Superstar de l’équipe américaine de foot, elle se démarque aussi en dehors du terrain. L’attaquante de 33 ans se bat pour plus d’équité entre femmes et hommes dans le milieu du ballon rond mais aussi pour une meilleure représentation des minorités. Jusqu’à s’en prendre frontalement au président américain.
Tout va trop vite, cet après-midi du 2 juillet 2011, pour l’équipe féminine colombienne de football opposée à la sélection américaine pour le deuxième match de la poule C de la Coupe du monde. A la cinquième minute, un magnifique une-deux entre Lauren Cheney et Megan Rapinoe se conclut sur une frappe surpuissante de cette dernière. La joueuse de 25 ans, aisément reconnaissable à ses yeux cheveux courts blond platine –un hommage à l’actrice Tilda Swinton, dont elle est fan–, qui marque là son premier but avec la sélection américaine, décide de célébrer son but d’une manière peu conventionnelle, un peu comme le Brésilien Bebeto en 1994. S’appropriant un des micros positionnés aux quatre coins du terrain, elle entonne le célèbre refrain de la chanson contestataire de Bruce Springsteen Born in the USA. Ce jour-là, le monde entier met un visage sur le nom de cette talentueuse joueuse du club des magicJack, qui a le sens du spectacle sur et en dehors du rectangle vert.
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Huit ans plus tard, le 2 juillet 2019, “Pinoe”., comme elle est surnommée, s’apprête à défier l’Angleterre en demi-finale de la Coupe du monde féminine de foot qui se déroule en France, auréolée d’un tout autre statut. Avant le coup d’envoi du match qui aura lieu à 21 heures au Parc OL de Lyon, Megan Rapinoe ne chantera pas God Bless America. “C’est une sorte de ‘fuck you’ adressé au gouvernement”, déclare-t-elle avant le début de la compétition internationale. Depuis le 4 septembre 2016, l’attaquante, aussi agile du pied gauche que du pied droit, refuse d’entonner l’hymne du pays à la bannière étoilée. Ce jour-là, on l’a vu, seule, poser un genou à terre dans le stade de Bridgeview (Illinois) aux côtés de ses coéquipières du Seattle Reign FC. Un geste fort –la première d’une sportive blanche aux Etats-Unis– en soutien au meneur de l’équipe de football américain des San Francisco 49ers Colin Kaepernick qui protestait contre l’oppression dont est victime la communauté afro-américaine aux Etats-Unis en plein débat sur le Black Lives Matter.
Opposante à Donald Trump
A désormais 33 ans, l’expérimentée (153 sélections, 44 buts) a d’ores et déjà prévenu qu’en cas de victoire finale de son équipe, elle n’ira pas à la Maison Blanche “faire des courbettes devant (Donald Trump) qui, clairement, est contre tout ce en quoi (elle croit)”. Le président américain n’a pas tardé à lui rétorquer sur Twitter : “Je suis un grand fan des équipes américaines, et du football féminin, mais Megan devrait d’abord gagner avant de parler! Termine le travail!”
Women’s soccer player, @mPinoe, just stated that she is “not going to the F…ing White House if we win.” Other than the NBA, which now refuses to call owners, owners (please explain that I just got Criminal Justice Reform passed, Black unemployment is at the lowest level…
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) June 26, 2019
“Je sais que cela peut me coûter cher, reconnaît-elle à l’AFP, avant le début de la compétition. Au propre comme au figuré. Mais je me vois comme un porte-voix et c’est un rôle que j’assume complètement.” Sa coéquipière et capitaine en sélection, Alex Morgan, lui a témoigné son soutien: “Toutes les équipes ont besoin d’une Megan Rapinoe, sur le terrain et en dehors.”
Contrairement à pas mal de ses homologues masculins dans l’univers du ballon rond, Rapinoe n’use que peu de la langue de bois. Ces derniers jours, elle a envoyé un message à son ancien président de l’Olympique lyonnais (où elle a joué entre 2013 et 2014): “Apparemment, Jean-Michel Aulas voudrait que je revienne à Lyon. Si vous avez toujours envie, sortez l’argent!” Et qu’importe si elle en fait les frais, comme en 2015 lorsqu’elle se retrouve écartée de la sélection sans que l’on sache réellement s’il s’agit d’une sanction contre ses multiples engagements. Depuis son coming out en 2012, quelques jours avant les JO de Londres, cette Californienne multiplie les combats pour les droits des femmes, de la communauté LGBTQ+ et des minorités dans leur ensemble.
Originaire de Redding, ville conservatrice dans le nord de l’Etat progressiste de Californie, où elle tape dans ses premiers ballons avec sa sœur jumelle Rachel et son grand frère Brian, cette démocrate revendiquée va asseoir sa réflexion politique à l’université de Portland (Oregon) dont elle sortira diplômée en sociologie et sciences politiques. Lucide sur son sport et les disparités qui subsistent entre femmes et hommes, elle déclare au Monde en 2013: “C’est un système vertueux. En continuant la pratique à haut niveau de ton sport, tu peux suivre des études. A la différence des hommes, qui gagneront 50 millions de dollars s’ils sont suffisamment bons, les athlètes féminines savent qu’elles n’obtiendront jamais autant d’argent. C’est un encouragement à décrocher un vrai diplôme.”
Un mème Internet
Largement suivie sur les réseaux sociaux (elle compte 600 000 followers sur Twitter), Megan Rapinoe s’est récemment transformée en mème sur Internet. La célébration du premier de ses deux buts, vendredi 28 juin contre la France, bras en l’air, a été comparée au général Maximus du Gladiator de Ridley Scott ou alors à la reine des dragons de Game of Thrones, Daenerys Targaryen.
— Santa Claus, CEO (@SantaInc) June 28, 2019
Quelle que soit l’issue de la compétition, le 7 juillet prochain, les combats ne manqueront pas pour la franc-tireuse. A commencer par la lutte pour plus d’équité dans les salaires entre les joueurs et les joueuses américaines. C’est un paradoxe outre-Atlantique: l’équipe féminine obtient de meilleurs résultats que l’équipe masculine mais “la Fédération américaine n’a fait que le minimum en matière d’égalité entre les hommes et les femmes, et elle continue de pratiquer une discrimination au détriment de ses joueuses” , a-t-on pu lire dans un texte cosigné par Alex Morgan et Megan Rapinoe. Les deux joueuses font partie d’un groupe de 28 autres qui poursuivent en justice leur fédération au motif d’une “discrimination basée sur le genre” .
Julien Rebucci
Cet article a été initialement publié sur le site des Inrocks
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