Avec son premier film, Ma fille, la comédienne, réalisatrice et metteuse en scène Naidra Ayadi nous embarque dans la course poursuite d’un père et de sa fille, qui arpentent les rues de Paris le temps d’une nuit, à la recherche de Leïla, l’aînée de la famille. Interview.
“Quand on écrit un film, on parle forcément de ce qui nous touche, des choses sur lesquelles on se questionne.” Si son premier film, Ma fille, en salles ce mercredi 12 septembre, est une adaptation du Voyage du père de Bernard Clavel, paru en 1965, Naidra Ayadi ne cache pas s’être inspirée de quelques éléments de sa propre vie pour élaborer son scénario. Il y a les personnages des parents d’abord: Hakim -interprété par Roschdy Zem- et Latifa, qui ont fui la guerre civile algérienne dans les années 90 pour s’installer dans le Jura et qu’elle rapproche, au détour d’une réponse, des siens, qui ont quitté la Tunisie dans les années 60 pour habiter la région parisienne. Mais c’est surtout aux deux filles du couple que la réalisatrice s’identifie: “Il y a beaucoup de moi en elles. Il y a celle qui questionne et qui éduque son père, qui lui tend la main, et puis il y a celle qui s’émancipe envers et contre tout.” La première, Nedjma, brillamment incarnée par Natacha Krief, a 16 ans. Elle décide d’accompagner son père à Paris pour retrouver la trace de son aînée, Leïla, montée à la capitale pour suivre ses études de coiffure mais dont la famille est presque sans nouvelles. Pensant lui faire une agréable surprise, le duo Nedjma-Hakim ne parvient pas à mettre la main sur la jeune femme, et découvre en oscillant entre Château Rouge, Pigalle et Stalingrad, qu’elle mène une vie qu’ils ne soupçonnaient pas.
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Pour sa première réalisation, Naidra Ayadi, révélée au grand public grâce à son rôle dans Polisse de Maïwenn, et à l’affiche de la pièce de théâtre Justice, propose donc une histoire universelle: celle de la relation parent-enfant. D’ailleurs, si le film a vu le jour, c’est parce que son producteur, Thierry Ardisson, a reconnu dans le Voyage du père un peu de sa propre vie. Quelques mois après être arrivé à Paris à l’âge de vingt ans, l’animateur avait tenté de se suicider et s’était retrouvé à son réveil face à son père, qui ignorait tout du mal être de son fils. Si le fil rouge que constituent les relations familiales est toujours bien présent dans Ma fille, la comédienne-actrice-metteuse en scène de 37 ans a fait le choix d’inclure dans son scénario le thème de l’immigration, sans pathos ni clichés. “Dès le début, on comprend que cet homme visiblement d’origine maghrébine n’est pas dans son environnement naturel lorsqu’il avance dans la neige, et pourtant, il se sent bien dans son village du Jura, raconte Naidra Ayadi. La famille fête Noël, de manière très laïque, juste pour se réunir, ils mettent une guirlande sur le ficus. Tout ça permet d’évoquer l’immigration et l’intégration sans en faire un sujet à part entière et en évitant la représentation classique de cette problématique: dans une cité-dortoir de banlieue parisienne.” Nous avons rencontré cette femme inspirée, qui signe avec Ma Fille un thriller très réussi.
Quelles sont les différences notables entre Ma Fille et le roman Le Voyage du Père de Bernard Clavel, dont ton film est adapté?
J’ai réalisé une adaptation très libre du livre, je m’en suis vraiment affranchie, ce qui tombait bien étant donné que j’avais envie de parler d’émancipation. J’y ai inclus des thèmes qui me sont proches et très personnels. J’ai également donné une autre place à la plus jeune fille de la famille, Nedjma. Dans le roman de Bernard Clavel, elle ne dit pas un mot et n’est évoquée qu’au début et à la fin de l’ouvrage. J’en ai fait un vrai personnage: c’est elle qui questionne son père et le fait avancer.
“C’est très compliqué pour certain·e·s immigré·e·s de comprendre le monde dans lequel évoluent leurs enfants.”
Dans ton film, tu fais dialoguer la première génération d’immigrés avec ses enfants. Pourquoi?
J’ai voulu créer ce débat parce que même s’ils ont la même origine et le même sang, ils ne vivent pas la même histoire à partir du moment où ils ne sont pas nés au même endroit. C’est très compliqué pour certains immigrés de comprendre le monde dans lequel évoluent leurs enfants. Ils ont envie que leurs enfants intègrent les codes du pays dans lequel ils vivent, qu’ils soient intégrés, et disparaissent en fait. Alors que ces jeunes sont français et n’ont aucune envie de devenir invisibles. Les aînés ont également fait des sacrifices auxquels leurs enfants ont parfois du mal à réagir: Qu’est-ce qu’on en fait? Comment on les remercie? Comment s’en affranchit-on? J’ai voulu poser ces questions.
L’aînée de la famille cherche à éviter de devenir une “blédarde”. C’est un terme péjoratif à tes yeux?
Non, “blédarde”, c’est le mot arabe pour qualifier quelqu’un qui vient du bled, du pays de ses origines. Ce n’est pas quelque chose de négatif par définition, mais ce n’est pas pour autant un adjectif qui lui correspond étant donné qu’elle est française et née en France. On ne peut pas rappeler sans cesse aux enfants leur pays d’origine alors qu’ils sont nés et grandissent autre part.
Ton film débute dans les beaux quartiers de Paris avant d’explorer les recoins sombres de la ville. Pourquoi?
Je suis née à Paris, j’ai grandi à Paris, je vis à Paris et je n’imagine pas m’installer ailleurs. Mais quand on aime quelqu’un ou quelque chose, on l’accepte avec ses défauts. Mon Paris n’est pas celui des touristes, ni celui de Woody Allen. Et si cette ville a un capital culturel et social incroyable, il faut reconnaître qu’il y existe aussi une certaine hostilité, un phénomène de repli sur soi.
Tu réalises avec Ma fille ton premier film. Pourquoi avoir décidé de sauter le pas?
C’est quelque chose dont j’ai envie depuis toujours. Enfant, j’organisais des spectacles avec mes cousins dans les soirées de famille. J’écrivais, je m’occupais de la mise en scène, des costumes,… C’est à ce moment-là qu’est né mon goût pour le jeu et la réalisation. C’est allé de pair, de façon assez instinctive. Mes producteurs et mon agent m’ont encouragée et je me suis lancée.
Naidra Ayadi, Roschdy Zem et Natacha Krief © Christophe Brachet
Le 12 septembre, tu remontes sur scène dans la pièce Justice. Si tu devais choisir entre cinéma et théâtre?
Impossible. C’est comme s’il m’était demandé de choisir entre mon père et ma mère. Mais je dois avouer que j’aime particulièrement la liberté du théâtre concernant l’attribution des rôles. Au cinéma, étant donné que j’ai du tempérament, on va plus souvent me proposer des rôles de grande gueule, alors que je suis comédienne et que j’ai envie de jouer plein de personnages différents, y compris des femmes vulnérables. C’est plus réducteur, fainéant dans la recherche et figé dans ce que les gens projettent sur vous.
Si tu devais citer une réalisatrice qui t’inspire?
Maïwenn, sans hésiter. C’est un génie, elle est très douée. Elle a un point de vue singulier, est en recherche perpétuelle, se remet en question et avance. Elle est en progression constante.
Si tu devais raconter l’histoire d’une femme dans ton prochain film, qui choisirais-tu?
Sûrement Mademoiselle Rachel. C’est une comédienne du XIXème siècle d’origine juive arménienne qui a su s’imposer à un moment où c’était encore plus difficile qu’aujourd’hui. Elle a joué de grands textes classiques de manière iconoclaste et a révolutionné les codes de son époque.
Pour terminer, est-ce qu’il y a une anecdote de tournage que tu aimerais partager avec nous?
Lorsque nous avons tourné dans le Jura, je voulais absolument qu’il neige pour pouvoir filmer mes scènes. Mais bon, ça ne se commande pas. Et clairement, c’était mal parti. Nous nous sommes installés, nous avons monté les lumières, et pile au moment de nous mettre à tourner, il a commencé à neiger. Et ça, je me dis que c’était un signe. (Rires.)
Propos recueillis par Margot Cherrid
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