Lancé début 2019, le site Missives recense l’actu littéraire féministe. Entretien avec sa fondatrice.
Des études de lettre, un mémoire sur Simone de Beauvoir: pour Camille Abbey, lancer un site consacré à la littérature féministe relevait de l’évidence. La trentenaire, basée à Paris et éditrice pour Konbini, a lancé Missives, une plateforme collaborative qui a vu le jour au début de l’année. “Cette idée vient sans doute de mes études de lettres et particulièrement de l’écriture de mon mémoire, qui m’avait plongée dans les textes de Simone de Beauvoir. Ce qui m’avait interpellée d’abord était le décalage entre ses romans, souvent basés sur son histoire parfois un peu chaotique avec les hommes, et ses écrits théoriques pourtant très pertinents. Alors qu’elle souffrait d’une relation amoureuse déséquilibrée avec Sartre, cela ne l’avait pas empêché d’écrire Le Deuxième Sexe, essai féministe révolutionnaire à l’époque.”
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“La création de ce site de partage d’expériences vient surtout de discussions avec des amies sur nos lectures enrichissantes.”
Accompagnée de trois autres femmes, la journaliste Marion Olité, la prof de méditation et art-thérapeute Charlotte Janon, et l’illustratrice Anne-Sophie Constancien, qui signe une BD mensuelle sur le site, Camille Abbey ambitionne avec Missives d’“informer de façon globale sur l’actualité des livres féministes”. Au programme, des critiques de livres, des annonces de parutions, mais aussi des interviews d’autrices, réalisées par des contributrices occasionnelles -pourquoi pas vous? Entretien express avec une jeune femme pour qui la littérature est une tentative de “trouver des réponses, des solutions et de l’apaisement”.
Qu’est-ce que Missives et qu’est-ce qui t’a donné envie de le créer?
La création de Missives est née d’un constat très réjouissant: la publication de plus en plus conséquente de livres ouvertement féministes ou qui font écho à ces thématiques. Le but du site est de répertorier les sorties et de se repérer, entre les quelques coups marketing, les nombreuses pépites et les classiques indispensables… Mais la création de ce site de partage d’expériences vient surtout de discussions avec des amies sur nos lectures enrichissantes.
Qu’est-ce qu’un livre féministe?
Les essais féministes peuvent être des réflexions d’ensemble sur l’histoire, l’intersectionnalité, les relations femmes-hommes, etc. Ou sur des thématiques plus précises comme la charge mentale ou le harcèlement de rue. Ils encouragent à l’égalité des sexes et déconstruisent les stéréotypes liés aux genres, reviennent sur l’histoire patriarcale, sur le sexisme insidieux et ouvrent des voies vers l’émancipation et l’épanouissement. Pour les romans, ou en tout cas pour les fictions, c’est plus complexe. La littérature n’a pas à être utilitariste et n’a pas vocation à instruire ou expliquer, mais nous choisissons en tout cas des livres qui proposent des personnages féminins forts et importants. Ils doivent au moins passer le test de Bechdel! Qu’il s’agisse de femmes aux parcours hors du commun ou de femmes qui subissent des oppressions, ils doivent remuer, faire réfléchir et pourquoi pas évoluer.
3 incontournables de la littérature féministe à mettre entre toutes les mains?
Bad Feminist de Roxane Gay. L’essayiste américaine y revient sur sa vie personnelle et universitaire, insiste sur l’importance de l’intersectionnalité et assume ses contradictions. Cet essai montre que le féminisme est un chemin, qu’il est à la fois un apprentissage et un combat, et qu’on peut ne pas être de parfaites féministes, bref, un livre qui fait du bien. Les Sentiments du Prince Charles de Liv Strömquist, une BD qui déconstruit l’aliénation que représentent certaines relations amoureuses par le prisme d’une histoire oppressive des femmes. Cette lecture peut être une véritable révélation sur la façon d’appréhender le couple ou les relations amoureuses. Et enfin, Sorcières de Mona Chollet. L’autrice revient sur la figure de la sorcière, brûlée à la Renaissance parce que trop indépendante, trop instruite, trop effrayante et dangereuse. C’est aussi une peinture de notre société actuelle, encore trop polarisée sur les genres et où les femmes peinent à se détacher des injonctions.
Propos recueillis par Faustine Kopiejwski
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