Acceptée à l’atelier scénario de la Fémis, Deborah Hassoun a un an pour écrire son scénario de long-métrage. Atteindra-t-elle son objectif? Chaque mois, elle nous raconte sa progression.
Il y a une tradition française qui se nomme le cinéma d’auteur. Contrairement à ce que beaucoup disent, ce cinéma n’a pas vocation à vous faire passer deux heures devant un film où les personnages parlent en marchant et trébuchent sur un caillou, avant de se rattraper au mur d’un domaine bourgeois de Provence. Ce cinéma a pour loi de faire du réalisateur le scénariste de son film. Ce qui explique parfois que le trébuchement sur les cailloux soit, en dramaturgie, le point culminant qui arrive juste avant le dénouement final.
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Pour rajouter une difficulté à ma carrière qui décolle aussi haut qu’un avion télécommandé, j’ai toujours été davantage attirée par l’objet-stylo, que l’objet-caméra. Au vu de ma condition physique, ça n’a rien d’étonnant. Pendant un déménagement, j’ai suffisamment de force pour porter la lampe de chevet, mais bien trop peur de me faire une luxation du poignet.
J’aimais deux choses (presque) plus que les pistaches: les romans de Susie Morgenstern et la télévision.
Il se trouve que je veux être scénariste depuis que j’ai 15 ans. Je vous vois déjà m’imaginant avec mes petites lunettes d’intello, mes cassettes VHS sous le bras, passant mon temps libre, seule, au ciné-club du lycée et ne jurant que par la biographie de Bergman. Détrompez-vous, ce sont les mauvaises notes qui m’ont poussée à réfléchir au plus vite à ce que je voulais faire… Et niveau lunettes, j’avais toujours une mèche coincée dedans pour me donner l’air rebelle. En fait, elles me donnaient juste l’air bête.
Très pragmatiquement, je devais me trouver une motivation pour arriver jusqu’au bac, le Graal que l’Éducation nationale agite sous notre nez comme si ça avait le goût de pistache. J’aimais deux choses (presque) plus que les pistaches: les romans de Susie Morgenstern et la télévision. M’habillant déjà comme Punky Brewster dès mon plus jeune âge et reproduisant parfaitement la danse de Carlton, la lumière m’apparut sous la forme d’une antenne qui me permettait de capter Canal Jimmy dès 1991. Pendant que d’autres agitaient des passoires devant leur nez tous les premiers samedis du mois, j’étais autorisée par mes parents soixante-huitards à mater Dream On, série érotico-cathodique qui me captivait autant que Drazic dans Hartley, cœurs à vif. Friends fut l’apothéose de cette période “glanrieuse” -contraction de glandeuse et glorieuse. Collée à la télé, je n’avais même pas besoin de petit copain (c’est pas comme s’il y avait des tas de demandes non plus).
Je ne pouvais pas me fier aux notes de mes rédactions pour savoir si j’écrivais bien car, avec mes vingt fautes d’orthographe, il m’est arrivé de frôler le moins dix.
Il m’est apparu très clairement qu’écrire des scénarios était un bon compromis et puis, ça plaisait à mes parents qui fantasmaient sur une Palme d’or ou au moins un César. C’est beau l’espoir… Le déni aussi. Les sitcoms que je chéris sont faites de plans serrés pour faire ressortir les vannes, de plans larges quand la gestuelle rajoute de la comédie et de deux caméras pour ne pas perdre le rythme. Ce qui demande un savoir-faire indéniable, sans pour autant qu’il y ait une volonté esthétique déclarée. Tout est basé sur l’écriture. Je ne pouvais pas me fier aux notes de mes rédactions pour savoir si j’écrivais bien car, dépassant toujours les vingt fautes d’orthographe, il m’est arrivé de frôler le moins dix. Mais, portée par le désir, je n’avais pas peur de mon ambition. J’étais même assez prétentieuse pour la déclarer à voix haute. C’est beau l’adolescence… L’inconscience aussi.
Il m’en faudrait une bonne dose aujourd’hui pour assumer pleinement mon envie de réalisation. Le scénario que je développe dans le cadre de la Fémis est le premier que j’ai envie de porter jusqu’au bout. J’ai rajouté quelques films de cinéma à ma liste de références et elles se bousculent dans ma tête. Mon parrain était sourd, c’est peut être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire sous-titrage obligatoire et vu ses idéaux marxistes, visionnage de films asiatiques. Depuis que je me suis penchée sur cette histoire de femmes enfermées dans une cuisine, j’ai en tête un film vu avec lui: Salé sucré de Ang Lee.
Je jalouse le don de Klapisch pour raconter le quotidien sans être chiant.
Un père, ancien grand cuisinier, prépare à manger pour ses filles qui viennent le voir tous les dimanches. Au fur et à mesure du film, il perd le goût, son seul lien avec ses enfants. Il y a une scène surprenante où il souffle dans le poulet avant de le faire cuire. Mon film n’a pas du tout le même ton, ni le même rythme, mais je rêverais d’avoir des images aussi fortes. J’ai des goûts très éclectiques et envie de mélanger des choses qui vont parfois à contre-courant. Je jalouse le don de Klapisch pour raconter le quotidien sans être chiant et la maîtrise du huis clos des frangins Elkabetz.
En regardant une master class de Xavier Dolan où il raconte à quel point “les cuisines c’est vraiment de la merde! Il n’y a rien de pire à filmer. Il y a des reflets partout, des poignées et c’est tout petit”, j’ai pris peur. Mais la peur, il paraît que c’est un moteur.
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