la liberté des femmes, à tout âge, de tout temps. Une BD a d’ailleurs été publiée cet hiver par la dessinatrice Catel, retraçant la vie hors du commun de cette femme brillante, qui a commencé par mener une vie rangée avant de se révéler peu à peu à elle-même.
“Une fois qu’on a goûté à la liberté, on ne peut plus revenir en arrière.”
À 94 ans, celle qui a traversé les époques, de l’avortement clandestin à la légalisation de la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), en passant par le droit de vote des femmes, porte un œil optimiste sur notre siècle, malgré les coups de canif régulièrement portés à l’émancipation des femmes. “Une fois qu’on a goûté à la liberté, on ne peut plus revenir en arrière”, affirme-t-elle, avant de rappeler aux femmes que ce sont à elles de prendre leur destin en main et de se battre pour leurs droits. Alors que les Espagnoles descendent dans la rue pour défendre leur droit à l’IVG menacé et qu’une “théorie du genre” obscure agite nos écoles, on a fait réagir Benoîte Groult aux sujets de société qui nous sont chers. Et on a adoré ses réponses cash, preuve que la liberté d’esprit n’a pas d’âge.
Les nouvelles féministes: “Sortir du rang”
“On me demande toujours ce que je pense des Femen, elles ne mettent pas les gens d’accord. Je ne veux pas les condamner, mais je ne les connais pas assez pour en parler. En tout cas, grâce à elles, on parle du féminisme et c’est important. Je connais mieux Osez le féminisme. Il me semble que ce nom est bien trouvé, car il faut oser être féministe! Il faut sortir du rang, ne pas être la jeune fille comme il faut, être libre d’avoir des sympathies, d’avoir des enthousiasmes et de suivre qui l’on veut. Les femmes sont libres aujourd’hui, moi il me fallait l’autorisation de mon mari pour avoir un compte en banque!”
Le plaisir féminin: “Mettre une glace entre ses cuisses”
“Les femmes ne sont pas sûres d’elles, il faut qu’elles arrêtent de considérer que leurs organes sont douteux et il faut qu’elles se connaissent mieux. Dans F Magazine, le magazine que j’ai contribué à monter en 1975, on avait écrit que les femmes devaient se regarder, mettre une glace entre leurs cuisses, observer comment elles étaient faites, et même glisser un doigt pour sentir l’intérieur de leur vagin -un mot qui a longtemps été très difficile à dire à haute voix. Il faut connaître son intérieur, ainsi que les mécanismes du plaisir, c’est essentiel.
Oui bien sûr, les grandes lèvres sont pendantes, flapies, jamais comme il faut. Mais l’organe masculin est tout aussi ridicule quand on y pense.
Quant à la chirurgie du sexe féminin, je trouve ça fou que ça existe. Oui bien sûr, les grandes lèvres sont pendantes, flapies, jamais comme il faut. Mais l’organe masculin est tout aussi ridicule quand on y pense: il pend quand il ne devrait pas et remonte quand il ne devrait pas.”
L’IVG: “Ne pas dire son nom car on risquait toujours une arrestation”
“Quand j’étais jeune, nous vivions toutes avec l’angoisse de tomber enceintes. L’expression ‘tomber enceinte’ le dit bien, c’est une chute. Toutes les femmes avortaient, on ne voulait pas être obligées de se marier parce qu’on était ‘prises’, comme on disait à l’époque. On en parlait entre nous, on téléphonait aux copines pour savoir comment elles s’étaient débarrassées de leur embryon. Pas mal d’avortements se pratiquaient dans des conditions dramatiques, on allait en banlieue, à vélo, il ne fallait surtout pas dire son nom car on risquait toujours une arrestation. J’ai avorté cinq ou six fois, et ce n’est pas vrai qu’on ne s’en remet jamais. Mais par contre, les conditions dans lequel on le faisait -avec une aiguille à tricoter- n’étaient vraiment pas marrantes.
J’ai été stupéfaite qu’un grand pays comme l’Espagne ose remettre en cause le droit d’avorter à une époque où l’on va plutôt vers plus de droits pour plus de gens.
Ça a été énorme pour nous quand la loi autorisant l’IVG a été votée. Tout à coup, c’était la liberté suprême de donner la vie quand on voulait et pas sur obligation. J’ai été stupéfaite qu’un grand pays comme l’Espagne ose remettre en cause le droit d’avorter à une époque où l’on va plutôt vers plus de droits pour plus de gens. Malheureusement, les religions n’évoluent pas du tout sur cette question. Je ne peux pas croire que ça soit voté dans un pays quelconque, ce serait un signal épouvantable. Les femmes vont se rendre compte qu’elles sont menacées et qu’elles doivent s’accrocher à ce droit.”
Najat Vallaud-Belkacem: “Intelligente et vive”
“Je la trouve super, cette Najat Vallaud-Belkacem. J’ai eu l’occasion de la rencontrer au ministère des Droits des femmes où je participais à un débat, et j’ai trouvé qu’elle était intelligente et vive. Bien sûr, on peut penser que c’est un constat d’échec d’avoir réintroduit un tel ministère, trente ans après la création de celui d’Yvette Roudy. Mais c’est important de donner des moyens aux femmes. Yvette Roudy a fait beaucoup de choses à l’époque: elle a notamment contribué à l’accès des femmes aux grandes écoles et à la création de centres d’accueil pour les femmes battues. Avant elle, il n’y avait aucune structure.”
La presse féminine: “Pas très audacieuse”
“La presse féminine a été très engagée, mais aujourd’hui elle n’est pas très audacieuse et on n’y lit que la nécessité de savoir s’habiller et se déshabiller. Il y a toutes sortes d’obligations qui pèsent sur les femmes, et elles n’arrivent pas à se dégager de ce paysage. En même temps, c’est de leur faute, elles achètent cette presse-là, qui est souvent idiote. Personnellement, j’aime bien Causette, je m’y suis abonnée tout de suite! Je l’ai trouvé très sympathique et très libre justement.”
Eric Zemmour: “Vulgaire, à mettre au rancart”
“Je ne peux pas dire que je le respecte. Je trouve que c’est un type vulgaire, qui ne me semble pas intéressant pour les femmes et qu’il faudrait mettre au rancart. Je ne suis pas du tout d’accord avec l’idée que les femmes ont pris le pouvoir, et certainement pas quand c’est dit par Zemmour, avec rancune et jalousie. Il a trouvé tellement normal que les hommes aient le pouvoir depuis des siècles, qu’il ne supporte pas que les femmes en aient quelques bribes aujourd’hui.”
La manif pour tous: “Froid dans le dos”
“C’était minable! Ça fait froid dans le dos qu’on puisse dire des choses pareilles, mais voir jusqu’où on peut descendre dans des pays libres, ça renforce le goût de la liberté.”
Propos recueillis par Myriam Levain (à Hyères)
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