Avec son podcast Nouveau Modèle, la jeune Chloé Cohen démontre que fashion, écologie et féminisme ne sont pas incompatibles.
“L’enfant qui a fait votre t-shirt ne mérite pas moins que vous”, cingle une jeune créatrice dans l’un des épisodes. La phrase est forte et lucide. Elle résonne dans Nouveau Modèle, un podcast sur la mode engagée et durable. Cela fait cinq mois que son instigatrice Chloé Cohen réunit, un mercredi sur deux, stylistes, mannequins et entrepreneuses afin de porter un regard écoféministe sur le lifestyle. Pour cette journaliste passée par l’ESJ de Lille, il n’est plus question de faire la sourde oreille face aux urgences planétaires. Elle n’est pas seule à le penser: sur Soundcloud, Nouveau Modèle cumule 7 000 écoutes en 10 épisodes seulement.
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Une transparence radicale
Ado, Chloé Cohen ressortait d’H&M et Zara les sacs remplis à ras bord. Puis tout a changé. 2013: le bâtiment du Rana Plaza s’effondre. En son sein, des ateliers de confection où s’acharne une main d’oeuvre exploitée. La catastrophe provoque la mort de plus de 1000 ouvriers et dévoile les ravages de la “fast fashion”, cette surproduction à bas coût de vêtements à destination des marques internationales. Deux ans plus tard sort l’édifiant documentaire The True Cost, focus sur une industrie textile qui bafoue les droits humains.
Chloé Cohen aborde différents thèmes comme le respect des travailleur·se·s, le choix des matériaux, les conditions de fabrication et la protection animale.
Des électrochocs pour cette enfant des centres commerciaux qui décide de bouleverser sa façon de consommer -de la nourriture aux produits de beauté. “Découvrir ces problèmes m’a choquée et m’a fait me rendre compte du manque d’infos à ce sujet, et de l’importance de les diffuser autour de moi!” relate-t-elle. Mais comment? La journaliste trouve la réponse à New York, où elle offre depuis deux ans son regard de correspondante à divers médias. Là-bas, le podcast est partout, du métro aux clubs de gym. Deux d’entre eux captent son attention: How I Built This et Wardrobe Crisis, conversations affûtées sur l’entrepreneuriat et l’industrie de la mode. Elle aussi veut remettre les acteurs et actrices de la mode au centre de sa démarche journalistique. Deux micros en poche plus tard naît Nouveau Modèle. L’espace d’une heure et le logiciel Audacity à portée de mains, elle aborde différents thèmes comme le respect des travailleur·se·s, le choix des matériaux, les conditions de fabrication et la protection animale. De Charlotte Dereux, cofondatrice de la marque responsable Patine, à Clara Sharma, créatrice du site de mode éthique Iconable, chacune y pose sa voix et son style.
Pas de poudre aux yeux mais d’audacieuses businesswomen qui sont sorties des sentiers battus pour mieux se retrouver. Toutes incarnent les convictions intimes de l’intervieweuse, selon laquelle “dès que l’on produit quelque chose il y a forcément un impact, mais on peut le limiter”. Passées de consommatrices à “consomm-actrices”, de fashion victims à “fashion activistes”, ces role models qu’elle cuisine par téléphone avant chaque enregistrement “montrent la voie à suivre, prouvent que l’on peut faire bouger les lignes, car elles le font déjà!”. Une façon d’effeuiller l’humain sous le marketing et de rappeler que “nos vêtements racontent une histoire et qu’y faire attention est une forme d’activisme”. Des achats compulsifs aux chutes de tissus qui se récupèrent, la mode s’énonce sans fard et assume son devoir de “transparence radicale”. Une nécessité que la marque à succès Everlane érige en slogan, ce qui suscite l’enthousiasme de la journaliste: “Dans leurs boutiques, on te précise le pays de fabrication de chaque produit, la petite histoire de l’usine, si c’est du coton biologique ou non.”
“Je suis féministe, et alors?”
Du haut de ses 29 printemps, Chloé Cohen répond à l’irresponsabilité du plus misogyne et climato-sceptique des septuagénaires: “En tant que correspondante je traite principalement de Donald Trump, car vivre aux États Unis se résume à ça.”. Quand celui-ci a remporté les élections, elle était dans le feu de l’action, le micro à la main, dynamique mais un peu hagarde -“c’était comme recevoir une claque dans la figure”. Deux ans plus tard, la reporter n’est plus prise de court et réagit aux réflexions étroites du milliardaire par le temps long du podcast. “Trump fait partie du déclic. Ses tweets sur le réchauffement climatique me font bondir à chaque fois”, assure-t-elle. Et à ceux que le mot “féminisme” effraie plus qu’une robe Desigual, elle affirme: “Je suis féministe, et alors?” Encore émue par la Women’s March qui a remué Washington, la reporter s’approprie un média “libérateur” afin de corriger “le déficit de voix féminines” auquel son expérience de journaliste l’a confrontée. Avec Nouveau Modèle, c’en est fini de ce silence radio.
“Beaucoup de maisons de mode sont gérées par des hommes qui voient les femmes comme des porte-manteaux.”
“J’avais envie de mettre en avant des femmes engagées”, explique cette ancienne Parisienne. Entre deux entrevues elle grossit les rangs de l’ONG Care, qui défend les droits des femmes dans le monde. Âme solidaire, elle promeut en intro de ses podcasts le projet She for S.H.E, une communauté de femmes francophones “réunies autour de la sororité”. “S.H.E.” pour “Sharing, Helping, Empowering”. Mais Chloé Cohen préfère dire “empouvoirement” car “l’anglicisme instaure une distance et intégrer ce terme à ta langue t’en rapproche”. Elle qui aime porter des vestes de tailleur et des chemises larges remarque que “le vestiaire féminin évolue” et que ce pouvoir passe par le style. Elle le suggère en honorant les voix alternatives, comme celle de la créatrice de lingerie Bertille Beneteau qui, incisive, remarque que “beaucoup de maisons de mode sont gérées par des hommes qui voient les femmes comme des porte-manteaux”.
De Marilyn à Meghan Markle
Quand elle éteint le micro, Chloé Cohen ne crame jamais sa carte-bleue façon Sex & The City -“je n’achète quasiment plus de fringues!”- mais squatte les rayons du store vintage Beacon’s Closet, caverne d’Ali Baba en plein Brooklyn “où l’on trouve des trucs horribles mais aussi de petites perles”. La vingtenaire se nourrit de l’effervescence locale et de sa macédoine de looks. “À New York, les gens s’habillent comme ils le souhaitent, tout en rose ou en vert, sans craindre d’être jugés”, se réjouit-elle. L’idéal pour pardonner ses supermarchés crachant des sacs-plastiques par flots, ses 4X4 qui filent sur les routes et “le chauffage allumé à fond dans des bureaux aux fenêtres ouvertes”. Qu’importe, elle empoigne son rêve américain en prônant les vertus de la “slow-fashion”, c’est à dire “la qualité sur la quantité, l’artisanat sur la production massive aux tonnes d’invendus gaspillés et non recyclés”.
Pour s’inspirer, la freelance contemple les silhouettes qui obsèdent les comptes Insta rétros, celles de Brigitte Bardot et Marilyn Monroe, jeans pattes d’eph et chemises nouées au corps. Tout en admirant les icônes connectées comme Meghan Markle qui, durant ses escales royales, fuit l’éphémère en arborant aux pieds des baskets biodégradables et des ballerines fabriquées à partir de bouteilles en plastique recyclées. À l’avenir, Chloé Cohen n’exclue pas le soutien de partenaires financiers. À une condition: qu’ils “respectent [ses] valeurs”. L’éthique, c’est chic.
Clément Arbrun
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