Chaque mois, Agathe Mezzadri dépoussière une héroïne de la littérature française en la transposant à notre époque.
Quand Florent Pagny, en fin de course de The Voice, dit de Dièse: “Elle chante de mieux en mieux!”, d’un coup, c’est évident. Et quand il ajoute “Mais de toutes façons, elle est trop belle”, c’est carrément flagrant. Comment ne pas y avoir pensé plus tôt? Dièse, c’est Nana: la chanteuse d’opérette, crinière rousse et cuisses laiteuses, imaginée par Zola en 1880 (et mise en scène par Renoir en 1926)!
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Ne nous faisons pas coffrer bêtement: évacuons tout de suite le côté “prostituée de la Goutte d’Or” de la comparaison. A 13 ans, dans L’Assommoir, la fille de Gervaise (et demi-sœur d’Etienne aka Renaud dans Germinal) est déjà une “jolie pépée” qui balance plus que de raison des “ouiche” et des “fichtre”. Dans Nana, on la retrouve en actrice-chanteuse-mangeuse d’hommes et de fortunes qui a gardé le parler de son quartier natal. Son lit accueille alors – dans le désordre et alternativement – un journaliste, un banquier, un mystérieux prince, un comédien violent, une prostituée nommée Satin, un chambellan à la cour, un adolescent répondant au pseudonyme de Zizi… dans une allégorie de la déchéance du second Empire. Quel rapport avec Dièse? Aucun. Une simple façon de vous rappeler qui était Nana avant qu’une enseigne de protection féminine ne s’empare de la marque. Une marque, Nana? C’est sûrement ce qu’en bon publicitaire Zola a pensé de cette “caresse que ce nom”. En spécialiste de la littérature du XIXe, Eléonore Reverzy nous apprend que “des hommes-sandwichs circulent sur les Grands-Boulevards” pour la sortie du roman. “Nana-Zola: les deux noms riment et leurs deux syllabes sonores clament l’énorme succès de ce livre” (commentaire du roman chez Foliothèque). Une musicalité que Dièse n’a pas non plus oubliée dans le choix de son nom de scène.
“Est-ce qu’une femme a besoin de savoir jouer et chanter? […] Nana a autre chose, parbleu! et quelque chose qui remplace tout.”
Mais c’est ailleurs que les deux personnages se recoupent peut-être le plus. Dans le roman, le propriétaire du Théâtre des Variétés justifie la voix de crécelle de sa recrue: “Est-ce qu’une femme a besoin de savoir jouer et chanter? […] Nana a autre chose, parbleu! et quelque chose qui remplace tout. Je l’ai flairée, c’est joliment fort chez elle […] toute la salle tirera la langue”. C’est un peu ce que nous disent les animateurs TV actuels quand ils reprochent aux candidats de The Voice leur manque de charisme (Gérard Louvin, par exemple, dans Touche pas à mon poste en mai dernier – argument d’autorité implacable!): chanter d’accord, mais surtout dégager quelque chose, interpréter, ramener la chanson chez soi… Dans ce concours d’essence profonde, de je-ne-sais-quoi-qui-fait-son-effet, Dièse remporte les palmes académiques. On ne compte plus les allusions au charme ou aux qualités d’interprète, quand ce n’est pas à la beauté ou à la magnificence de la candidate. On a du mal, en revanche, à se souvenir d’une description un peu fouillée de ses spécificités vocales. Et quand elle sort de sa cage pour chanter I’m Outta Love, on relirait bien le romancier naturaliste: “Le public, chatouillé, souriait déjà”, “Peu à peu, [elle] avait pris possession du public”, “Et l’on tirait enfin l’Amour de son cachot, où il avait fait des cocottes, au lieu de conjuguer le verbe aimer”…
On rapprocherait aussi volontiers l’épisode où Nana offre à des regards concupiscents son changement de costume du lâcher de perruque de Dièse pour chanter du Aznavour… Mais on s’en fiche un peu, au fond, de la liste des points communs entre la chanteuse fictive de Zola et celle, réelle, de The Voice. “Au-dessus de tout! – Oui! n… de D…! sans pareil… […] Nana tourne au mythe sans cesser d’être réelle”, écrit le bon copain Flaubert à Zola. Dièse nous rappelle Nana et, par-là même, que ces grandes figures féminines nous donnent encore et toujours à penser. À quoi? Par exemple, au fait que Nana, avec sa voix vinaigrée bien rendue par Véronique Genest à la cinquième minute de cette vidéo n’aurait jamais dépassé le stade des auditions à l’aveugle; contrairement à Dièse qui chante juste. Ah ouiche! C’était p’t’être pas mieux avant!
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