Dans No Land’s Song, la compositrice iranienne Sara Najafi tente d’organiser un concert de femmes à Téhéran. Et ce n’est pas gagné…
En Iran, depuis la révolution islamique de 1979, les femmes ont l’interdiction de chanter en solo devant un public (elles ne peuvent chanter qu’en groupe, accompagnées d’un homme ou… chez elles). C’est en voulant questionner l’absurdité d’une telle loi, et pour dénoncer plus largement l’importante censure qui pèse sur les artistes iraniens -contraints à demander des autorisations pour chaque disque, livre ou film écrit-, que Sara Najafi et son frère Ayat se sont lancés dans l’aventure du documentaire No Land’s Song. La première, compositrice, tente d’y organiser un concert de femmes solistes à Téhéran sous l’œil du second, réalisateur.
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Entre espoir et déceptions, on suit le parcours du combattant de la jeune femme pour obtenir une autorisation auprès d’un gouvernement buté. Encouragée à distance par les musiciennes françaises qu’elle enrôle dans son histoire –Jeanne Cherhal, Elise Caron– et par l’insoumise Tunisienne Emel Mathlouthi, qui crève l’écran par son talent brut, Sara Najafi mène la danse avec douceur et détermination. Rencontre à Paris avec cette formidable porte-voix de la liberté d’expression et des droits des femmes, héroïne d’un documentaire plein d’espoir à voir absolument.
Quand et comment est né le projet No Land’s Song?
L’idée vient de mon frère, qui est le réalisateur du documentaire, et de moi-même. En 2009, je faisais partie des manifestants qui ont défilé contre la réélection de Mahmoud Ahmadinejad. Je voulais faire quelque chose en tant que musicienne. J’ai commencé à composer une chanson et j’ai réalisé qu’en tant que femme, j’avais envie de composer pour des femmes. Mais la loi m’en empêchait. J’en ai parlé à Ayat, il a aimé le projet et on a décidé d’allier nos forces. Dès que j’ai commencé à vouloir obtenir une permission pour organiser ce concert, Ayat s’est mis à me suivre partout avec sa caméra. Enfin, partout ou presque, puisque pour les rendez-vous au ministère de la culture et de la guidance islamique, j’avais simplement un enregistreur vocal caché sur moi.
As-tu eu peur pendant ces scènes? Que risquais-tu si tu te faisais attraper?
Oui, j’ai eu peur. S’ils l’avaient découvert, ils auraient pu m’arrêter. Mais mon idée, l’envie de défendre mon propos, étaient plus fortes que la peur.
Sais-tu si les autorités iraniennes ont vu le film? Ont-elles réagi?
Pas encore non, je ne sais pas si elles l’ont vu. Elles ont choisi d’ignorer le concert, de faire comme s’il n’avait pas existé, mais elles ne pourront pas ignorer le film. Ça aussi, ça fait un peu peur…
Le film n’est donc pas sorti en Iran. Penses-tu que tes compatriotes pourront le voir un jour?
Oui, je suis sûre que quand le Dvd va sortir, il va circuler sur le marché noir. En Iran, il y a beaucoup de salles de cinéma très modernes, de très bonne qualité, mais c’est le gouvernement qui choisit quels films y sont programmés ou pas.
“Nous voulions montrer à quel point les femmes iraniennes sont fortes, à quel point leur espoir est grand.”
Certaines scènes, comme celle où tu rencontres un religieux, sont assez comiques, et malgré certains moments difficiles, le film adopte un ton plutôt joyeux. Était-ce important de garder un peu d’espoir et de légèreté?
L’important, c’était de montrer la réalité. On ne voulait pas tomber dans le sensationnel. Comme on n’avait pas demandé de permission pour tourner, on n’a pas eu à se censurer. Ainsi, on peut me voir dans le film telle que je suis: quand je suis à Paris par exemple, je ne porte pas mon hijab. Je pense aussi que la joie provient de l’histoire même du film; nous voulions montrer à quel point les femmes iraniennes sont fortes, à quel point leur espoir est grand. Nous avons beaucoup de chanteuses en Iran qui espèrent pouvoir de nouveau chanter seules un jour, et nous devons les soutenir.
Pourquoi as-tu demandé à des musiciennes françaises et tunisienne de faire partie du projet?
Dès le départ, on voulait que le projet soit international. Avant de penser aux Françaises et à Emel Mathlouthi, on voulait inviter des chanteuses iraniennes qui chantaient avant la révolution et ne vivent plus en Iran aujourd’hui, comme Googoosh. Cette dernière est une vraie diva, un mythe, elle vit actuellement à Toronto et fait toujours des concerts à près de 70 ans.
Et puis, finalement, on a préféré opter pour des musiciens étrangers: d’abord, parce qu’on voulait qu’ils voient comment ça se passe chez nous, et comprennent nos problèmes en les vivant eux-mêmes. Et puis, stratégiquement, cela avait un intérêt: on savait qu’en invitant des musiciens étrangers, le gouvernement ne pourrait rien faire contre eux, et cela garantissait d’une certaine manière l’aboutissement du concert.
Une scène montre des musiciens iraniens se moquer un peu des Français et de leur peur du terrorisme, alors qu’eux ont toujours connu la guerre. Les Iraniens voient-ils vraiment les Français comme des chochottes?
(Rires.) Non, pas du tout. Dans cette scène, l’un des musiciens explique qu’il comprend la crainte des Français, car ils n’ont pas connu la même chose que nous. Moi par exemple, je suis née une semaine avant le début de la guerre entre l’Irak et l’Iran. Et, deux ans auparavant, c’était la révolution. En Iran, la situation change en permanence, il y a toujours des hauts et des bas. Nous comprenions très bien qu’ils aient peur de venir dans notre pays.
Cette scène a été tournée avant le 13 novembre, non?
Oui, bien avant. D’ailleurs, lorsque je l’ai revue après les événements, elle ne m’a plus fait rire du tout. Elle m’a même fait pleurer. Ce qui vous est arrivé, ça nous a rendu très tristes.
La situation des femmes en Iran a-t-elle évolué depuis l’arrivée de Hassan Rohani? Il dit vouloir plus de femmes dans les ministères, par exemple…
La situation a un peu changé, mais pas pour les musiciennes. Nous avons désormais 14 femmes au parlement, ce qui est une excellente nouvelle, mais je ne suis pas sûre qu’elle aient tant de pouvoir que ça. Et puis, je ne sais même pas si elles se sentent concernées par la musique, puisque aucune d’entre elles n’est artiste. Mais j’ai de l’espoir. Je suis sûre que dans le futur, notre projet va aider à faire avancer les choses. En Iran, tout est possible.
Propos recueillis par Faustine Kopiejwski
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