Nelly Deflisque a plaqué sa vie parisienne le temps d’une année sabbatique. Chaque mois, elle nous raconte un bout de cette expérience hors du temps, mais surtout hors de nos frontières.
Le timbre mal assuré, la bave au coin des lèvres et les yeux rivés sur mes pieds, j’entonne La Vie en rose d’Édith Piaf devant les cuisiniers de mon restaurant. Ils voulaient que je chante quelque chose de frenchie… Après ce moment (très) gênant, on a tous évité de se regarder dans les yeux pendant la journée. Pas mal pour un premier jour de travail en Angleterre.
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À 28 ans, j’ai quitté mon emploi de journaliste pour une année sabbatique afin de suivre mon amoureux en mission humanitaire aux Philippines. Mais avant de le rejoindre, j’ai décidé de commencer mon aventure en solo, à Birmingham. J’ai ainsi troqué ma plume contre un tablier de serveuse dans ce restaurant un peu chic, la main derrière le dos lorsque je sers le vin et les chaussures qui glissent sur les bouts de salade. Choc.
L’objectif d’améliorer ma langue risque fort bien d’être atteint, en plus de celui de changer de taille de jean.
Ce grand saut, c’est un peu à rebours que je le fais. J’ai toujours voulu tenter l’expérience anglaise lors de mes études. Mais la vie, le garçon (les garçons, OK), les études qui s’éternisent, je suis finalement restée bien au chaud dans ma jolie capitale française polluée. Il m’aura fallu attendre d’avoir suffisamment de ressources, d’expériences professionnelles et de confiance en moi pour quitter mon petit nid douillet, mon homme, ma famille et mes amis. Et puis, je traîne un gros complexe: je parle anglais comme Nadine Morano parle le français. Dur, surtout lorsqu’on est journaliste. Il était bien temps de remédier à cela par ce séjour de trois mois chez nos amis d’outre-Manche.
Et pour m’aider à relever ce challenge, je suis entourée de mes super colocs: Maggie et Zuzanna. Ces deux jeunes femmes, originaires de Pologne et de Slovaquie, qui adorent le vin, parlent lentement pour moi et cuisinent à merveille des plats à base de fromage (coquilles Saint-Jacques au gorgonzola, check!). L’objectif d’améliorer ma langue risque fort bien d’être atteint, en plus de celui de changer de taille de jean. Hum, ce n’est pas un objectif en fait.
En attendant, je lutte dans mon restaurant: pas évident de remettre son corps, mou de multiples heures passées derrière un écran d’ordinateur, en marche. Je monte, descends, cours, flexions et extensions de 11h à minuit. Et avec le sourire, s’il vous plaît, même envers les clients (mâles, majoritairement), qui se permettent de me toucher les cheveux ou de parler très très vite parce-que-c’est-drôle-je-comprends-pas. Bastards.
Je ne compte plus le nombre de “darling” ou “lovely” que j’entends quotidiennement, et les hugs qui ne ressemblent en rien à notre bise dépersonnalisée.
Si je ne fais plus de réunions éditoriales, je fais des réunions d’équipe pour débriefer de la semaine, en présence de notre cheffe charismatique (et liftée). Comme dans une thérapie de groupe, chacun parle de ses petits soucis quotidiens -ce qui est plutôt sain- et termine sa phrase en ponctuant d’un moins sain “but it’s OK, we are family guys”. Je rappelle que je ne suis là que depuis trois semaines, daddy.
Quoi qu’il en soit, les Anglais que j’ai pu côtoyer ces dernières semaines semblent beaucoup plus à l’aise socialement que les Français. Je ne compte plus le nombre de “darling” ou “lovely” que j’entends quotidiennement, et les hugs (Ndlr: les accolades) qui ne ressemblent en rien à notre bise dépersonnalisée. Chaque sortie, ou presque, est l’occasion d’une rencontre sympa: dans un bus avec une maman débordée mais hilarante, avec un fan de Bob Marley à la bibliothèque qui m’a relaté son agression à Paris, en 2008, par des skinheads (bonjour la belle image), avec une photographe dans un café, (la photo à droite, c’est grâce à elle, bisous). J’imagine que les rencontres se font toujours plus intenses lorsque l’on voyage. Mais vraiment là, je me sens bien, c’est le début de tout. I feel happy.
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