Acceptée à L’Atelier scénario de la Fémis, Déborah Hassoun a un an pour écrire son scénario de long-métrage. Atteindra-t-elle son objectif? Chaque mois, elle nous raconte sa progression.
Parmi les trois générations de femmes qui se tournent autour dans mon histoire, je dois faire le choix d’un personnage principal. J’étais partie avec l’envie que celle de mon âge gagne le titre, mais au fil des idées que je jette sur le papier, le doute submerge la feuille.
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Malgré moi, la grand-mère s’étale comme l’encre sous une goutte d’eau. Au-delà de son look léopard serti de faux diamants, elle brille par ses enjeux plus forts (petit rappel: un enjeu est ce que peut perdre le personnage s’il n’atteint pas son objectif). Est-ce à cause de son égocentrisme sans borne que son dilemme a l’air plus important que celui des autres?
La mère joue parfaitement son rôle. Coincée dans les disputes entre sa progéniture et celle qui lui a donné la vie (mais rien d’autre), elle ricoche comme une boule de flipper. Au fil des versions, il a été question de lui flanquer un petit cancer, histoire que les disputes cessent. Mais faire taire n’est jamais la solution. Pas seulement dans cette famille.
Comme dit l’adage, quand ton personnage est à terre, frappe-le dans le ventre, sa remontée sera encore plus belle à regarder.
Et même si pour l’instant elle ne vit rien, je tiens à mon alter ego. Comme dit l’adage, quand ton personnage est à terre, frappe-le dans le ventre, sa remontée sera encore plus belle à regarder. Pour l’instant, mon héroïne se tient bien trop droite. Je dois trouver le moyen de la faire flancher. Avec mes instruments de torture, stylo bic et petit carnet, je ne fais pas peur, je sais. Le célèbre coup de clavier n’est pas non plus la solution.
À la Fémis, mes compagnons d’infortune, qui tentent eux aussi d’étrangler leur héros, me poussent à rentrer plus dans l’intime. Pourtant, j’ai l’impression de leur foutre sous le nez mes petites culottes sales tellement l’impudeur transpire de mes 17 pages de blabla. Mais voilà qu’ils insistent: en l’état, c’est anecdotique. Anecdotique… Anecdotique… Est-ce que j’ai une gueule d’anecdotique? Je vous balance mes névroses familiales et vous, vous trouvez ça juste “marrant”? Je suis pourtant à une version de leur vomir mon intimité dessus. Ils sont sept devant moi à me soutenir le contraire. En démocratie, la majorité l’emporte. Pendant un court instant, je soupçonne mon cerveau de préparer un coup d’État.
Le terme “blocage” surgit de nulle part, en traître. Le mot est utilisé pour la constipation comme pour la psychiatrie, je me situe juste au milieu.
J’abdique. J’écoute. J’enregistre (au sens propre comme au figuré pour être sûre de ne rien manquer). Le terme “blocage” surgit de nulle part, en traître. Le mot est utilisé pour la constipation comme pour la psychiatrie, je me situe juste au milieu. Frappez-moi dans le ventre, ça ira plus vite.
Avec mes 33 ans de souvenirs familiaux condensés sur trois jours -en temps dramaturgique- ou 90 minutes -en temps réel-, j’ai déjà l’impression de trahir les miens. Alors, je cherche l’élément qui décalera la situation. Dans Au Revoir les enfants, Louis Malle raconte l’histoire d’enfants juifs cachés pendant la guerre dans une école catholique. Le héros est ami avec l’un d’eux. La voix off nous raconte que c’est l’histoire du réalisateur sauf qu’en réalité, il n’a jamais été ami avec ces enfants mais a bien assisté à leurs arrestations. Cette tragédie fait partie de lui, il a réinventé son point de vue.
Ma seule scène qui ait fait l’unanimité est entièrement du point de vue de mon héroïne. Toute la situation se passe hors champ et elle reste immobile, tétanisée. L’enjeu est là, bien caché entre ces quelques lignes. Deux solutions: j’arrête la résistance ou j’en fais un court-métrage. Mais écrire un court-métrage en un an, ça manque un peu d’enjeu…
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