Au Mexique, le harcèlement de rue est une inquiétude permanente pour les femmes, d’autant qu’il peut être particulièrement violent. Les quatre filles de Las Morras se sont emparé du sujet à coup de vidéos pour réveiller les consciences. Interview.
Voilà un peu plus d’un an, elles diffusaient une vidéo au titre explicite: Las Morras affrontent leurs harceleurs. “Las Morras”, un mot d’argot mexicain pour désigner des filles de la vingtaine, sont quatre: Mireya, Melissa et Marisol travaillent dans la communication, et Sunny est toujours étudiante. En 2015, elles se rencontrent à la rédaction MásporMás, un site dédié à l’actualité de la ville de Mexico.
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Alors qu’elles quittent le magazine, elles décident de lancer une chaîne YouTube pour mettre en lumière les comportements machistes et le harcèlement, habituels dans les rues de la capitale mexicaine. À partir de ce projet, elles se constituent petit à petit en collectif dédié à la dénonciation du sexisme, souvent virulent, dont les femmes de leur pays sont victimes. Et avec leurs animations sur les violences faites aux femmes, leur test filmé d’applications mobiles contre le harcèlement, ou encore leurs micro-trottoirs auprès de riveraines du centre historique de Mexico, la vidéo reste leur média favori.
Pourriez-vous expliquer, pour un public étranger, ce qu’est la situation des femmes au Mexique et comment le sexisme est-il vécu au quotidien?
Au Mexique, être une femme, c’est vivre un risque constant. Tous les jours, il faut penser à ce que tu vas porter avant de sortir de chez toi pour éviter le harcèlement, il faut que tu penses à quelle heure et comment tu vas rentrer chez toi, que tu changes de route pour que l’on ne continue pas de te suivre dans la rue… Chaque fois, il faut apprendre un nouveau moyen de se défendre d’une possible agression ou d’un viol, apprendre à supporter le machisme qui t’entoure, et à le contrer. C’est stressant de devoir penser chaque jour que nous, nos amies ou les filles de nos familles prenons des risques pour sortir dans la rue. Être femme au Mexique, c’est aussi en avoir marre d’être sujette à des violences.
Pourquoi avez-vous choisi de vous intéresser spécifiquement au harcèlement de rue et pourquoi particulièrement à Mexico?
Parce que nous en avons assez de le vivre et que personne ne réagisse, que la plupart des gens pense qu’il s’agit d’une technique de drague, quelque chose que nous devons accepter alors que c’est du harcèlement verbal. Lutter contre le harcèlement de rue, c’est lutter pour récupérer les espaces publics qui appartiennent aussi aux femmes. Nous voulons avoir la liberté de nous promener là où nous le souhaitons, habillées comme nous le souhaitons, sans courir le moindre risque. Et puis, nous nous sommes concentrées sur Mexico parce que c’est là que vivent les membres de Las Morras.
Las Morras © Nicolás Tavira
Quelles ont été les réactions du public et de la ville face à votre première vidéo?
La réponse a été très polarisée: certains nous ont attaquées et insultées via Internet -et continuent de le faire aujourd’hui. Ils ont expliqué que la vidéo était fausse, que nous étions violentes, ou encore que nous cherchions les problèmes avec nos habits. Mais il y a aussi eu plein de filles qui nous ont remerciées de mettre en lumière ce qu’elles vivaient tous les jours. La municipalité, elle, a dit qu’elle avait mis des choses en place pour combattre le harcèlement -en distribuant des sifflets par exemple-, mais nous, en tout cas, n’avons pas remarqué que l’action de la ville de Mexico ait permis la moindre baisse du harcèlement de rue.
Un an après votre première vidéo, le harcèlement de rue a-t-il diminué dans la capitale?
Rien n’a vraiment changé, à part la façon dont les femmes l’affrontent. On voit de plus en plus d’histoires de femmes qui dénoncent leurs harceleurs, les exposent sur les réseaux sociaux, ou défendent d’autres femmes aux prises avec des harceleurs. Les femmes élèvent de plus en plus la voix pour dénoncer la violence sexiste.
Vous semble-t-il particulièrement compliqué d’être féministe au Mexique?
Sans vraiment pouvoir comparer à d’autres pays, c’est clairement compliqué de l’être ici, ne serait-ce que parce qu’énormément de gens ne savent pas ce que signifie le mot “féminisme”. Ils pensent que c’est la même chose que le machisme. Être une femme est déjà un risque au Mexique, mais être féministe et activiste peut te coûter la vie. Ce que l’on a pu constater, en tout cas, c’est que le féminisme rencontrait le même type de difficultés dans d’autres pays d’Amérique latine, comme l’Argentine.
Les réseaux sociaux vous semblent-ils être un bon moyen de lutter contre le machisme?
Oui, parce qu’ils nous donnent une voix qui, historiquement, nous était refusée. Et puis, parce qu’ils nous ont permis de documenter et de montrer la violence sexiste, et de créer des réseaux d’entraide entre des femmes qui, sans Internet ou les réseaux sociaux, ne se seraient jamais connues. Las Morras n’auraient jamais pu faire connaître la vidéo contre le harcèlement sexuel sans Internet.
Quels sont les prochains projets des Morras?
Nous allons lancer une nouvelle vidéo dans laquelle nous sortons dans la rue, et prévoyons de lancer un site Web destiné aux femmes mexicaines.
Propos recueillis par Mathilde Saliou
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