Mélanger l’imprimé wax un peu fou à la stricteté de la chemise, c’est le pari réussi de Nafi et Shade, les deux fondatrices de Nash Prints It. Interview.
Nash Prints It, c’est le résultat de la collaboration entre une mère et sa fille. Nafi et Shade ont eu l’idée de mixer le wax, imprimé dément et énergique, avec la chemise, sage et rigoureuse. Quand Shade, la fille, s’occupe de la partie création, Nafi, la mère, gère, depuis Paris, la fabrication dans un atelier indépendant au Bénin. De leurs origines multiples – danoise, sénégalaise, béninoise et française -, émane une sensibilité artistique singulière. Oscillant entre le chic et l’ethnique, ces deux créatrices baladent leurs vêtements entre le continent européen et le continent africain. Interview croisée.
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D’où vient votre passion pour la mode ?
Shade : Elle m’est venue de ma mère et de ma grand-mère. Pour moi, elles sont de vraies icônes : elles ont une allure et surtout une approche intelligente de la mode. Elles savent mettre ce qui leur va et jouer avec les tendances, tout en gardant les pièces intemporelles qui rendent élégante. Et puis, elles n’aiment pas que je dise ça, mais elles ont du charisme, ce truc qui ne s’explique pas.
Nafi : J’ai toujours aimé la mode et avec ma mère, je cousais mes propres vêtements. Et puis un jour, je suis allée au Sénégal et j’ai vu une amie qui faisait du batik, de la teinture, et j’ai eu envie de faire des vêtements teints. A l’époque, j’avais 20 ans. J’ai commencé à faire des sarouels, c’était la mode dans les années 1970. J’ai fait une petite collection et je suis allée à New York. Mes copines m’ont poussée à organiser un défilé. Il a eu beaucoup de succès, et c’est comme ça que j’ai commencé.
Vous seriez-vous lancées dans la mode sans cet héritage culturel ?
Shade : Je ne me serais jamais lancée si je n’avais pas eu cette famille-là, cette mère-là.
Nafi : Au début, je n’étais pas du tout dans l’ethnique, mais c’est vrai que l’Afrique m’a toujours inspirée, sans que je ne m’en rende compte. J’ai grandi en France, mais j’allais en vacances en Afrique et à chaque fois, je trouvais ça beau. D’ailleurs, j’ai commencé avec le sarouel, typiquement africain ! Puis, ma mère, danoise et mannequin, m’a inspirée avec ses belles robes toujours très bien coupées.
Collection Printemps-Eté 2013
Les pièces qui vous ont inspirées ?
Shade : Ce qui m’a inspirée pour cette collection, ce sont les chemises de ma mère. Je l’ai toujours vue en porter, de toutes sortes et je me souviens d’une particulièrement, en velours noir et en mousseline. Je la trouvais tellement classe.
On veut amener les gens à voir le wax comme un imprimé basique, à l’image du liberty.
La chemise, c’était donc une évidence ?
Shade : En voyant ma mère, je me suis dit que c’était l’élément indispensable. Et puis la chemise est intemporelle et elle était en train de revenir en puissance, de devenir le nouveau basique, remplaçant presque le tee-shirt.
Nafi : L’idée de la chemise me plaisait aussi car c’est un élément majeur dans la garde-robe d’une femme. Ça se porte facilement et les couleurs des chemises en pagne me plaisent beaucoup. Ces temps-ci, la mode en Europe est un peu triste. Tout le monde est en jean slim, avec peu de couleurs. Je me suis dit qu’on allait égayer tout ça !
Shade : Il y a aussi le fait que la chemise est un bon moyen de calmer l’imprimé wax. En Europe, ce n’est pas habituel de mettre autant de couleurs, et le wax en mélange beaucoup dans plusieurs motifs qui s’entrechoquent. On veut amener les gens à le voir comme un imprimé basique, à l’image du liberty.
Le wax a toujours fait partie de votre garde-robe ?
Shade : Déjà enfant, j’adorais ça ! On portait du pagne traditionnel là-bas, et du pagne occidental ici.
Le pagne fait-il remonter des souvenirs à la surface ?
Shade : je revois mes deux grand-mères, danoises et béninoises. Ma grand-mère béninoise ne parlait pas français, donc on ne pouvait pas communiquer. Elle venait vers moi avec du wax, m’emmenait chez les tailleurs et c’étaient nos moments à nous. Ma grand-mère danoise portait aussi du wax. Quand je voyais cette grande blonde avec ses tenues en pagne, je me disais « ouah, ça le fait » !
Nafi : Et l’une d’elles était vendeuse de wax sur le marché.
Collection Printemps-Eté 2013
Qui sont les créateurs qui vous ont inspirées ?
Nafi : J’aimais beaucoup Yves Saint Laurent, notamment les collections avec beaucoup de couleurs réalisées à Marrakech et j’adorais Issey Miyake. Quand j’ai voulu faire un stage chez lui, il m’a reçue à Milan et m’a expliqué que je devais faire comme lui : m’inspirer de ma culture. C’est comme ça qu’après mon stage chez Dior, je suis allée au Sénégal.
Shade : Je suis beaucoup plus inspirée par les créateurs d’avant. Aujourd’hui, tout va très vite, le style se perd dans la tendance et je trouve ça dommage. Avant, le style prévalait et la silhouette était davantage mise en valeur.
Ce qui vous séduit le plus dans la mode ?
Nafi : Le coloré, les belles matières et bien sûr le détail. Quand je suis retournée au Sénégal, j’ai retrouvé ces couleurs, je me suis souvenue de ce que Issey Miyake m’avait dit et je me suis lancée.
Shade : J’aime les détails, les finitions, les boutons ou encore les motifs bien positionnés. Et évidemment le fait aussi de pouvoir se réinventer soi-même. J’étais ronde avant, je ne m’assumais pas du tout et je me cachais avec des choses très moches et pas du tout féminines. Quand j’ai minci, j’ai mis ce dont j’avais envie, je me suis amusée. Il se trouve que j’ai plein de facettes et la mode me permet de les montrer : Un jour, je vais être pin-up, un autre jour vintage ou garçon manqué.
En Afrique, les gens ne sont pas fiers d’eux. Nous, nous pouvons peut-être leur apporter ça.
Qu’est-ce que vous apprenez l’une de l’autre en termes de création ?
Shade : Ma manière de dessiner n’est pas du tout académique. Au niveau du travail avec le couturier, si ma mère n’était pas là, ce serait problématique ! Les détails de tombé d’un tissu, je ne sais pas les expliquer alors que elle, si. Pour la première collection, on a été ensemble au Bénin voir le couturier. Je disais ce que je voulais et c’est elle qui disait au tailleur ce qu’il fallait faire pour obtenir ce rendu.
Travailler avec un atelier au Bénin est un élément essentiel de votre marque ?
Shade : Totalement ! Nous ne l’aurions pas fait autrement. J’estime qu’en Afrique, il y a un très gros problème : les gens ne sont pas fiers d’eux. Nous, nous pouvons peut-être leur apporter ça. Si nous arrivons à développer leurs compétences, qu’ils en deviennent fiers et qu’ils améliorent leurs conditions de vie et pérennisent des emplois dans ce domaine, nous aurons réussi notre mission. Nous les payons normalement, ils sont heureux et très impliqués. Ils pourront se dire : « ces chemises, vendues en France, c’est nous qui les avons faites, on n’a pas eu besoin de la Chine, ou de la Tunisie. En Afrique, on peut le faire aussi ! »
Pourquoi Nash Prints it ?
Shade : Ce sont les deux premières lettres de nos prénoms respectifs, Nafi et Shade. Et « Prints It », parce que nous faisons de l’imprimé, et que nous avons envie d’imprimer le wax dans le dressing des parisiennes.
Propos recueillis par Laura Boudoux
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