Un spectacle qui cartonne, un premier film en salles, un Globe de Cristal: tout sourit à Nawell Madani. Pourtant, rien ne prédestinait cette Belge de 34 ans à une telle carrière. Rien, si ce n’est sa force de travail. À l’occasion de la sortie de son film, C’est tout pour moi, nous l’avons rencontrée.
“Bête de guerre”, “mitraillette”, “travailleuse acharnée”, “perfectionniste”, ce sont les premiers mots qui viennent à l’esprit de ceux qui ont croisé le chemin de Nawell Madani. La force de travail de cette jeune femme de 34 ans impressionne. En cette fin d’année, elle prépare justement les ultimes représentations du spectacle qui l’a révélée, C’est moi la plus belge!, à l’Olympia les 13 et 14 décembre et termine sa tournée d’avant-premières -72 projections sont déjà prévues, rien que ça- pour la sortie de son film C’est tout pour moi, une fiction inspirée de son parcours, en salles demain.
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Un emploi du temps donc chargé. On l’excuserait presque de nous avoir fait galérer des semaines pour finalement décrocher une entrevue chronométrée de 45 minutes au bar d’un hôtel du 2ème arrondissement de Paris. Et 45 minutes, c’est très court pour discuter de tous les aspects de la carrière et de la personnalité de Nawell Madani. Elle grandit à Anderlecht en Belgique, dans une famille de quatre enfants auxquels s’ajoutent deux cousins qui ont fui les attentats d’Algérie, pays d’origine de la famille Madani. À 21 ans, elle déménage à Paris pour suivre sa passion de toujours: la danse. Et comme Lila, l’héroïne de son film, elle rame pendant dix ans. Il lui arrive de dormir dans sa voiture, de se laver dans les piscines municipales, mais elle “s’accroche, trouve un taf puis un autre: madame pipi, physio en boîte de nuit, crêpière…”. La Belge prend en parallèle des cours de danse et d’acting avant de monter sur les planches des cafés-théâtres pour se lancer dans le stand-up.
Celle qui est “issue de l’immigration, parle hashtag, fait des selfies, écoute du Beyoncé, met des talons de douze et a dans son sac des ballerines qui puent”, assure avoir trouvé sans aucun mal son public auprès de femmes “qui ne s’identifient pas à Muriel Robin ou Anne Roumanoff”. Elle présente son spectacle au Palais des Sports, fait la tournée des Zéniths, et décroche même un Globe de Cristal en 2015 dans la catégorie “meilleur one-man show”, devant Gad Elmaleh et Florence Foresti. Elle débite la liste de ses réussites avec fierté, sans sourire, l’air de dire que ce qui lui arrive n’a rien d’étonnant, n’est que le résultat de ses années de travail. Sur son couple, ses opinions politiques, l’humoriste tient à rester discrète. Son attachée de presse refuse d’ailleurs de confirmer l’histoire que Paris Match lui a prêtée avec un ancien footballeur, et met en garde: “Nawell n’aime pas qu’on aborde ces sujets, elle pense que ça n’a pas d’interêt.”
© Nabil Cheik Ali
Ce jour-là, quelques heures avant son départ en promo pour Dunkerque, Nawell Madani, les yeux fixés sur son ordinateur et son portable, affiche un look très classique. À croire que l’humoriste a bien enregistré cette phrase répétée par sa mère dans son enfance: “Les gens ne voient pas ce que tu as dans le ventre. Ils voient comme tu es habillée.” Son allure contraste avec le décor un peu chaotique de ses valises éparpillées autour d’elle et surtout avec son Loulou de Poméranie blanc qui gesticule et la suit toujours lors de ses déplacements: 2Pac. Un clin d’œil à son amour pour la culture américaine et le monde du hip-hop.
Reconquérir le père
Lorsqu’on l’écoute, Nawell Madani semble avoir une dette à vie envers son père, Mohamed. Originaire d’Oran, ce dernier quitte son Algérie natale au moment où son épouse tombe enceinte de leur première fille, Seddia, pour “offrir un meilleur avenir à ses enfants”. Joueur de foot professionnel, il abandonne famille et amis et débarque en Belgique. Aucun club ne lui ouvre ses portes, il devient alors chauffeur de taxi de nuit et tient un bar le jour. L’humoriste se souvient de ses parents souvent absents, et très fatigués -sa mère est infirmière- quand ils passaient du temps avec elle. “J’ai beaucoup souffert de les voir autant nous donner, se désole la jeune femme, mes parents n’ont fait que des sacrifices dans leur vie.”
Sa difficile situation de rupture familiale, Nawell Madani l’a transformée en rage de réussir.
À 21 ans, après des études de marketing management, Nawell Madani s’installe à Paris pour tenter de vivre de la danse. Un choix que son père n’accepte pas: “Il ne comprenait pas cette mise en danger, raconte l’humoriste sans rancœur, ce sont des métiers que mes parents ne connaissent pas et des univers dans lesquels ils n’ont pas évolué, ils avaient peur pour moi.” Son ami Yacine Bénabderrahmane, qu’elle rencontre à l’époque, sait que le départ de Nawell Madani ne s’est pas passé comme elle l’espérait: “Son père refusait de lui adresser la parole. Du coup, elle faisait mine d’oublier des affaires, venait récupérer une chaussette pour le recroiser. Elle espérait un mot de sa part.” L’attente sera longue. Ce n’est que dix ans plus tard que Mohamed Madani sort du silence, quand il assiste au one-woman-show de sa fille à l’Olympia, et découvre son nom de famille en lettres de lumière sur la façade.
Sa difficile situation de rupture familiale, Nawell Madani l’a transformée en rage de réussir: “Reconquérir son père est devenu son moteur, elle voulait gagner sa fierté, rapporte Yacine Bénabderrahmane. Maintenant, il dit qu’il savait depuis toujours que sa fille était faite pour ça.” Aujourd’hui encore, la volonté de satisfaire son père pousse la jeune cinéaste à progresser: “Il me demande d’aiguiser mon écriture, il sait que des filles s’identifient à moi et veut que j’aie un vrai propos, un message.”
© Nabil Cheik Ali
L’ambitieuse méticuleuse
Nawell Madani ne cherche pas à plaire et préfère partir du principe qu’elle n’a besoin de personne. Ali Bougheraba, comédien et metteur en scène, peut en témoigner: “La première fois que je l’ai eue au téléphone, c’était tendu, elle ne voulait pas travailler avec moi et vice versa.” Leur premier échange a lieu alors que le frère du jeune homme, ami de Nawell Madani avec qui il passe la soirée, tend son portable à la Belge. Au bout du fil: Ali Bougheraba. Il a vu la jeune humoriste une fois sur scène, a reconnu en elle une énergie débordante, mais trouve son écriture cliché. Elle, affirme ne pas le connaître et soutient qu’elle n’a rien à lui dire. La discussion s’arrête là. Quelques mois plus tard, après avoir vu ses spectacles, Nawell Madani prend sur elle et lui propose une collaboration. Un effort que le comédien apprécie d’autant plus que la jeune femme de confession musulmane fait le déplacement pour le rencontrer, de Paris à Avignon, en plein ramadan. Il devient metteur en scène de son spectacle, coscénariste de son film et l’aide à affiner son écriture: “On est issus de l’immigration mais on n’est pas obligés de faire rire en fracassant notre propre culture, précise-t-il. On peut parler d’autre chose que de notre accent ou du faux Nutella et choisir de faire honneur à nos parents.”
Pour son film, Nawell Madani “s’est battue sur chaque millimètre”, a pris en charge les castings, les costumes et a même fait le montage elle-même.
Si Nawell Madani se méfie et se cache sous une carapace de dure à cuire, une fois qu’elle reconnaît une légitimité à quelqu’un, elle accorde enfin sa confiance. C’est donc aux meilleurs qu’elle s’adresse dès son arrivée à Paris. Elle suit des cours à l’Académie internationale de la danse huit heures par jour, pour finalement se voir proposer de “shaker devant des bouteilles d’alcool” dans plusieurs clips de hip-hop. Elle fait d’ailleurs une apparition dans Dj de Diam’s. Par l’intermédiaire de sa formation, elle a l’opportunité d’assister à une classe d’expression scénique, dirigée par le coach d’acteur Damien Acoca. Elle rejoint son atelier: “Il y avait une vraie reconnaissance d’estime”, se souvient-il. Pendant six mois, elle écoute ses conseils et travaille sur son naturel. S’en suit un passage d’un an dans le Laboratoire de l’acteur, une école de théâtre dirigée par Hélène Zidi. Cette dernière se rappelle très bien de son ancienne élève “extrêmement douée, déterminée, et qui n’a jamais raté un cours”. Et pour cause, Nawell Madani est passée du groupe débutant à celui des pros, soit trois niveaux au-dessus, en l’espace de seulement quelques mois. Du jamais vu dans le Labo. Au moment de se spécialiser dans l’humour, c’est à Alain Degois, alias Papy, mentor de Jamel Debbouze et directeur artistique du Jamel Comedy Club, qu’elle accorde sa confiance. “On a travaillé sur sa sensibilité, détaille-t-il, soit les humoristes le sont trop et deviennent fragiles, soit ils ne le sont pas assez et paraissent froids et distants.”
Si elle accepte les conseils des pointures de la profession, Nawell Madani accorde encore davantage de crédit au public. Depuis sa première scène au Pranzo, une petite salle du 10ème arrondissement de la capitale, elle teste et re-teste ses vannes sur les Parisiens, dans des soirées marathon pendant lesquelles elle écume les cafés-théâtres. Une fois arrivée au Jamel Comedy Club, elle conserve cette habitude: “Après son passage, Nawell allait essayer de nouvelles blagues dans les théâtres de la ville”, raconte, admiratif, Yacine Bénabderrahmane. Lorsqu’elle quitte la troupe avec son idée de spectacle en tête six mois plus tard, elle se confronte de nouveau directement à son public, cette fois dans une boîte de nuit, louée plusieurs jours par semaine pour y proposer un show. La détermination de Nawell Madani a également marqué Ali Bougheraba au moment de réaliser son film, “son bébé”. Il nous raconte qu’elle a perdu neuf kilos, a souffert d’un ulcère, “s’est battue sur chaque millimètre”, a pris en charge les castings, les costumes et a même fait le montage elle-même, non satisfaite du résultat qui lui était proposé. Nawell Madani est du genre à ne rien laisser au hasard.
Sexisme et abus de pouvoir
“L’humour, c’est un métier égocentrique, on parle de ‘seul-en-scène’, on est là pour briller seul”, confie l’humoriste et comédienne. Cette ambiance compétitive, elle la découvre en même temps que son goût pour le stand-up. Elle est dans la salle du Pranzo et assiste à une prestation du comique Kamel Laadaili. Yacine Bénabderrahmane, présent ce soir-là, dépeint la scène: “Elle a dit à Kamel qu’elle mourait d’envie de faire comme lui et voulait savoir comment ça marchait, comment y arriver.” L’humoriste lui répond: “Je t’ai montré, maintenant tu te débrouilles, je ne te donnerai pas d’astuce.” La rivalité et les coups bas des humoristes sont des thèmes que Nawell Madani aborde largement dans son film. Des attitudes qu’elle déplore mais comprend: “Il faut sortir son épingle du jeu, il y a souvent des producteurs de télévision dans la salle qui viennent faire leur shopping.”
“Souvent, quand une nana est un peu crue, on dit ‘c’est pas beau dans la bouche d’une femme’, comme si certains mots étaient plus beaux dans la bouche des hommes.”
L’humour, ce n’est pas un scoop, c’est encore plus difficile quand on est une femme. Elle rejoint le Jamel Comedy Club en 2011, “un univers un peu machiste, qui a du mal avec les filles au franc-parler”, comme le souligne celui qui la recrute, Alain Degois, qui est à l’époque missionné par la production pour féminiser la troupe. Elle parle sans tabou de sujets qui en choquent certains: porno, “teucha” ou règles. “Souvent, quand une nana est un peu crue, on dit ‘c’est pas beau dans la bouche d’une femme’, comme si certains mots étaient plus beaux dans la bouche des hommes”, regrette-t-elle. Nawell Madani assure que le sexisme est, comme partout, très présent dans sa profession. Elle en a malheureusement déjà fait les frais. Au début de sa carrière, un producteur la contacte pour jouer dans un film et lui donne rendez-vous, tard, au bar d’un hôtel, pour lui présenter le script. Une fois sur place, l’homme lui propose de monter dans sa chambre où il aurait oublié les documents. Nawell Madani refuse, et le producteur, vexé, lui envoie des textos culpabilisants, lui expliquant qu’il aide les jeunes femmes et ne comprend pas sa réaction. Il la recontacte quelque temps plus tard et lui propose une deuxième rencontre. Elle vient accompagnée d’une amie. Une initiative que son interlocuteur prend très mal. En guise de vengeance, il tente de blacklister la jeune femme dans le monde du cinéma: “Il m’a savonné la planche, il voulait me griller.” Elle décide de publier sur MySpace les messages graveleux envoyés par cet homme, avec ce commentaire: “Voilà comment cette personne tend la main”.
C’est sûrement parce qu’elle sait à quel point il est difficile d’être une femme sous les feux des projecteurs qu’elle s’est lancée dans un nouveau projet, centré autour d’un personnage qui a évolué dans le milieu également très machiste du rap: un biopic sur Diam’s, qu’elle considère comme l’“Édith Piaf des temps modernes”. Comme rien n’arrête Nawell Madani, elle prépare également un one-woman-show en anglais pour être “la première femme francophone à conquérir les US, là où est né le stand-up”. On lui souhaite d’y avoir autant de succès que ses idoles: Kevin Hart, Chris Rock ou le grand 2Pac. Pas le chien, le rappeur.
Margot Cherrid
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