Installée à Los Angeles, Nelly Zagury a mis l’érotisme féminin au cœur de son art coloré et bling.
Elle est venue passer une partie de l’été en France, mais, comme toutes les bonnes choses ont une fin, quand elle répond aux questions de Cheek, Nelly Zagury est sur le point de repartir, à la fois triste de quitter ses attaches de toujours et excitée de repartir dans la ville où “plein de choses se passent”, particulièrement quand on est une jeune artiste de 31 ans. Cette diplômée des Arts Déco -dont la thèse portait sur le kitsch- se revendique comme une touche-à-tout ayant fait du costume, de la production, du décor, de la réalisation, des bijoux. Mais le projet qu’elle défend aujourd’hui est un opéra érotique illustré par ses soins, dans lequel il est questions de vagins qui font de la musique et de flèches de cupidon en forme de pénis, le tout dans un univers pop et coloré, où le désir féminin est puissant et sublimé. Interview express.
Pourquoi l’opéra érotique?
Je vis à Los Angeles, la ville du spectacle par excellence, et je veux depuis longtemps monter un opéra érotique, où je fabriquerais tout, puisque je suis plasticienne. Comme pour l’instant je n’ai pas les moyens de le produire, j’ai choisi de commencer par l’écriture. J’ai écrit l’acte I, Songs of my Fantasy, puis l’acte II, Sisters of the Sea, et à mon retour je m’attaque à l’acte III. Ils sont composés de poèmes, en français et en anglais, et de dessins. J’ai aussi fabriqué un premier objet qui en est tiré, le Cupid’s Arrow. Ce phallus recouvert de cristaux Swarovski, accompagné de sa flèche, symbolise la dépendance sexuelle qui peut se créer à notre époque, que l’on confond parfois avec de l’amour, car on ne sait pas très bien où sont les frontières entre sexualité et sentiments.
© Reggie Shiobara, Cupid’s Arrow (Bow down bitches) / The Chimney x Ulmer Arts, 2019
Terre, cristaux Swarovski, coquillages et fil élastique doré
Quelles sont tes inspirations?
Je pars le plus souvent de mes rêves, qui ont toujours été une source d’inspiration très forte. Je suis fille de psy, donc ça doit jouer, mais je suis aussi influencée par le surréalisme, un mouvement artistique que j’ai toujours aimé. Travailler sur mes rêves me permet d’accéder à mon inconscient, et forcément, ce monde onirique est érotique. Pour cet opéra, ma première source d’inspiration, c’était Les Mille et Une Nuits. Si on résume le conte de Shéhérazade, il s’agit d’une femme orientale, qui évolue dans un environnement masculin, religieux et hostile et tient en haleine des hommes par la seule puissance de son récit. Son personnage me fascine, il me reconnecte à mes propres racines orientales -mon père vient du Maroc- dont j’ai été déconnectée et que j’aimerais redécouvrir.
“L’érotisme est mon moyen de sacraliser avec autodérision le vulgaire.”
Parler de sexe de façon crue, c’est difficile quand on est une femme?
On vit une époque où la parole des femmes se libère autour du sexe. Dans le monde artistique, il y a une évolution, on commence à remettre en question la mise en scène de la sexualité, qui a presque exclusivement été pensée par des hommes jusqu’ici, blancs le plus souvent. Mais parler de sexe, c’est une chose, parler de désir et de fantasmes, c’en est encore une autre. C’est encore difficile aujourd’hui pour les femmes de se libérer de la pression sociale et d’évoquer leur désir de façon frontale, d’oser dire ce dont elles ont vraiment envie. Ma démarche, c’est de réenchanter. La sexualité est un prétexte pour parler de l’essence des relations humaines. L’érotisme est mon moyen de sacraliser avec autodérision le vulgaire.
© Reggie Shiobara, The Giant Stalker & The Cannibal Flower / The Chimney x Ulmer Arts, 2019
Acrylique sur toile, cristaux Swarovski , fleurs synthétiques, coquillages, perles, palmiers en plastique, broderies et rubans
Pourquoi avoir choisi de vivre à Los Angeles?
Pour une artiste, Los Angeles est une ville passionnante. Je rêvais d’y habiter depuis longtemps, car c’est le royaume du kitsch et la capitale des industries créatives. Los Angeles, c’est Disneyland, mais c’est aussi le plus grand espace carcéral du monde libre, et un niveau de pauvreté inimaginable dans le quartier de Downtown. Cette dichotomie fait partie de la ville, qui a un côté très dur, mais elle rejoint mon amour pour le kitsch, dont la mort n’est jamais très loin.
Propos recueillis par Myriam Levain