Dans un récit autobiographique intitulé “Si je veux”, la journaliste Johanna Luyssen revient sur son parcours de mère célibataire par choix, déconstruit les idées reçues et plaide pour la légitimité d’une parentalité en dehors du couple.
“Je suis une femme célibataire, trentenaire, plutôt hétérosexuelle, j’ai un travail, une famille, des amis. Je suis divorcée. Et j’ai choisi de faire un enfant seule.” Voilà comment se présente la journaliste Johanna Luyssen dans les premières pages de Si je veux (Éd. Grasset), un récit autobiographique, en librairies depuis le 2 février, dans lequel elle décrit avec une grande sincérité son parcours de mère célibataire par choix.
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Celle qui est rédactrice en chef adjointe des pages société du journal Libération revient sur son histoire de famille, son parcours professionnel et amoureux et ce qui l’a amenée à emprunter le chemin d’une parentalité solo. “Un jour, enfin, c’est venu. Je l’ai senti grandir au fil des mois, comme une gestation, ça s’est déployé, écrit-elle. J’y croyais à peine mais c’était là; et ça n’avait rien à voir avec le couple. C’était plutôt de moi qu’il s’agissait.” Dissocier son désir d’enfant du couple, c’est certainement le plus grand défi qu’a dû relever Johanna Luyssen lors de son parcours de combattante fait de banques de sperme, d’inséminations à la pipette de Doliprane, de montagnes russes émotionnelles et d’événements inattendus. La journaliste revient aussi sur la culpabilité et la stigmatisation qui pèsent sur les mères célibataires, qu’elles aient choisi ce statut ou qu’elles le subissent, et propose d’imaginer de nouveaux modèles familiaux dont elle défend avec ferveur la légitimité. Nous lui avons posé quelques questions.
Qu’est-ce qui t’a poussée à écrire ce livre?
Au-delà de l’aspect exutoire d’écrire un ouvrage pour prendre du recul sur sa propre histoire, je trouve important de donner de la visibilité aux mères célibataires par choix, aux mères célibataires tout court et aussi aux femmes célibataires. Les productions littéraires -et culturelles en général- jouent beaucoup dans les représentations qu’on peut avoir d’elles. Il y a aussi une volonté politique de les aider et de les visibiliser: avec ce livre, je voulais parler de toutes ces femmes, mais aussi des stigmates qui leur collent à la peau et, enfin, je m’inscris aussi dans le mouvement childfree, parce que la question du choix est très importante à mes yeux.
À quel moment t’es tu posé la question de la parentalité?
Je me suis toujours dit que j’aurais un enfant, j’avais une envie quasi organique et puis j’ai toujours beaucoup aimé les interactions avec les enfants, leur compagnie. Cette envie était latente mais je l’ai mise de côté pendant longtemps car je n’étais pas prête: je souhaitais construire ma carrière, mon indépendance financière et être psychologiquement plus adulte! Et puis un jour, toutes ces conditions ont été réunies et j’ai décidé de me lancer. J’avais envie de construire quelque chose de plus profond, de transmettre, de connaître cet amour parent-enfant. Mais comment fait-on quand ça vient à 35 ans et qu’on est célibataire?
Justement, comment est venue l’envie de faire un enfant seule?
À 35 ans, j’ai déménagé en Allemagne: je commençais un nouveau travail et c’était en quelque sorte le début d’une nouvelle vie. Berlin est une ville qui facilite beaucoup l’introspection car elle laisse beaucoup d’espace géographique et mental. J’étais épanouie dans ma vie professionnelle et personnelle et je me sentais alors prête à avoir un enfant. Célibataire, je n’avais pas envie d’être suspendue au bon vouloir d’une personne qui n’aurait pas nécessairement le même calendrier que moi et encore moins envie de lui demander de se presser pour coller au mien. Je me suis alors dit que le schéma classique de la famille nucléaire ne constituait pas la seule option, qu’il existait d’autres formes de parentalité: ne fallait-il pas que je décorrèle la question de l’enfant de celle du couple? J’ai passé un an et demi à réfléchir à cette question, à lire sur le sujet, à déconstruire cette représentation. Et puis j’ai été prête et j’ai commencé les inséminations dans le but de faire un enfant seule.
Justement, décorréler le désir d’enfant du couple, est-ce que ça a été le plus difficile pour toi?
Oui, car on grandit en pensant qu’on va se marier et ensuite avoir des enfants. Ma génération, née dans les années 80, n’a pas été confrontée à beaucoup de modèles alternatifs, les schémas inculqués étaient au contraire très normatifs. J’ai été conditionnée à penser que le couple et les enfants allaient ensemble, j’ai dû déconstruire ce modèle hétéronormé et ça a été le plus gros travail que j’ai eu à faire. Il me paraît important de dire qu’être mère célibataire par choix est une possibilité, une voie qu’il est possible d’emprunter, ce n’est ni un caprice, ni un acte égoïste. Je tiens à préciser que je suis par ailleurs consciente de mes privilèges: j’ai un CDI à temps plein, et un travail qui me permet une certaine sérénité d’esprit.
Quels sont les stigmates qui collent à la peau des mères célibataires?
On les voit comme des accidentées de la route, des cas sociaux, des pauvres filles qui ont raté leur vie. Mais dans les cas de mères célibataires qui ne l’ont pas choisi, on s’interroge très peu sur les causes de leurs difficultés, on ne se demande pas par exemple pourquoi les pères ne payent pas les pensions alimentaires. Les familles monoparentales existent, aujourd’hui, c’est 1 famille sur 4 en France -et la grande majorité sont des femmes- donc arrêtons de faire comme si elles n’existaient pas et mettons en place des mesures efficaces pour qu’elles puissent vivre dans de meilleures conditions matérielles.
En quoi faire un enfant seule est une démarche féministe?
J’ai fait un enfant au moment où j’étais prête et mon timing n’était pas forcément compatible avec ce qu’aurait voulu la société, les gens autour de moi ou mes relations amoureuses. Faire un enfant seule n’est pas tant faire un enfant sans homme -car il y a toujours le concours d’un homme, ne serait-ce que par le don de sperme- mais faire un enfant en dehors du couple. C’est dans ce sens qu’il s’agit d’une démarche féministe, et il ne faut y voir aucune misandrie, j’ai fait comme ça car c’est comme ça que ça s’est présenté à moi et je ne vois pas pourquoi mon chemin de mère célibataire par choix ne serait pas légitime.
Tu écris que tu as boycotté “le marché à la bonne meuf”, qu’est-ce que ça signifie?
C’est une citation de Virginie Despentes dans King Kong Théorie que je reprends dans mon livre car je la trouve très juste. Il y a l’idée que les femmes sont des biens de consommation avec une date de péremption très courte. Passés 25 ans, nous sommes considérées comme bonnes à jeter. En faisant un enfant seule, je suis sortie de ce marché, je ne cherche plus la validation d’un regard masculin sur mon propre désir de parentalité, je me suis libérée de ce poids.
Tu écris “Peut-on faire un enfant sans sacrifier son utérus, son vagin, sa vie, ses seins, son temps libre?”, as-tu la réponse à cette question aujourd’hui?
Lorsqu’on fait le choix de vivre avec un enfant, notre vie change, on ne fait plus les mêmes arbitrages. Aujourd’hui, je ne le vis pas comme une contrainte car c’est un choix que j’ai fait, c’est la vie que j’ai choisie. Élevant mon enfant seule, je suis toutefois très attentive au fait d’avoir du temps pour moi, des moments où je me retrouve, je délègue peut-être plus facilement que des parents qui sont en couple.
Finalement en tant que mère célibataire, tu écris qu’on reçoit davantage d’aide et d’attention qu’une femme en couple avec un père défaillant, comment l’expliques-tu?
On est tout de suite identifiée comme une personne qui a besoin d’aide. En tant que mère célibataire, on ne peut pas compter sur un·e conjoint·e donc il faut être inventive! J’ai créé un réseau de proches que je vois comme une sorte d’extension familiale. Mes ami·es font partie intégrante de l’éducation de mon enfant car nous savons qu’il faut un village pour élever un enfant. Il·elles viennent me relayer lorsque j’ai des moments difficiles ou que j’ai besoin de prendre du temps pour moi.
Quel message aurais-tu envie de faire passer à celles qui ont peur de sauter le pas?
J’ai envie de leur dire qu’il ne faut pas avoir peur de la charge que ça peut représenter, parfois les mères célibataires ont moins de charge que si elles étaient en couple avec un père défaillant. Je veux également leur dire qu’être mère célibataire ne signifie pas être seule au monde, des moyens existent pour créer du lien, faire société autrement et rompre l’isolement. En Allemagne, j’ai failli créer une colocation avec une mère célibataire, c’est une option mais il y en d’autres, il faut penser de nouveaux modèles!
Si je veux. Mère célibataire par choix, Johanna Luyssen, Éd. Grasset.
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